




Journée de récollection avec la pastorale de la santé – Samedi 16 mai 2015 – Mesvin
Animation : Myriam Tonus.
« Santé, salut : deux mots pour une seule vie »
Première intervention :
Salut / santé : mots en connivence, en proximité or dans notre mode de pensée fort enclin aux catégorisations, on n’a pas l’habitude de mettre les choses ensemble. D’un côté la santé, le corps et de l’autre l’âme. C'est ce qu’on apprenait quand j’étais petite - cf. le chant : « Je n’ai qu’une âme et il faut la sauver »...
Il faut bien reconnaître que dans notre société, la santé physique tient une très grande place ; à chaque début d'année, lors des vœux, on se dit : « bonne année, bonne santé ! ». C’est l’expression des vœux annuels alors qu’on pourrait dire bien autre chose. Aujourd’hui cela devient presque une tyrannie : on doit être en bonne santé. Un exemple : les femmes enceintes. Elles doivent surveiller ceci, cela, au cas où. L'obsession de la santé est telle que si on suivait toutes les directives, on mourrait... en bonne santé !
Par contre, les fins dernières, le salut : qui s’en préoccupe vraiment ? On continue, malgré nous, d'opérer une séparation entre notre réalité physique et le reste. J’ai longtemps cru que c’était le christianisme qui nous avait "coupés en deux" – jusqu’au moment où faisant du grec, j’ai eu la surprise très profonde de découvrir que cela remontait bien avant : 5 siècles avant JC – le temps païen.
On y rencontre différentes figures, dont Platon, qui fait parler Socrate. Surprise de découvrir la création du monde selon Platon : il y a à l’origine, au-dessus de nous, un monde parfait, le monde des idées – une idée par définition très abstraite : la Justice, la Beauté, la Bonté… Dans ce monde de perfection, il y a aussi des âmes. L’âme, Platon ne la définit pas avec précision. Il la qualifie d'immortelle. Au départ, donc, il y a ce monde idéal (on entend le monde idée...) et par une forme de dégradation, il y a des choses qui en descendent. Ce qui était parfait, immortel se transforme en matière et voilà qu’arrivent les corps, c'est-à-dire quelque chose de dégradé, imparfait, mortel. Cette matière, ce corps, c’est lourd, c’est pesant, ce n’est pas bon (en tout cas, nettement inférieur aux idées). Chaque fois qu’un enfant naît, une petite âme descend dans ce corps et vient l'habiter, enfermée comme dans une prison. La petite âme n’a jamais tout à fait oublié d'où elle vient, elle en garde des "souvenirs, une nostalgie de ce qui est beau, juste et bien ; à l’étroit dans ce corps qui n’en fait qu’à sa tête, sa seule aspiration est de retourner là d'où elle vient, et la mort est une forme de délivrance car elle lui permet de remonter au "paradis".
Le paradis est un mot qui vient du grec « paradaisos ». Jésus l'utilise sur la croix, quand il répond au "bon larron". C’est en fait un mot peu répandu, bien antérieur au christianisme, issu du mot persan « pairidaisa ». Il désignait à la fois l’Eden, le retour à l’état initial, le bonheur, de bonnes relations entre humains et avec le créateur puis cela a désigné le séjour des bienheureux, des élus, même en Perse. On est frappés de voir à quel point le vocabulaire chrétien est en réalité ancré dans des représentations... païennes.
Cette conception de l'être humain n'a pas disparu. Dans la prière que proposait cette année le jour de l'Ascension Prions en Eglise, on retrouve cette demande adressée au Seigneur : fais-nous revenir d'où nous venons !...
Au passage, cela explique par exemple ce qui se vit dans l’enseignement : si vous brossez le cours de math, de physique, c’est très grave. Si vous avez un échec en gymnastique ou religion ou même en sciences sociales, ce n’est pas trop grave. On pourrait dire schématiquement : plus c'est abstrait, mieux c'est. C'est pourquoi on considère comme "options fortes" le latin-grec, les sciences "dures", les maths...Par contre, tout ce qui fait appel à la technique et aux aptitudes manuelles est considéré comme inférieur. L'on continue à dire chez nous que si cela ne va pas en math-science, vous pouvez toujours descendre en sciences sociales. Si cela ne va pas encore, on descend en technique, de transition puis de qualification; si pas, descente encore en professionnelles : là on ne fait quasi plus de math, de langues, de sciences. Tout ce qui valorise les idées, la réflexion est considéré comme difficile, réservé aux meilleurs ; tout ce qui valorise le corps, le savoir-faire est considéré comme plus facile, accessible à ceux qui ne font pas partie de l'élite (c'est-à-dire ceux qui ont un diplôme universitaire). On est resté coincés dans ce schéma : plus c’est abstrait, plus c’est "spirituel", mieux c’est.
Parallèlement, et même si c'est moins prégnant depuis un demi-siècle, on a connu, surtout dans le christianisme, une espèce d’obsession par rapport à tout ce qui était charnel : la sexualité, bien entendu, mais aussi la gourmandise : pendant le carême, il fallait "se priver" de choses agréables à manger... Alors que si on y réfléchit un instant, en toute réalité, la vraie ascèse serait plutôt de s’efforcer d’aimer tout être humain, y compris ses ennemis, comme y appelle l'Evangile...
Dans la Bible, dans le monde sémitique, la vision de l’être humain n’est pas du tout de cet ordre-là. Si donc nous voulons entendre quelque chose de ce que disent les Ecritures à propos de l’être humain, il faut nous souvenir de quelque chose de capital. Dans le monde juif, un être humain est UN, il n’y pas d’un côté ceci, de l’autre cela, non. Il y a trois termes qui désignent les aspects de l’être humain, comme des éclairages sur une réalité indissociable. Basar : c'est le corps, les aspects extérieurs, visibles. Ce qui est premier dans l'anthropologie juive, c’est la chair, on ne peut pas la nier. Nous ne sommes pas de purs esprits. Nous sommes notre corps, il est ce que nous sommes. Mais ce corps est également nefesh : c'est la psyché, notre personnalité, ce qui fait notre caractère, nos défauts, nos qualités. C’est indissociable : pas de chair qui ne soit "animée", pas de psychè qui ne soit corporelle. Toute chair est personnelle. C'est ce qu'indique saint Paul quand il affirme que la "chair ressuscite" : c'est tout la personne, unique, qui est appelée à vivre d'une vie nouvelle (et pas seulement l'"âme"...)
