Les églises de nos villages, patrimoine local au service de tous
B. LOBET 10/09/2016 EGLISE DE HOVES
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi d’abord de remercier Mr l’échevin Dumont, qui a souhaité, a l’occasion de ces Journées du Patrimoine particulièrement dédiées au patrimoine religieux et philosophique, que je puisse prendre la parole et donner mon point de vue sur « les églises de nos villages, patrimoine local au service de tous. » C’est évidemment un point de vue limité, particulier – celui du curé local, doyen du lieu, mais je tâcherai de faire en sorte que chacun, quelle que soit sa sensibilité spirituelle, puisse s’y retrouver.
1. Je voudrais partir de cette église de Hoves, dans laquelle nous nous tenons ce soir. Elle constitue un exemple particulièrement parlant de l’intérêt « pour tous » du patrimoine religieux, et cela parce qu’elle nous raconte une histoire, notre histoire. La séquence des divers styles architecturaux, d’abord, nous indique que nous avons affaire à une longue histoire – nous venons de loin, chrétiens ou pas, nous ne sommes pas les premiers habitants de cet endroit, et nous héritons de ce qu’une longue lignée d’êtres humains nous a transmis de meilleur. Dès le XIème siècle déjà, peut-être avant – certains historiens parlent d’une paroisse déjà présente à Hoves au VIIIème siècle - dès le XIème siècle, comme le style roman en témoigne, il y eut ici des hommes et des femmes qui voulurent, le long d’une route déjà passante sans doute, établir un lieu de rencontre, d’intériorité et de prière. C’étaient des chrétiens, et des chrétiens soucieux, à cette époque, de manifester leur lien avec l’Eglise-mère de Rome : d’où la première titulature, celle de Saint-Pierre, qui précéda celle de Saint-Maurice remontant, elle, seulement au XVème siècle, précisément en 1425. Comme toujours, ils ont orienté le bâtiment vers l’Est, non pas, comme je l’ai lu ici ou là, pour indiquer la direction de Jérusalem, mais simplement pour indiquer l’Orient, le lieu où le soleil se lève, le lieu qui, pour les chrétiens, évoque la Résurrection du Christ, centre de leur foi. Ainsi, nous avons affaire à une histoire plus que millénaire : du VIIIème siècle au XXIème siècle, les évolutions stylistiques du bâtiment attestent d’une certaine vitalité de la communauté chrétienne. Probablement du reste la paroisse primitive du VIIIème siècle s’est-elle développée dans un domaine mérovingien dont l’étendue correspondait à la ville actuelle d’Enghien et aux villages de Petit-Enghien, Hoves et Graty, soit environ quatre mille hectares. Au début du XIIème siècle, nous connaissons une charte de donation de la paroisse faite par Nicolas Ier, évêque de Cambrai[1], à l’abbaye Saint-Denis-en-Broqueroie, qui restera l’Abbaye décimatrice jusqu’à la Révolution française. Une campagne d’embellissement est réalisée au XVIème siècle, avec les chapelles St Maurice au Sud et de la Vierge, au Nord, constituant en quelque sorte un faux transept. Le chœur actuel et le porche furent reconstruits au XVIIème siècle, après l’incendie de 1667, sous l’impulsion de l’Abbé Lambert de Jeneffe. Au XVIIIème seront adjointes les décorations en stuc des berceaux jadis lambrissés de l’église, la sacristie actuelle et la chapelle des fonts. Le sanctuaire, lui, sera rénové en 1980. Longue histoire, donc, qui raconte non seulement une diversité de styles architecturaux, mais la permanence d’une présence chrétienne qui désire faire signe, à chaque époque. J’ai déjà parlé de l’orientation à l’est – entrer dans une église, cela se fait donc par l’ouest, sombre, lieu de disparition du soleil, lieu de ténèbres, pour progresser paisiblement vers la lumière de Pâques, soutenus par la Vierge, qui a toujours son autel et le saint titulaire. Les touristes le savent-ils ? Je retiens cet exemple simple (on n’entre pas n’importe comment dans une église, on ne s’y promène pas n’importe comment, cela a un sens, que l’on soit ou non chrétien) pour dire que la conception patrimoniale défendue ce soir n’est pas simplement à mes yeux culturelle mais aussi, et au sens le plus large, spirituelle. Je veux dire par là qu’à mes yeux, le lien entre culture et spiritualité est un lien ouvert, important non seulement pour les croyants mais aussi pour les non-croyants, et que la dimension spirituelle de notre patrimoine s’adresse vraiment à tout le monde.
Il ne s’agit donc pas seulement d’entrer dans une histoire, d’apprendre les différences architecturales, d’admirer le savoir-faire des artisans d’autrefois mais, grâce aux soins apportés au patrimoine que constituent nos églises rurales, d’entrer dans une expérience qui s’adresse à tout le monde et dépasse de loin le clivage croyants/incroyants ou chrétiens/non chrétiens. Je voudrais insister sur ce point, car il me semble essentiel en un moment de désarroi spirituel où beaucoup de personnes sont en quête d’un supplément de sens, ou comme on dit quelquefois, d’un « supplément d’âme ». Notre patrimoine religieux peut le leur offrir, à condition qu’il permette une expérience spirituelle au sens large.
