



Homélie
Journée mondiale du Migrant et du Réfugié
Cathédrale de Tournai
14 janvier 2018
En cette journée mondiale du migrant et du réfugié, plusieurs réactions sont possibles. Nous vivons, en effet, en Belgique des événements qui sont l’expression d’opinions diverses. Les unes sont favorables à l’accueil des migrants et des réfugiés. Les autres y sont défavorables.
De plus, certains se demandent pourquoi l’Eglise catholique s’intéresse tellement aux migrants et aux réfugiés. Est-ce que le Pape François se rend bien compte de ce qui se passe en Europe ? Est-ce qu’il ne se lance pas trop dans le débat politique en parlant de l’accueil des migrants et des réfugiés ?
Je voudrais donner quelques éléments qui nous permettent de comprendre ce qui se passe, afin de prendre des engagements ou bien afin de justifier encore davantage des initiatives qui ont déjà été prises.
Tout d’abord, il faut reconnaître que la question de l’accueil ou non des migrants et des réfugiés fait partie de la mission de l’Etat de droit. Qu’est-ce que cela veut dire ? L’Etat de droit a une mission qui concerne tous les citoyens sur lesquels il a autorité à partir du fonctionnement des institutions publiques, qui expriment le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. Dans ce cadre, l’Etat est tenu de respecter les traités internationaux, les conventions et les déclarations comme la déclaration des droits humains de 1948.
Le statut des migrants et des réfugiés relève de la mission de l’Etat de droit. Certes, les orientations en ce domaine viennent des représentants élus par les citoyens qui ont le droit de vote. C’est la raison pour laquelle, quand on se prépare à élire des représentants au parlement, il est normal qu’il y ait des débats pour aider à discerner ce qu’il faut faire quand la question des migrants et des réfugiés devient difficile à résoudre. Mais, une fois les élections terminées, les majorités conclues, un programme politique en vue d’atteindre le bien commun est mis en place et on le suit. On sait bien que les lois, etc., sont aussi vérifiées par le parlement. Celui-ci corrige, modifie, etc., selon l’évolution de la situation.
L’Eglise catholique n’est pas une institution de l’Etat de droit. Des citoyens catholiques sont membres des parlements, des exécutifs et du pouvoir judiciaire, où ils remplissent leur mission comme citoyens.
L’Eglise catholique respecte la mission de l’Etat de droit. Elle est tenue de respecter les lois, décrets, arrêtés qui concernent l’accueil des migrants et des réfugiés.
Dans la société, nous avons un Etat de droit ; nous avons aussi la société civile, qui comprend toute la population, avec ses institutions, ses associations, ses personnes individuelles. Pour la question des migrants et des réfugiés, c’est dans la société civile que viennent des débats. Chacun essaie de comprendre, de proposer des solutions, de prendre des initiatives.
L’Eglise catholique intervient dans les débats de la société civile en respectant les lois du dialogue. C’est la raison pour laquelle il y a une journée mondiale du migrant et du réfugié, à l’occasion de laquelle la plus haute autorité de l’Eglise, le Pape François, envoie un message.
Pourquoi ce message ? Quand on a une vue d’ensemble sur la planète terre, on se rend compte qu’il y a des déplacements forcés de populations pour des raisons de conflits violents, comme au Moyen Orient ou en Afrique centrale ; pour des raisons économiques, de pauvreté telle qu’on ne peut plus survivre sur place et qu’il faut partir ailleurs ; pour des raisons climatiques qui engendrent des mouvements de végétaux, de troupeaux, de poissons tellement importants que les êtres humains ne peuvent plus se nourrir là où ils sont nés et ils sont donc obligés de chercher des lieux où ils peuvent se nourrir. Le Pape François essaie de montrer, avec objectivité, les causes réelles des déplacements de populations et il propose de bien agir sur les causes qui provoquent des gens à fuir le pays où ils sont venus au monde.
Mais il n’y a pas que les causes à examiner. Il y a surtout à devenir humain, à regarder les personnes qui fuient ou qui sont forcées de partir. Ce sont des personnes dont, bien souvent, la famille est disloquée ; les parents sont séparés des enfants ; les personnes trop fragiles sont abandonnées ou meurent en cours de route ; des passeurs font un commerce honteux en exigeant des sommes effroyables pour traverser la Méditerranée ; certains êtres humains qui ne peuvent pas traverser la Méditerranée sont vendus comme esclaves ; nous imaginons bien que des femmes et des hommes sont obligés de vendre leur corps pour arracher le droit de passer sur l’autre rive pour atteindre l’Europe et, à l’intérieur de l’Europe, de franchir des barrières.