Enfin, propre à l’être humain, il y a le souffle (ruah). Quand Dieu crée l’humain, il prend de la terre de l'adama pour façonner Adam, l'humain qui vient de l'humus – on pourrait dire le terreux et Dieu souffle dans ses narines. Dans la culture sémitique, l'humain est indissociablement porteur du souffle divin. Ce souffle est charrié par le sang. C’est pourquoi chez les Juifs, on ne peut ni le verser, ni le consommer. Si on perd le sang, on perd tout. D'où l'impureté extrême des femmes qui, chaque mois, perdent du sang, laissent échapper la vie...
Grande différence ! Quand on dit "esprit" en français, c’est tout à fait immatériel. C'est étrange, car au sens premier, le souffle, on va le sentir. C’est quelque chose de bien matériel : pensons à la respiration, au vent... En grec, pneuma, c’est le souffle. Dans les Béatitudes, quand le texte dit « heureux les pauvres en esprit », certains traduisent par : « heureux ceux qui sont à bout de souffle ». Ceux qui perdent la pneuma, qui n'ont plus de souffle, qui sont à bout de souffle...
Le souffle de Dieu, c’est ce qui va donner à la chair sa plénitude. Rien à voir, donc, avec un principe immatériel enfermé dans la prison de la chair ! C’est plutôt comme le souffle qui pousse la voile – Psaume 136 : «Je cours sur la voie de tes ordres car tu mets mon cœur au large »... Souffle qu’on représente à la Pentecôte par l’image du feu, lui aussi bien matériel, source de chaleur, capable de brûler, de consumer... Le monde Juif a donc une vision unifiée de l’être humain. Or chez nous, la dualisation continue, on l'a vu, de trainer dans les esprits et aujourd'hui, elle aurait même tendance à se radicaliser. Ce qui est prédominant, c'est la médecine purement organique. Chez nous, pour un symptôme, on passe du médecin généraliste au spécialiste de l’organe douloureux. C’est une médecine qui fait à la fois des miracles mais qui tend à nous réduire à des symptômes physiques uniquement.
Pensez aux enfants hyperactifs. Les enfants turbulents ont toujours existé... Je vois arriver à l’hôpital Van Gogh où je suis aumônière, des personnes qui font un burnout. On peut se retrouver 3 semaines en hôpital psychiatrique pour un burnout ou pour une fatigue du travail. Qu’est-ce que c’est que cela ? Il y a une radicalisation de la prise en charge des symptômes physiques et des maladies qui devient une tyrannie : on ne remboursera plus ceux qui ont bu, fumé et qui ont un cancer. Il y a là quelque chose qui réduit totalement l’être humain à cette chair où la maladie ne peut plus exister et la mort encore moins.
De l’autre côté, on rencontre un autre radicalisme : la "biologie totale". C'est une forme de sectarisme bien présent chez nous, qui tient des discours du genre : la chimiothérapie est plus nocive que le cancer. Si on a un cancer du sein gauche, c’est à cause de mauvaises relations avec le père, mais pour le cancer du sein droit, c’est à cause de la mère. Conséquence : on conseille de couper radicalement les liens avec les "personnes toxiques" de l'entourage... Rien n'arrive par hasard... Il suffit de vouloir vraiment, profondément. Si on ne guérit pas, c'est qu'on ne le veut pas vraiment... Voilà comment une autre forme de radicalisme, qui nie que le corps peut aussi dérailler génétiquement, que des accidents peuvent survenir.
Dans ce cas, on aurait tendance à tout psychologiser. Il est clair qu’à certain moment on peut ressentir plus durement les choses mais dire que toute maladie physique vient d’une cause psychique c’est un véritable radicalisme. N'oublions jamais que pendant des décennies, on a culpabilisé les mamans d’enfants autistes. On affirmait que la genèse de l’autisme était toujours à chercher dans un problème de relation, de communication entre la maman et l’enfant. Aujourd’hui, on semble s'acheminer vers un dysfonctionnement génétique... On est finalement dans cette radicalisation qui est véritablement destructrice pour l’être humain.
On verra comment le soin de Jésus est « un » : il s’adresse à la personne dans son entier, sans priorité, sans hiérarchie. J’aime évoquer ici ce que veut dire catholique – kata holos : selon le tout ; holos : on parle de médecine holistique, c'est-à-dire celle qui prend en considération à la fois les malheurs du corps et les désagréments psychiques. Certains médecins tiennent compte de l'ensemble : les circonstances de la vie, les états physiques. Pour moi, être catholique, c’est prendre en compte tous les humains (universalité), mais aussi tout de l’humain, le bon et le mauvais, ce qui construit et ce qui détruit, ce qu’on a et ce qu’on n’a pas, sa face claire et sa face sombre, tout !
Être catholique, c’est ne rien laisser sur le côté. La foi catholique se préoccupe de tout, c’est avoir soin, c’est se faire proche de toutes nos réalités humaines sans faire exception.
En pastorale de la santé- être acteur dans la Pastorale de la Santé – c’est se soucier, se faire proche, prendre soin de toute la personne. Il faut se le rappeler quand on s’approche de l’autre. Soit je me dis : je vais là pour aider la personne à supporter son épreuve ; mais c’est plus que cela, c’est plus que réconforter, ce n’est pas être le Simon de Cyrène de l'esprit, c’est vraiment s’intéresser à ce que la pathologie fait souffrir dans le corps. Les patients peuvent en parler à l’aumônier autant qu'au personnel soignant, il n’y a pas de frontière, on est là pour tout écouter.
