



28 juin 2015 - Homélie de l'ordination de Jacques Delva et Julien Gallez
Homélie
Ordination au ministère presbytéral
De Jacques Delva et Julien Gallez
Cathédrale Notre-Dame de Tournai
28 juin 2015
Au début de son ministère en Galilée, Jésus jouit d’une incroyable popularité acquise par son activité de thaumaturge. Il institue un petit groupe de douze disciples qui vont l’accompagner jusqu’à son arrestation à Jérusalem. Le texte de l’évangile de Marc dit : Il en institua douze pour qu’ils soient avec lui et pour les envoyer proclamer la Bonne Nouvelle avec le pouvoir d’expulser les démons (Mc 3, 14-15). Aussitôt après on voit se mobiliser l’opposition de la part des scribes et de la part de la famille de Jésus.
Ensuite, Jésus enseigne par un ensemble de paraboles que le Règne de Dieu annoncé s’implante dans le monde et que sa puissance y travaille en secret. Jésus donne des signes de cette puissance, qui travaille en secret, en apaisant une tempête sur la Mer de Galilée et en délivrant un homme d’une multitude de forces démoniaques dans le pays des Géraséniens. Les témoins de la délivrance de l’homme possédé ne sont pas convaincus. Ils supplient Jésus de quitter leur territoire. Ce que Jésus fait en prenant la barque pour rejoindre l’autre rive de la Mer de Galilée, tout en disant à l’homme délivré des démons d’annoncer, dans le territoire de la Décapole, tout ce que le Seigneur avait fait pour lui dans sa miséricorde.
Aujourd’hui, Jésus rejoint l’autre rive. Une grande foule s’assemble autour de lui. Nous devenons les témoins de deux actes de puissance de Jésus. Un chef de synagogue, Jaïre, tombe aux pieds de Jésus et le supplie : Ma fille, encore si jeune, est à la dernière extrémité. Viens lui imposer les mains pour qu’elle soit sauvée et qu’elle vive (Mc 5, 23). Jésus ne dit rien. Il part avec Jaïre pour faire ce que celui-ci lui a demandé. La foule, très nombreuse, suit Jésus et, même, l’écrase, dit le texte.
L’évangéliste décrit soudainement un autre acte de puissance de Jésus. Une femme, dont il ne dit pas le nom, a des pertes de sang depuis douze ans. Cela signifie qu’elle ne peut pas mener une vie conjugale et qu’elle est, de fait, impure. Elle ne peut pas entrer en contact avec d’autres personnes, au risque de les rendre, elles aussi, impures. Cette femme est seule et ne peut pas mener une vie sociale. C’est presque en cachette qu’elle s’approche de Jésus, sans rien dire : Si je parviens à toucher seulement son vêtement, je serai sauvée (Mc 5, 28). A l’instant, l’hémorragie s’arrête et cette femme ressent dans son corps qu’elle est guérie de son mal.
L’évangéliste aurait pu s’arrêter là, puisque cette femme était guérie. Il continue cependant. Jésus se rend compte qu’une force est sortie de lui. Il pose une question : Qui a touché mes vêtements ? (Mc 5, 30). Les disciples répondent : Tu vois bien la foule qui t’écrase, et tu demandes : Qui m’a touché ? Jésus regarde tout autour de lui pour voir celle qui avait fait cela. La femme, saisie de crainte et toute tremblante, sachant ce qui lui était arrivé, se jette aux pieds de Jésus et lui dit toute la vérité. Cette femme, empêchée par son impureté de participer à la vie sociale, ose parler à Jésus, ose dire qu’elle a touché son vêtement, ce qui est interdit quand on risque de rendre impur celui qu’on touche. Jésus comprend : Ma fille, ta foi t’a sauvée. Va en paix et sois guérie de ton mal (Mc 5, 34). Jésus reconnaît la foi de cette femme, une foi qui est directement liée au salut. Cette femme est entrée dans une vie nouvelle.
L’évangéliste reprend le récit sur Jaïre. Des gens arrivent pour dire : Ta fille vient de mourir. A quoi bon déranger encore le Maître ? (Mc 5, 35). Jésus réagit en disant à Jaïre : Ne crains pas, crois seulement (Mc 5, 36). Jésus ne laisse personne l’accompagner. Cette fois, Jésus va agir en secret, en présence de trois de ses disciples : Pierre, Jacques et Jean, les mêmes que l’on retrouve à la Transfiguration et à l’agonie à Gethsémani. Nous savons qu’après la Transfiguration, Jésus leur dira de ne rien dire de ce qu’ils ont vu. Quand Jésus arrive à la maison de Jaïre, il trouve les pleureurs : Pourquoi cette agitation et ces pleurs ? L’enfant n’est pas morte : elle dort (Mc 5, 40). On se moque de Jésus. Et Jésus de mettre tout le monde dehors sauf les parents et ses disciples. Jésus prend la main de l’enfant et lui dit : Jeune fille, je te le dis, lève-toi ! (Mc 5, 41). La jeune fille se lève et se met à marcher. Elle a douze ans. Jésus demande de ne rien dire à personne de ce qui s’est passé.