Le Pape montre tout cela et demande de notre part de la compassion en regardant la souffrance des mamans qui voient leurs tout petits mourir de faim ou de maladie ; la souffrance des hommes adultes qui n’ont plus la force de porter leurs parents jusqu’à la destination prévue ; ils doivent les abandonner sur le bord de la route ; la souffrance des enfants mineurs qui se retrouvent parqués dans des centres spécialisés sans aucun guide pour apprendre à se respecter les uns les autres ; la souffrance des nourrissons qui viennent au monde durant le voyage, sans l’aide d’une sage-femme, d’infirmiers, de médecins, d’hôpitaux.
Devant la souffrance physique, psychique, morale, comment devons-nous réagir ? Le Pape est très clair là-dessus. Ce qu’il dit vient de son expérience de foi. Il cite des passages bibliques sur l’accueil de l’émigré, de la veuve et de l’orphelin qu’on trouve dans toute la Bible, dans la tradition chrétienne et dans la doctrine sociale de l’Eglise.
Mais, avant même de faire ces citations, le Pape demande si, devant ces souffrances, nous sommes encore capables de pleurer. Il l’a dit le 8 juillet 2013, quelques semaines après son élection comme évêque de Rome, sur l’île de Lampedusa, qui accueille les naufragés de la Méditerranée.
Dans le message de cette année, le Pape donne quatre verbes pour nous aider à discerner ce que nous devons faire et pour justifier des actions au plan international.
- Accueillir signifie avant tout offrir aux migrants et aux réfugiés de plus grandes possibilités d’entrée sûre et légale dans les pays de destination. Plusieurs pistes sont proposées, dont les couloirs humanitaires pour les réfugiés les plus vulnérables. Il ajoute : au nom de la dignité fondamentale de chaque personne, il faut s’efforcer de préférer des solutions alternatives à la détention pour ceux qui entrent sur le territoire national sans autorisation. Il reprend ainsi un souhait manifesté au temps du Pape Benoît XVI en 2012.
- Protéger fait allusion à toute une série d’actions pour la défense des droits et de la dignité des migrants ainsi que des réfugiés, indépendamment de leur statut migratoire. Cette protection commence dans le pays d’origine et consiste dans la mise à disposition d’informations sûres et certifiées avant le départ et dans la prévention contre les pratiques de recrutement illégal. Elle devrait se poursuivre dans le pays d’immigration, en assurant une assistance consulaire adéquate, le droit de garder toujours avec soi les documents d’identité personnels, un accès équitable à la justice, la possibilité d’ouvrir des comptes bancaires personnels et la garantie d’une subsistance minimum vitale. Le Pape rappelle que les migrants ont des compétences, des capacités qu’ils ont acquises dans leur pays d’origine. Pourquoi ne pas leur permettre de les exercer ? La question de la nationalité des enfants qui naissent en cours de route ou dans le pays d’immigration doit encore être résolue. Est-il normal que ces enfants deviennent des apatrides ?
- Promouvoir veut dire œuvrer afin que tous les migrants et réfugiés ainsi que les communautés qui les accueillent soient mis en condition de se réaliser en tant que personne dans toutes les dimensions qui composent l’humanité voulue par le Créateur, comme l’écrivait déjà le Pape Paul VI en 1967. Parmi ces dimensions, il faut reconnaître à la dimension religieuse sa juste valeur. Le Pape François encourage la possibilité de travailler, des parcours de formation linguistique et de citoyenneté active ainsi qu’une information appropriée dans les langues d’origine des migrants et des réfugiés. Il faut respecter la famille des migrants et des réfugiés comme lieu de ressource de la culture de la vie et facteur d’intégration des valeurs.
- Intégrer se place sur le plan des opportunités d’enrichissement interculturel général du fait de la présence de migrants et de réfugiés. L’intégration n’est pas une assimilation, qui conduit à supprimer ou à oublier sa propre identité culturelle. Elle se fait dans la culture de la rencontre, en multipliant les opportunités d’échange interculturel, en documentant et diffusant les bonnes pratiques d’intégration et en développant des programmes visant à préparer les communautés locales aux processus d’intégration.
Dans ces quatre actions, l’Eglise catholique est disponible pour s’engager en première ligne. Mais, pour obtenir les résultats espérés, la contribution de la communauté politique et de la société civile, chacun selon ses responsabilités propres, est indispensable.
Enfin, sous l’égide des Nations Unies, deux Pactes internationaux doivent être signés avant la fin de l’année 2018 : l’un consacré aux réfugiés ; l’autre consacré aux migrants.
Après avoir entendu le message du Pape François, dans la ligne des déclarations et messages des évêques de Belgique et en partenariat avec plein d’ONG, d’associations et d’initiatives privées, nous demandons au Seigneur le don de son Esprit pour nous aider à mettre en œuvre ce que nous lisons dans l’évangile de Matthieu : J’étais un étranger, et vous m’avez accueilli (Matthieu 25,35).
Ayons dans notre cœur les mêmes dispositions que Samuel qui dit : Parle, ton serviteur écoute (1 Samuel 3,10).
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Créé parDiocèse de Tournai