Toute personne qui est active dans la Pastorale de la Santé doit toujours avoir dans la tête que l’autre est une personne, une chair. Même si on est envoyé par l’Eglise, que doit-on apporter ? Peut-être être d’abord là pour porter le souffle, vivre une rencontre de chair à chair. Il nous faut désapprendre le malheur platonicien - ce dualisme. La religion chrétienne est un scandale pour l’Islam parce qu’elle confesse une chose que même dans le judaïsme on ne peut pas penser : c’est que non seulement Dieu est Parole (dans l'Evangile de Jean, logos ) : c'est encore un terme grec qu’on trouve beaucoup chez Platon, mais en plus (ce que Platon n’aurait jamais dit, puisque pour lui, le logos est Dieu), cette Parole s’est fait chair ! C’est insupportable pour les autres religions. Imaginez que le plus étranger à l’être humain devienne chair... C’est quelque chose dont nous nous accommodons peut-être trop facilement : Dieu s’est fait chair.
Jésus, nous confessons qu’il est vrai homme et vrai Dieu - dogme qui demanderait à être travaillé aujourd’hui, pour une meilleure compréhension. Oui, Jésus est un vrai homme : se souvenir qu'il a été un petit enfant, qui a dû hurler la nuit, faire des dents… (nous avons trop tendance à faire de Jésus un aspect d’homme). Jésus devait être un convive agréable (on l'invitait aux fêtes), qui a dû attirer les enfants, les femmes. Il devait être un bon vivant ("Le fils de l'homme est venu mangeant et buvant, et vous dites de lui : c'est un glouton et un ivrogne" Lc, 7, 34). Voyez les représentations que nous en avons faites : visage triste, un regard tourné vers je ne sais quoi. Jésus pleurait (mort de Lazare)... et en même temps, nous disons : cet homme, c’est Dieu ! « Qui me voit, voit le Père ».
Cet inconnaissable que tous les humains cherchent, nous ne pouvons pas mettre la main dessus – pas de main sur Dieu. "Ce que nous disons être Dieu", comme écrivait Thomas d'Aquin, ce que nous appelons Dieu mais dont nous ne savons pas qui il est... Pour nous, c'est la figure de Jésus qui nous révèle le visage de Dieu. A ce moment, on se rend compte qu’on est dans une religion bien incarnée ! Car Jésus, homme et dieu, va mourir dans sa chair. Homme et dieu : alliance totalement impossible pour un esprit platonicien ; réunir à la fois ces deux choses en une seule réalité : la chair et le souffle. Et nous-mêmes, nous sommes mortels certes mais le jour de notre baptême, nous sommes appelés fils / filles de Dieu (par adoption dira Paul). Or, les enfants reçoivent et héritent des traits des parents. Le souffle que Jésus reçoit lors de son baptême et le nôtre, c’est le même. Ce n’est pas un produit au rabais. Nous sommes habités de la vie même de Dieu – nous sommes des êtres résurrectionnels, divinisables ; être qui s'est donné à voir de manière plénière, totale chez Jésus. Nous sommes donc aussi des êtres en devenir. Comme disait St Irénée : Cur Deux homo ? Ut homo Deus – littéralement : pourquoi Dieu humain ? Afin que humain Dieu. Le raccourci est saisissant !...
Comment cela se fera ? On ne peut pas l’expliquer ni s'en faire de représentation. On ne trouve pas les mots pour le dire, car c’est de l’ordre du mystère. La résurrection est en Dieu, or Dieu, nous n'avons pas de mots pour en parler avec justesse... Ce qui est en revanche bien affirmé dans les évangiles et chez Paul, c'est que ce corps qui est nous, est bien concerné par la résurrection.
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Pour le partage en groupe : une question : Avez-vous déjà vécu vous-mêmes soit en tant que malade ou visiteur, une expérience où seul le corps était pris en compte ou au contraire toute la personne était prise en compte ? Ce n’est pas uniquement dans le monde de la santé - Quel était le sentiment dans chaque cas ? Comment vous sentez-vous quand on vous réduit au corps uniquement ? et Quand vous sentez l’autre personne prendre soin de vous ?
Temps de groupe
Remontée en assemblée :
- Groupe varié : c’est important que notre visite soit toujours d’une personne à une autre personne. L’autre que nous visitons attend cela ; l’écoute est importante : entendre la souffrance et le lui renvoyer avec une autre question. La rencontre de visité-visiteur est déjà une résurrection en action.
- Groupe varié : une énorme distance avec le personnel soignant, le corps est bien soigné mais ne pas être considéré dans l’entièreté de son corps est très forte. « On venait voir si je vivais encore », cela a été vécu par deux personnes dans deux hôpitaux différents. Les VdeM trouvent important de prier car l’écoute est importante lors de la visite. Offrir à quelqu’un l’espace d’écoute. Interpellation : dans les relations dans les hôpitaux, les malades expriment leur désir d’euthanasie, ce chemin mis en place avec elle a permis de dépasser ce désir parce qu’un chemin a été construit, chemin qui s’est poursuivi vers le sacrement des malades.
En MR, beaucoup d’entraide entre les résidents car le personnel soignant n’a pas le temps.
- Témoignage d’une personne : respect par rapport à son corps malade.
Témoignage d’une relation dans une famille avec un enfant avec handicap : au cours d’une hospitalisation, écoute de la personne handicapée, révélation de la valeur de leur fils, reconnu et la famille est rentrée heureuse avec ce fils redécouvert.
Témoignage d’une personne accidentée- tétraplégique – sentiment d’un personnel qui était en difficulté entre eux et qui se répercutait sur les patients, manque d’humanité.
Témoignage au niveau du physique – de la dépression, conséquence que cela amène, prise en charge par son médecin mais très vite expression sur le vécu souffrant d’avant et même rejaillissant sur la spiritualité, ouverture à la totalité de la prise en charge du corps.