Mettre sur le même pied la Transfiguration et l’agonie de Jésus avec ce qui se passe dans la maison de Jaïre, pourquoi ? Une femme malade depuis douze ans retrouve une vie normale, une vie sociale ; une jeune fille de douze ans à l’âge de la puberté retrouve la vie perdue.
L’éveil-relèvement de la fille de Jaïre est une parole mise en attente tant qu’elle n’a pas reçu son sens profond de l’éclairage pascal. En effet, après la Transfiguration, Jésus dira à ses trois disciples de se taire jusqu’à ce que le Fils de l’homme se lève d’entre les morts (Mc 9, 9).
Nous avons l’éclairage pascal pour entrer dans la signification profonde des actes de puissance de Jésus. Les douze que Jésus a institués sont avec lui et sont envoyés proclamer la Bonne Nouvelle avec le pouvoir d’expulser les démons.
Chers Jacques et Julien,
Vous avez l’un et l’autre l’aptitude à devenir proches de personnes qui passent par de grandes épreuves et de personnes qui vivent au jour le jour, avec des moments de grande joie ou des moments de grandes difficultés. Vous avez, l’un et l’autre, des contacts avec des personnes que la société rejette, exclut, condamne. Vous-mêmes êtes passés par bien des épreuves en perdant un être aimé. A partir du moment où vous avez perçu un appel à devenir prêtre, vous avez accepté de discerner, sans être nécessairement aidé par des personnes dont on aurait pu attendre un soutien, un accompagnement.
Cher Jacques,
Grâce à ton statut familial, tu es devenu en Belgique une question médiatique. Comment se fait-il que l’Eglise ordonne prêtre quelqu’un qui a été marié, qui est père et grand-père ? Certains sont tellement obnubilés par ce qu’ils entendent comme doctrine irréformable de l’Eglise catholique, qu’ils ne peuvent pas accepter ce que prévoit le droit de l’Eglise. Moi-même, je n’ai pas réussi à expliquer qu’un homme veuf, qui correspond aux critères du droit de l’Eglise, peut être ordonné prêtre. Non, me dit-on, l’Eglise refuse d’ordonner des hommes mariés ! Tu as raison de dire aux médias que ce qui t’est proposé aujourd’hui n’est pas une sorte d’exception dans ta vie de foi, mais simplement le prolongement de la vie baptismale et de tes engagements de chrétien dans la société actuelle. Et tu as dit plusieurs fois : Ce qui compte, c’est de dire au Seigneur : Maintenant, qu’est-ce que tu attends de moi ? L’appel au ministère presbytéral est ressenti dans une relation personnelle avec le Christ, et non une sorte de bouleversement inouï dans ta vie de chrétien. Continue à vivre avec Jésus qui t’envoie annoncer la Bonne Nouvelle avec le pouvoir d’expulser les démons. Et, dans certains cas, les démons sont légion, comme dans le territoire des Géraséniens.
Cher Julien,
Depuis que l’appel au ministère presbytéral a retenti en toi, tu as eu de la part des supérieurs de l’Eglise plusieurs types de formations, plusieurs lieux de formation. Grâce à ceux qui t’ont accompagné, tu as pu mûrir, approfondir, même si l’épreuve a pu être lourde et longue. Tu peux remercier ceux qui t’ont conseillé, ceux vers qui tu as été envoyé en stage et ceux qui t’aiment avec une fidélité sans faille.
Chers Jacques et Julien,
Par votre expérience personnelle, vous saisissez avec justesse beaucoup d’aspects de la mission de l’Eglise et, en son sein, quelques aspects du ministère des prêtres en des lieux où, spontanément, beaucoup se sentent démunis pour manifester l’amour du Christ pour les pauvres. Pour ce témoignage, je vous suis très reconnaissant.
Frères et sœurs,
Nous vivons dans une période extrêmement riche de l’histoire de la planète. Plusieurs pensent que nous sommes arrivés à une étape de discernement. Le Pape François vient de publier une encyclique dans laquelle il se propose d’entrer en dialogue avec tous au sujet de notre maison commune (Laudato Si’, 3). Avec la Joie de l’Evangile (2013) et ses initiatives sur l’année de la vie consacrée et la future année sainte sur la miséricorde, le Pape François ouvre des chantiers énormes pour nous inviter à des conversions pastorales missionnaires : nous vivons avec Jésus qui nous envoie pour proclamer la Bonne Nouvelle avec le pouvoir d’expulser les démons. Nous avons la chance d’avoir le Pape François comme successeur de Pierre, comme évêque de Rome et nous prions tous pour lui, afin de lui manifester notre affection et de prendre au sérieux les multiples interpellations qu’il nous donne.