2. Il faut pour cela qu’il soit entretenu et mis en valeur. Et nous pouvons dire que, globalement, chez nous, il l’est. Je voudrais ici remercier les permanents des Fabriques d’église, qui sont tous des bénévoles et qui, en partenariat avec les communes, veillent à cet entretien de la façon la plus sérieuse qui soit. Je voudrais aussi ajouter ceci : étant donné que ce patrimoine est commun, qu’il appartient à tous, qu’il est géré en partenariat entre communes et paroisses, nous ne devons pas craindre d’être inventifs. Tout le monde sait bien que, la pratique habituelle de la liturgie catholique hebdomadaire étant ce qu’elle est, certaines petites églises sont fort peu fréquentées. Et que le risque, dès lors, est d’envisager purement et simplement leur fermeture pour réduire les frais globaux d’entretien que les communes doivent supporter – des communes dont nous savons aussi que les charges spécifiques augmentent. Nous devons trouver des solutions concertées pour essayer d’éviter cet état de fait – je considère personnellement que fermer une église, la désacraliser et la vendre au privé, même si c’est quelquefois inévitable, surtout pour de petites chapelles, c’est aliéner une part du patrimoine public. Je suis heureux de constater qu’ici à Silly, une bonne intelligence entre commune et paroisses a permis de trouver déjà des solutions protectrices de ce patrimoine commun. Ainsi, la chapelle de Saint-Marcoult, qui appartient à la Fabrique d’église de Silly, est-elle devenue, grâce aux efforts du Bourgmestre, un espace muséal permanent, tout en préservant la possibilité du culte. C’est une manière idéale, à mon sens, d’obtenir des fonds qui permettent l’entretien du bâtiment et de respecter son affectation toujours possible au culte. Chacun s’y retrouve. Autre exemple, Thoricourt : avec beaucoup de respect, chaque année, le « Théâtre au Vert » y utilise l’église pour le bonheur de tous, et l’église retrouve ainsi sa vocation ancestrale de bâtiment ouvert à chacun, de bâtiment du culte, certes, mais d’un culte accueillant à des manifestations parallèles, pourvu qu’elles soient évidemment respectueuses de la destination première du lieu. Je pense que nous pouvons et devons progresser dans cette voie – la petite et jolie église de Fouleng, par exemple, où la messe est célébrée seulement une fois par mois, devrait pouvoir devenir aussi un espace d’expositions temporaires d’œuvres d’art, peintures ou sculptures, et héberger ainsi le travail de certains artistes, sans gêner l’exercice du culte. Il me semble essentiel que chaque partenaire se réapproprie ces espaces cultuels, les respectent certes, mais leur donne aussi la chance de devenir aussi des espaces culturels et spirituels. Cela permettrait de respecter le souci des habitants, spécialement des habitants des petits villages, de voir conserver et respecter leur église – car même s’ils n’y viennent guère « à la messe », ils y tiennent. Est-ce par hasard que, sur les idéogrammes annonçant les centres des villages, on a toujours stylisé un clocher ?
Je voudrais résumer mon point de vue, et conclure.
Dans une société dominée par des logiques quantitatives et à base de calculs rationnels, notre patrimoine religieux fait appel à d’autres valeurs non quantitatives, qui sont de l’ordre de la beauté, de la grâce (de la gratuité de la grâce – vous retrouvez ici un propos de théologien), de ce qui n’est pas nécessairement rentable : là, encore une fois, se trouve le lien entre culture et spiritualité. Et c’est de ce lien que, croyants ou pas, nous avons tous besoin, pour l’offrir en héritage aux générations futures, qui en auront encore plus besoin que nous. Je vous remercie.
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[1] L’évêque de Cambrai Nicolas est Nicolas de Chièvres, mort le 1er juillet 1667. Il fut évêque de 1137 à 1167. Son « archidiacre » est Thierry, archidiacre du Brabant de 1132 à 1177. Les archives de l’abbaye de Saint-Denis en Broqueroie conservaient l’acte de donation concernant l’église ou « autel » de Hoves, document retranscrit dans la chronique de ladite abbaye, chronique rédigée au XVIIème siècle par dom Gérard Sacré (Bib. Royale de Belgique, ms II 5438/1-2) : « Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit. Amen. Que soit connu à tous, présents et futurs, que le Seigneur Nicolas, de bonne mémoire, évêque de Cambrai, a donné à l’église de Saint-Denis en Broqueroie l’autel de Hoves, avec ses annexes, à savoir Enghien-le-Château et le Vieux-Enghien, avec toutes choses appartenant de droit à ce même autel, libre et ‘sine persona’ étant sauvegardé en tout le droit de l’évêque et de ses ministres, cette donation, moi Thierry archidiacre de cet autel, j’en suis témoin et la concède. »
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