Mot de conclusion :
Dans ce que vous dites, il y a des choses qui font froid dans le dos. Dans certains lieux hospitaliers, les équipes sont en souffrance. Notre présence doit être catholique et donc aussi s’adresser au personnel, montrer qu’on s’intéresse à lui. Parfois il y a une distance très grande avec le personnel, parfois physique aussi. Certains patients sont parfois très difficiles et malmènent le personnel. Dans une MRS à Paris, 130 résidents passent par le restaurant, peu de gens remercient le personnel. Pourquoi ne dit-on pas merci aussi au personnel soignant ? Parfois on les enferme aussi dans ce qu’ils sont. Il suffit parfois de reconnaître.
Vous avez insisté sur la visite d’une personne à une autre personne. Nous sommes d’abord une personne humaine qui allons rencontrer une autre. La personne visitée, cela pourrait être moi, c’est une « visitation » où les personnes sont heureuses de se rencontrer.
Vous avez parlé de la prière et de l’écoute ; dans le livre des Rois, le jeune Samuel dit : « parle Seigneur, ton serviteur écoute ». Prier, c’est d’abord cela : s’ouvrir à une parole qui nous parle. Se mettre dans cet état de réception. A force d’avoir une prière qui écoute, notre oreille s’affine à ce type d’écoute au point de pouvoir tout entendre sans apriori.
La question de l’euthanasie n’est pas une question qu’on peut écarter d’un geste de la main. Attention à nos schémas. 8000 personnes en 2014 ont préparé leur fin de vie. Il faut pouvoir se poser cette difficile et délicate question à partir de l’écoute de la personne et non à partir des principes moraux préétablis. L’Evangile n’est pas un catalogues de principes, tant qu’on est dans le « tu peux, tu ne peux pas », on reste enfermé, on n’a pas un vrai travail de pensée qui prend en compte la personne.
Cette primauté de la personne on, la trouve illustrée par exemplechez saint Luc, dans la parabole du Bon Samaritain, archétype du modèle. On demande à Jésus : Qui est mon prochain ? Jésus va renverser le propos et raconter l'histoire d'un homme – un samaritain, ennemi des juifs – qui se fait proche, va faire tout ce qui est en son pouvoir pour prendre soin du corps et il va même s’assurer du suivi à long terme. C’est finalement ce soin du corps que Jésus met en évidence. De qui t’approches-tu ?... De qui te fais-tu proche ?.. .Il s’agit d’accueillir tout ce qui vient. Jésus ne trie pas.
Raison pour laquelle il renvoie à eux-mêmes ceux qui l'accusent de transgresser la Loi (en cueillant des épis ou guérissant un jour de Shabbat) : si la Loi est faite pour l'humain et non l'humain pour la Loi, alors lorsque l'humanité de l'autre est en jeu, on peut être amené à transgresser. Comme disait le chanoine De Locht : la transgression doit toujours se faire "pour" et non "contre". On ne transgresse pas, comme les adolescents, "contre" l'autorité, mais positivement, en vue de la vie d'autrui.
Le principe fondateur : quelle est la place de la Loi par rapport à ce que fait la personne ? Seule une écoute très inspirante peut nous aider.
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Après-midi : le lien entre santé et salut.
Deuxième intervention :
Le centurion – chez saint Mathieu : « je ne suis pas digne que tu viennes chez moi, dis seulement une parole ». Jésus dit : « rentre chez toi et qu’il te soit fait comme tu as cru ».
Saint Luc, chapitre 7 – Jésus chez Simon le pharisien – les disciples récriminent. Jésus dit à la femme : « ta foi t’a sauvée, va en paix ». Sauvée de quoi ? Elle n’a rien dit, sinon par des gestes extrêmement charnels : masser les pieds avec un parfum de grand prix... C'est une scène de profusion, très sensuelle : odeur, vue, toucher, larmes. « Va en paix ».
Saint Luc, chapitre 17 – les 10 lépreux que Jésus guérit. Un revient. Jésus dira : « où sont les 9 autres… relève-toi, va, ta foi t’a sauvée ».
Saint Luc, chapitre 18 – l’aveugle de Jéricho – Jésus s’arrête, demande qu’on le lui amène et quand il se fit approcher : « que veux-tu que je fasse pour toi ? »
Voici quatre passages dans lesquels la guérison et le salut sont unis. Ils sont guéris et en même temps « ta foi t’a sauvé » - mais guéris de quoi ? On ne sait pas.
Dans la religion juive, celle de Jésus, la personne toute entière est prise soit dans le mal, la destruction, soit est sauve. Si elle est sauve, sauvée, c’est entièrement. Un lien, une relation extrêmement étroite entre la santé du corps et la santé totale (pour ne pas dire de l’âme).
Les "sauvés" sont des gens finalement peu fréquentables : un romain, une femme de peu de réputation, un aveugle, un réprouvé… Jésus dit bien qu’il n’y a pas de faute, il casse le lien entre une faute morale dont on devrait être sauvé et la guérison qui concerne l’ensemble de la personne. Si on veut connaître le fin fond de l’intention de Jésus, on poursuit dans l’Évangile avec Zachée. Zachée c’est un sale type, un collaborateur qui collecte l’impôt et fait des magouilles, s’en met plein les poches au passage, c’est un affairiste (la curiosité le pousse à voir Jésus). C’est quelqu’un chez qui a priori on n’imagine pas aller prendre le repas. Or c'est vers lui que va Jésus. Dans la mentalité de l’époque, on comprend que l'entourage récrimine... Que s’est-il passé ? On ne sait pas mais Zachée dit : « je vais rendre ce que j'ai pris, puis donner la moitié de mes biens» – rendre la justice ensuite la profusion. Pour Zachée, cela se passe dans la région du rapport à l’argent. Jésus lui dit : « aujourd’hui le salut est entré dans cette maison parce que toi aussi tu es un fils d’Abraham ». La joie est entrée dans cette maison. Zachée est sauvé. « Car le Fils de l’Homme est venu chercher et sauver ceux qui étaient perdus / TOB : ce qui était perdu. Le salut, le sens de la mission du Christ c’est d'abord de chercher. Qui dit chercher, dit se déplacer. On n’attend pas qu’on vienne à nous. Formule qui est un des cœurs de l’Évangile. Qu’est-ce que la place d’un disciple de Jésus : être à notre tour chercheur et sauver tout ce qui est perdu. Dans tout être humain, même le plus grand, le plus généreux, il y a toujours une zone perdue.