Dans le diocèse, nous vivons dans une période post-synodale, dont l’objectif est de nous aider à retrouver notre identité missionnaire. Comment sommes-nous, dans le Christ, sacrement, signe et moyen, de l’union avec Dieu et de l’unité du genre humain ? Ce qui a été initié depuis 2014 avec l’année Refondation ; ce qui est en route avec le mini-synode des jeunes ; ce qui sera mis en route avec le mini-synode sur la famille ; ce qui est en état de transformation avec le groupe de travail sur la communication ; ce qui est en germe avec la maison de la prière ; ce qui est engagé avec fermeté et constance à propos de la diaconie de l’Eglise diocésaine ; ce qui va commencer en septembre avec le nouveau processus catéchétique ; ce qui est mis en œuvre pour une magnifique concertation avec les prêtres venus d’ailleurs ; toutes ces initiatives n’ont qu’un seul but : découvrir la joie d’être avec Jésus qui nous envoie annoncer la Bonne Nouvelle avec le pouvoir d’expulser les démons.
Et des démons, il y en a beaucoup. Les actes terroristes qui tuent n’ont qu’un seul objectif : faire peur pour que nous nous recroquevillions sur nos peurs, nos acquis, nos valeurs, nos droits. Ne nous laissons pas faire ; ne construisons pas des murs pour nous défendre ; ne rejetons pas ceux qui viennent jusque chez nous pour demander l’hospitalité ; prenons des décisions courageuses ; arrêtons de compter uniquement sur les responsables de la chose publique pour trouver des solutions ; soyons des êtres humains responsables, qui discernent ce qu’il convient pour ouvrir l’avenir aux hommes de bonne volonté. Merci au service diocésain de la diaconie de nous pousser dans le dos pour que nous mettions en pratique la Parole de Dieu dans le service de tous les êtres humains, les fragilisés et les pauvres en priorité. Relisons le livre de la Sagesse : Dieu n’a pas fait la mort, il ne se réjouit pas de voir mourir les êtres vivants. Il les a tous créés pour qu’ils subsistent ; ce qui naît dans le monde est porteur de vie ; on n’y trouve pas de poison qui fasse mourir. La puissance de la Mort ne règne pas sur la terre, car la justice est immortelle (Sagesse 1, 13-15).
Nous sommes unis à nos frères et sœurs musulmans qui ont commencé le Ramadan il y a quelques jours. Arrêtons de jeter sur eux l’opprobre qui nous est instillé par les commanditaires des actes terroristes. Soyons de vrais hommes religieux qui croient que tout être humain est créé à l’image de Dieu, qui croient que Dieu parle au coeur de tout être humain. En ces jours où les musulmans témoignent, d’une manière particulière, de la foi au Dieu unique, allons à leur rencontre pour manifester notre respect, notre volonté de travailler ensemble pour la justice et la paix.
Lorsque nous affirmons que nous croyons au Christ, n’oublions pas que le Christ manifeste et réalise le salut pour tous les hommes, qu’ils le connaissent ou pas. Nous sommes des témoins de la Bonne Nouvelle pour tous les hommes, pour tous les peuples. Et lorsque l’Eglise nous confie un ministère, ce n’est pas pour réserver l’exercice de celui-ci aux seuls catholiques. Nous sommes des diacres pour tous ; nous sommes des prêtres pour tous ; je suis évêque pour tous. Pour Dieu, l’humanité n’est pas coupée en une portion qui connaît le Christ et en une portion que ne le connaît pas. Ouvrons notre cœur à toute l’humanité ; manifestons la miséricorde de Dieu pour le monde entier ; reconnaissons, avec l’évangéliste Jean, que le Christ attire à lui tous les êtres humains, que le Christ aime tous les êtres humains, que le Christ donne la vie à tous les êtres humains.
Et en ces mois où nous sommes sans cesse harcelés par des discours sur l’avenir de l’Europe en prenant comme fondement les équilibres financiers et économiques, n’oublions pas la justice sociale, la construction de la paix, le respect de la dignité humaine de tous ceux qui ont tout perdu, qui fuient des régimes exécrables, qui n’ont plus rien pour vivre.
Au lieu de nous laisser abattre par les personnes qui ont perdu confiance en l’action de Dieu en ce monde, à la croissance du Règne de Dieu dans le secret, en mettant sans cesse en avant depuis près de soixante ans des statistiques tirées de leur contexte sociétal et ecclésial en Europe du Nord, laissons-nous porter par la parole de l’apôtre Paul dans sa seconde lettre aux Corinthiens : Puisque vous avez tout en abondance, la foi, la Parole, la connaissance de Dieu, toute sorte d’empressement et l’amour qui vous vient de nous, qu’il y ait aussi abondance dans votre don généreux ! Vous connaissez en effet le don généreux de notre Seigneur Jésus Christ : lui qui est riche, il s’est fait pauvre à cause de vous, pour que vous deveniez riches par sa pauvreté (2 Corinthiens 8, 7.8).
Demandons à l’Esprit Saint de venir en chacun de nous pour nous éclairer dans le discernement personnel.
Demandons à Dieu, notre Père, de consacrer Jacques et Julien afin, qu’en communion avec nous, ils implorent la miséricorde de Dieu pour le peuple qui leur est confié et pour l’humanité tout entière. Alors toutes les nations, rassemblées dans le Christ, seront transformées en l’unique peuple qui appartient à Dieu et qui trouvera son achèvement dans son Royaume.
+ Guy Harpigny,
Evêque de Tournai
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Créé parDiocèse de Tournai
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