Ce qui est perdu, c’est ce qui a perdu le chemin de la vie. L’œuvre de salut, c’est de maintenir en vie, de préserver quelqu’un de tomber dans les gouffres qui détruisent. Le salut (sôteria) = la préservation d’un danger. Le salut, c’est quand j’ai pu échapper au danger, que quelqu’un est venu me sauver, c’est être sauvé d’un péril. Le péril est toujours là, dès la Genèse.
La fausse humilité – je suis mauvais – est une manière de se détruire soi-même qui est « tu ne peux pas penser à toi, tu dois te donner aux autres » - on ne sera jamais assez bon. Il y a mille et une façons de se détruire soi-même dans la rancœur, la désespérance, dans les idées négatives. Pour ce qui concerne la destruction d'autrui, il suffit d'ouvrir le journal ou de regarder un JT ! Les paroles peuvent être, elles aussi, destructrices : « courage, l’échec approche »… « penses-tu qu’un jour tu seras intelligent ?» C’est destructeur ! Or, dans toutes les Ecritures, il s’agit toujours de sauver les humains.
Dans le Notre Père, « que ta volonté soit faite » est encore souvent entendu comme : telle est la volonté de Dieu, je dois accepter, supporter ce qui me fait mal, même si c'est incompréhensible… Eh bien, sii c’est cela la volonté de Dieu, alors je dis non. Quel est le père, quelle est la mère qui ferait souffrir ses enfants ? Si nous, qui sommes imparfaits, ne voulons pas cela, comment Dieu qui est la source de Vie et d'Amour le voudrait-Il ? Serions-nous meilleurs que Lui ?
La "volonté de Dieu", elle est exprimée en 1 Th 2, 4 : « Dieu veut que tous les humains soient sauvés ! » Tous ! Il n’est pas dit « ceux qui croient en lui », non, tous les humains. C’est cela que Jésus a chevillé au cœur et au corps. Tous les humains doivent être sauvés de ce qui les détruit.
Lors de son intervention à la synagogue, Jésus lit le passage d'Isaïe annonçant l'envoi pour la Bonne Nouvelle. Cette bonne nouvelle n'est pas d'abord un contenu, une foi à acquérir ! « Il m’a envoyé annoncer aux captifs la délivrance, aux aveugles, renvoyer en liberté les opprimés » : des choses tellement concrètes, charnelles... Allez demander à un prisonnier, qu’est-ce pour vous la liberté ? Allez demander aux aveugles, sourds, malades ce qui les sauverait...
Et le "jugement", ce n'est pas une sanction judiciaire, mais le moment où la vérité se fait (en grec, krineïn, c'est distinguer, discriminer, séparer le vrai du faux...). Le décisif du jugement : « j’avais faim et vous m’avez donné à manger »… C’est charnel, ce n’est pas "vous avez eu pitié" ; ce qui fera dire à Saint Jean : « celui qui aime est né de Dieu et connaît Dieu » – Nous sommes passés de la mort à la vie quand nous aimons.
Nous sommes des instruments de salut. Il commence maintenant. Ce qui est certain c’est qu’il commence maintenant. Saint Paul le dira aussi : « nous sommes ressuscités ».
Saint Jean, chapitre 3, 17 : Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique afin que quiconque ne meure mais ait la vie éternelle.
Quand Jésus dit « ta foi t’a sauvé » à la pécheresse, au lépreux, au romain, de quelle foi s'agit-il ? Il ne leur demande pas de se convertir au judaïsme ! Il ne leur demande même pas de croire en lui. C’est la foi en la puissance de vie qui est à l’œuvre depuis le livre de la Genèse. Croire en Jésus, c’est croire en la plus grande puissance de vie qui soit.
Dieu a tant aimé le monde... Et nous, aimons-nous le monde autant que Dieu l’aime ? Le monde, c'est-à-dire le tout : ce qui nous plaît, ce qui nous déplaît, ce qui nous ravit et ce qui nous heurte, les gens "bien" et ceux qu'on traite de "racaille"...
Dieu n’a pas envoyé son Fils pour condamner le monde mais pour le sauver – redire cette parole pour soi-même ; avons-nous ce regard, y compris sur ce qui dysfonctionne ? Jésus est celui qui s’approche, il se fait proche, il va se laisser approcher par tous ceux qui ont besoin d’être sauvés. Dans nos vies présentes, le salut concerne tout ce qui est blessé, malade, perdu. Oui, le salut est pour nous chaque jour. Cela nous invite dans notre service de prendre soin de toute la personne.
On pourra toujours dire : je ne sais pas faire des miracles. On ne peut pas faire ce que Jésus a fait mais la première parole qu’on peut adresser à un humain c’est par le corps : des mains qui nous ont touché, un regard, un baiser, la première fois qu’on a été pris dans les bras. La première parole, c’est une parole du corps. C’est une parole purement charnelle ; quand on reste malade, qu’on est très âgé, ou qu’on est en fin de vie, il y a quelque chose de cela. On redevient très fragile comme les petits enfants. Leur corps dit : je redeviens fragile, prenez soin de moi. La toute première parole lors d’une visite, c’est la parole du corps : que disent mes yeux quand je rentre dans la chambre de cette personne ? « Le corps ne ment pas » dit-on dans le théâtre. Un bon acteur est celui qui arrive à faire "mentir" son corps : il pleure mais il est heureux.
L’agape : si nous n’avons pas cela en nous, notre parole ne touchera pas. Nous avons aussi nos mains. Au-delà du respect de l’autre, il y a la possibilité de parler avec nos mains.
Cela fait partie du salut.
Le sacrement des malades : ce sacrement reste trop souvent encore lié à la fin de la vie, alors qu'il est lui aussi une ressource de santé-salut, de restauration.
L’Eucharistie, c’est la nourriture de notre souffle intérieur, de notre vie divine – le "pain de vie". c’est important de pouvoir communier. Plus la maladie est lourde, plus le sacrement doit pouvoir faire du bien. Le sacrement, c’est aussi quelque chose de très physique. Que fait Jésus pour guérir ? Il prend de la salive, il touche, il pose les mains... Comment a-t-on en arriver à une religion désincarnée avec, au centre, l’incarnation avec un visage de Dieu qui est tout sauf désincarné, dont le premier signe est de faire du vin avec de l’eau ?
Le salut c’est partout, toujours et tout le temps ; c’est donné, on n’a pas à le mériter ; c’est donné une fois pour toutes – relire Saint Paul...
Aujourd’hui, on est dans la tyrannie de la santé physique ; ne devrait-on pas tous et toutes travailler à améliorer la santé totale, restaurer le souffle ? On est dans une société qui est à bout de souffle. S’il y a des jeunes qui sont prêts à aller se faire sauter en Syrie, si des gens se noient dans la drogue, le boulot, l’hyper consommation… c’est peut-être aussi qu’on n’a plus assez d'air et d'espace pour respirer, on a besoin de ce souffle. Retrouver ensemble dans les lieux ce souffle qui secoue un peu tout. Tout à coup on se réveille ; tout à coup, il y a quelque chose qui peut venir. C’est cela qui nous réconciliera aussi dans notre unité avec notre corps et cela peut aider des personnes à se retrouver dans l’état qui est le leur. Pouvoir partager ce souffle, aider une personne âgée à retrouver la beauté. N’importe quelle personne âgée attend cette parole. Aujourd’hui, plus peut-être qu’autrefois, rendre la place à la personne. Jésus rend sa place à Zachée, au lépreux ; rendre la place et sa beauté à la personne. Etre convaincu que cette personne a en elle cette beauté que plus personne ne voit mais que Jésus voit. Nous pouvons être ces agents-là.
Quand je dis « réconcilier avec le corps », je pense par exemple à ce passage de la 1e lettre aux corinthiens (6,13-16) : "Les aliments sont pour le ventre et le ventre pour les aliments, et Dieu détruira ceux-ci et celui-là. Mais le corps n'est pas pour la débauche, il est pour le Seigneur, et le Seigneur est pour le corps. Or, Dieu, qui a ressuscité le Seigneur, nous ressuscitera aussi par sa puissance. Ne savez-vous pas que vos corps sont les membres du Christ ? Prendrai-je les membres du Christ pour en faire des membres de prostituée ? Certes non! Ne savez-vous pas que celui qui s'unit à la prostituée fait avec elle un seul corps ? Car il est dit: Les deux ne seront qu'une seule chair. Mais celui qui s'unit au Seigneur est avec lui un seul esprit." Quelle audace dans cette image de rapprochement ! Quand on s’unit au Seigneur, on ne fait avec lui qu’un seul souffle... Si on n’a pas compris, c’est qu’on ne le veut pas ! Paul poursuit : « votre corps est le temple de l’Esprit qui est en vous et que vous avez reçu de Dieu ». Paul fait un éloge extraordinaire de la chair et du souffle réunis. Prenez conscience que vous avez en vous le souffle. Au verset 20 : « rendez donc gloire à Dieu dans votre corps » - discours charnel. Comment peut-on rendre gloire à Dieu dans son corps quand on ne s’aime pas? Comment faire comprendre à la personne, lui faire ce don d’une espérance pour quelle puisse dire : moi qui suis âgée, malade, méprisée par les soignants, je suis habitée par le souffle de Dieu. Si nous n’en sommes pas convaincus, nous ne pourrons pas le transmettre. Mais si nous y croyons, nous pouvons parfois le transmettre, cela nous est donné. Ce n’est pas par nous-mêmes, ce sont des cadeaux qui nous sont offerts dans la foi. Ce qui est là, ce n’est pas moi, je suis la servante (= au service) du Seigneur, on essaye d’être cela. Si Dieu nous habite, si son Esprit nous habite, nous avons alors la possibilité d’offrir son salut. Ce n’est pas de la morale. Nous sommes là pour pouvoir offrir cette vision positive et dire « ta foi t’a sauvé ». Une personne qui retrouve le goût de la vie, le goût de sa valeur, etc., peut-être va-t-elle mourir mais si elle peut retrouver une lueur d’espérance, c’est gagné. On peut "mourir" comme un vivant...
Pour moi, le salut, c’est dire à la personne, à la chair : tu ne seras pas détruite par la mort, rien ne pourra te détruire. Nous pouvons, nous aussi, aider à "chasser les démons", comme Jésus le faisait, de façon très discrète - ce n’est pas se targuer d’avoir un don extraordinaire. Les "démons", au sens étymologique, c'est ce qui divise, qui empêche l'unification de la personne, ce qui la tourmente, ce qui lui barre l'accès à la vie. Si nous croyons que nous sommes animés du souffle de Dieu, si nous croyons que nous sommes présence du Christ dans le monde, alors nous devons nous atteler à cette tâche.
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Pour le partage en groupe : Quelle est la chose la plus difficile pour moi dans le service, la mission ? Y a-t-il quelque chose dans cette journée, qui peut m’aider dans cette difficulté ?
Temps en groupe.
Dernière assemblée :
Les difficultés dans la mission :
- Porter la communion
- Poursuivre la visite au conjoint
- Les personnes mises à part, antichambre de la mort
- Être bénévole aux Soins Palliatifs
- Aider quelqu’un à partir en paix
- La solitude en Maison de Repos
- Être dépositaire de la colère de la personne
- Opposition de la famille
- Quelqu’un qui reste accrocher à ses idées anciennes par rapport à l’Eglise
- Quand proposer le sacrement des malades dans un cheminement ; pouvoir la proposer à temps et qu’il soit reçu par la personne
- La collaboration avec l’équipe soignante – rejet, mal accueilli.
- Quand nous visitons quelqu’un qui tourne en rond dans ses problèmes, avec une surdité importante
- À quoi je sers ?
- Voir ce qui est apparent de la personne plutôt que ce qui est global
- Que faire quand on visite une personne de son entourage qui est agressive ?
Ce qui aide :
- Le travail en équipe – le partage en équipe- relire le vécu en équipe – reprendre une conférence ou un livre et échanger – étoffer nos équipes
- Là où nous ne pouvons pas aller partout, vivre la collaboration avec l’équipe soignante – « copiner » avec elle
- Remettre les difficultés au Seigneur
Conclusion de la journée
Nous sommes dans une société qui vit l’efficacité. Le problème quand on est avec des êtres humains, c'est que ce n’est pas du même ordre d’efficacité que lorsqu’on exerce une tâche technique. L’efficacité en matière humaine c’est beaucoup plus compliqué. Quand on est dans le soin, l’accompagnement, si on garde en tête ces principes - je dois arriver à quelque chose - consciemment ou non, on est nécessairement voué à des difficultés. Si un professeur porte sur lui-même un regard à partir de ce que savent ou ne savent pas les élèves, il y a de quoi se suicider ! Si le malaise est là aujourd’hui, c’est le malaise de pression d’efficacité. C’est un gaz qui s’insinue partout. Même dans les travaux de soin.
Nous sommes des serviteurs inutiles : non ! – l’adjectif = c’est « non indispensable ». Nous ne sommes pas indispensables : j’accepte d’être non indispensable, le monde ne va pas s’arrêter de tourner si je ne suis pas là. Mais je suis aussi très utile ! Cela est important parce que cela nous délivre d’un poids qui est celui de devoir arriver à quelque chose ; ce que les Évangiles nous proposent : la Parabole du semeur. On la prend toujours du côté de la terre. Si on se mettait du côté du semeur ? Le semeur sème vraiment n’importe comment. La générosité du semeur n’espère rien -sinon que quelque chose lève et il y a toujours quelque chose qui lève.
En matière de don et de salut, l’un sème et l’autre récolte (Jean) : l’essentiel est de semer sans nous préoccuper, sinon de la personne. Ce que va faire la parole, cela ne nous appartient pas. Même l’esprit qui est en nous nous a été donné non pas pour le conserver mais pour le donner ; face à des personnes qui tournent dans leur problème, face à des personnes sourdes, des personnes qui ne communiquent pas, des personnes dans le désespoir… nous sommes sans savoir. Nous ne pouvons rencontrer l’autre si a priori, nous savons ! La grande solitude, pour certains, c’est de savoir, qu'elle est seule et qu'elle le restera, et non la solitude de la peur de mourir. Parfois on empêche de partir – comme les mères enceintes qui ne laissent pas sortir l’enfant. Le laisser-aller est toujours difficile. Face à des personnes qui tournent dans leur problème, il faut leur parler, on ne sait pas ce qu’elles entendent. C'est très important de s'en souvenir, face à quelqu’un qui a tout contre elle : on n’est pas là pour ce qu’elle dit, on est là pour ce qu’elle est, parce qu’elle est une personne qui est belle. Il y a une question de distance aussi qui est jointe à l’efficacité. Quand on a eu une riche relation avec quelqu’un, on peut très bien ne pas la voir toutes les semaines, on sait que la personne est là. Le problème est parfois chez nous, qui voulons avoir la maîtrise des choses, savoir ; l’accompagnement des personnes est un chemin d’humilité, pas la fausse humilité - l’humilité, c’est de savoir qu’on vient de l’humus, ne pas se prendre le gros cou, savoir qu’on est là pour servir. L’Esprit souffle où il veut, on ne sait ni d’où il vient, ni où il va. L’esprit peut souffler ailleurs, il ne nous appartient pas. Ne pas viser l’efficacité est une première piste pour se libérer.
Un petit conte très éloquent, du poète brésilien Ademar De Barro :
"Une nuit, j’ai eu un songe. J’ai rêvé que je marchais le long d’une plage, en compagnie du Seigneur. Dans le ciel apparaissaient, les unes après les autres, toutes les scènes de ma vie. J’ai regardé en arrière et j’ai vu qu’à chaque scène de ma vie, il y avait deux paires de traces sur le sable: L’une était la mienne, l’autre était celle du Seigneur. Ainsi nous continuions à marcher, jusqu’à ce que tous les jours de ma vie aient défilé devant moi. Alors je me suis arrêté et j’ai regardé en arrière. J’ai remarqué qu’en certains endroits, il n’y avait qu’une seule paire d’empreintes, et cela correspondait exactement avec les jours les plus difficiles de ma vie, les jours de plus grande angoisse, de plus grande peur et aussi de plus grande douleur. Je l’ai donc interrogé : " Seigneur… tu m’as dit que tu étais avec moi tous les jours de ma vie et j’ai accepté de vivre avec Toi. Mais j’ai remarqué que dans les pires moments de ma vie, il n’y avait qu’une seule trace de pas. Je ne peux pas comprendre que tu m’aies laissé seul aux moments où j’avais le plus besoin de Toi. " Et le Seigneur répondit : " Mon fils, tu m’es tellement précieux ! Je t’aime ! Je ne t’aurais jamais abandonné, pas même une seule minute ! Les jours où tu n’as vu qu’une seule trace de pas sur le sable, ces jours d’épreuves et de souffrances, eh bien: c’était moi qui te portais. "
La question de la distance juste dans les relations est fondamentale dans l'accompagnement des personnes souffrantes. Cf. la parabole des hérissons, d'après un texte de Schopenhauer : "Un été, une famille de hérissons, vint s’installer dans la forêt, il faisait beau, chaud, et toute la journée les hérissons s’amusaient sous les arbres. Ils batifolaient dans les champs, aux abords de la forêt, jouaient à cache-cache entre les fleurs, attrapaient des mouches pour se nourrir, et la nuit, ils s’endormaient sur la mousse, tout près des terriers. Un jour, ils virent tomber une feuille d’un arbre : c’était l’automne. Ils jouèrent à courir derrière les feuilles, qui tombaient de plus en plus nombreuses, et comme les nuits étaient un peu fraîches, ils dormaient sous les feuilles mortes. Or, il se mit à faire de plus en plus froid, dans la rivière, parfois, on trouvait des glaçons. La neige avait recouvert les feuilles, les hérissons grelottaient toute la journée et la nuit, tant ils avaient froid, ils ne pouvaient fermer l’œil. Aussi, un soir, ils décidèrent de se serrer les uns contre les autres pour se réchauffer, mais s’enfuirent aussitôt aux quatre coins de la forêt, avec leurs piquants, ils s’étaient blessé le nez et les pattes. Timidement, ils se rapprochèrent, mais encore une fois, ils se piquèrent le museau, et chaque fois qu’ils couraient les uns vers les autres, c’était la même chose. Pourtant, il fallait trouver absolument comment se rapprocher : les oiseaux les uns contre les autres se tenaient chaud, les lapins, les taupes, tous les animaux aussi. Alors, tout doucement, petit à petit, soir après soir, pour avoir chaud, mais pour ne pas se blesser, ils s’approchèrent les uns des autres, ils abaissèrent leurs piquants, et avec mille précautions, ils trouvèrent enfin la bonne distance. Et le vent qui soufflait, ne leur faisait plus mal, ils pouvaient dormir, bien au chaud, tous ensemble…"
La colère de l’autre. Si l’autre est en colère, je dois pouvoir l’entendre avec bienveillance, sans lui apporter des réponses. Il peut la déposer devant moi, je reçois sa colère, je l’entends mais quand je quitte la chambre, je ne dois pas emporter la colère ni la souffrance, elles ne m’appartiennent pas, je peux accueillir, entendre, mais dire qu’on va les prendre en soi, cela sonne peut-être très bien mais ce n’est pas la bonne solution. A certain moment, cela risque même de créer de la dépendance.
Que faire quand on visite une personne proche : plus on est proche de quelqu’un, plus on doit veiller à cette question des distances. Si elle est agressive, on ne doit pas porter, si je me sens honteuse de ce que l’autre dit, je risque d’entretenir une certaine rancœur. On peut prendre distance, ce n’est pas de ma faute. On ne doit pas porter tout ce que l’autre porte ou qu’on voudrait voir porter. Ne pas confondre une bienveillance pleine, débordante et une forme de complaisance, qui au final ne permet pas à l'autre de se prendre en charge, d'habiter vraiment sa vie. Un bon thérapeute est quelqu’un qui est tout oreilles, qui peut tout entendre, qui donne un cadre dans lequel on peut tout dire, cela ne l’émeut pas, il est là pour entendre. Il ne prend pas pour lui. Attitude qui n’est pas réservée qu’à des professionnels, on peut l'adopter pour soi aussi.
Notre vie n’est pas liée à l’institution. Nous y sommes très utiles mais nous ne sommes pas liés à elle. On n’est pas sur terre pour être aimé de tous. Le vrai amour, l’agapè dans la bible ce n’est pas un sentiment, c’est un vouloir. Un mouvement intérieur où je veux la vie pour tous les humains quels qu’ils soient, même nos ennemis. Vouloir que leur vie soit sauve, qu'ils grandissent – quoi qu'ils aient été ou fait. La vie d'autrui ne m’appartient pas, tout ce que je peux faire, c’est l’accompagner le mieux que je peux par des mots, des gestes et pas par des raisonnements.
L’écoute prend au sérieux ce que dit l’autre. J’entends votre désespoir, j’entends votre peur de mourir sans prétendre connaître, savoir la solution.
Par rapport à la communion, la question est peut-être en amont : une distribution un peu automatique de la communion. C’est un peu comme à la messe : parfois un distributeur ferait bien l’affaire ! Il faut pouvoir prendre le temps, regarder la personne, pour que le geste prenne sens. Cela devient alors un geste relationnel : je te donne le corps du Christ et tu le reçois vraiment dans ton « amen ». Ce n’est pas un simple geste, comme l’apport d’un bouquet de fleurs... Le silence est important pour prendre conscience que ce n’est pas un geste automatique. Vis-à-vis de quelqu’un qui pourrait se déplacer, on peut y aller deux ou trois fois, puis lui proposer de rejoindre la célébration. Si elle persiste à ne pas vouloir se déplacer, creuser le pourquoi, enclencher un dialogue. Se mettre dans la disposition du cœur – pour faire en sorte que ce geste ne devienne jamais mécanique, qu’il soit toujours un moment particulier, un moment intense. Si cela perdure, voir en équipe pourquoi et comment y répondre ; peut-être y a-t-il en dessous une crainte d'un autre ordre : « si je ne prends plus la communion, vous ne viendrez plus ? ». Mais se souvenir qu'on n’est pas "sous contrat".
Idem avec les familles. On peut le dire sans brutalité, par exemple : votre papa a souhaité que je vienne. Demander à la personne de dire devant sa famille son désir. Je suis là pour répondre à sa demande ; ce qui est premier, c’est la visite d’une personne à une autre personne. Critère premier dans toutes les situations pour trouver des chemins, des pistes pour être en cohérence avec soi-même ; cohérence qu’on trouve dans son équipe.
(Prise de notes de Sœur Valérie Vasseur)
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Créé parDiocèse de Tournai