Lessines : procession des Pénitents
Chaque vendredi saint, à Lessines, se vit l'une des plus anciennes traditions de la ville : la procession de la mise au tombeau, dite des Pénitents. Cette année, elle se vivra le 10 avril.
Parmi les traditions majeures de Lessines, la plus ancienne est celle de la Mise au Tombeau du Christ, le Vendredi Saint, intimement liée à l'église Saint-Pierre. On fait généralement remonter sa naissance à un document d'archive des environs de 1475. Mais d'où provient cette tradition et comment a-t-elle évolué ?
Peut-être est-il envisageable d'en aller chercher les origines dans ce que l'on nomme les « présanctifiés », la réserve eucharistique consacrée le Jeudi Saint en vue de l'office du Vendredi Saint. Cette réserve était – et est encore - conservée hors de la vue des fidèles, en dehors du tabernacle, jusqu'à la consécration de la veillée pascale. C'est au moins au XIIIe siècle que l'Église prit l'habitude d'enfermer ces « présanctifiés » dans une capsula (dite aussi monumentum, sepulcre, scrinium, armariolum, fenestra, selon les sources) incarnant le sépulcre dans lequel le Christ fut inhumé au soir du vendredi de la Passion. Cette capsula était généralement située aux environs de l'autel et s'apparentait aux armoires eucharistiques. L'incendie de l'église Saint-Pierre à Lessines, le 11 mai 1940, permit la découverte de ce qui était peut-être la capsula de l'édifice, dans l'un des pans de l'abside du chœur, en regard de la crédence.
D'autre part, depuis le XIe siècle, l'Europe chrétienne avait adoptée un rite né en Angleterre vers la fin du siècle précédant, consistant à enfermer une croix dans un tombeau afin de sensibiliser les fidèles à la mort et à l'ensevelissement du Christ. Par la suite, ce symbolisme sera accentué par le fait de déposer les présanctifiés dans le même tombeau.
Enfin, à partir des environs de l'an 1000, les drames liturgiques prennent une place importante dans la chrétienté, il est probable que ce genre théâtral a aussi joué un rôle dans la gestation de la tradition lessinoise. Aujourd'hui, plusieurs intervenants lisent toujours la Passion durant l'office qui, à Lessines, a lieu a 19h30 et précède la procession dont il est le premier acte. Dès la fin du XIIe siècle, du fait de leur développement, l'Eglise exportera ces drames sur le parvis des églises, favorisant ainsi la naissance des mystères du Moyen-Âge.
Dissimulation des présanctifiés, enterrement d'une croix et mystères médiévaux sont très probablement, à des degrés divers et possibles, les bases de la tradition du Vendredi Saint lessinois. Jusqu'au XVIIe siècle, c'est dans l'église que le rite s'accomplit : on peut imaginer qu'antérieurement, les symboles des présanctifiés et de la croix ont été amalgamés (comme ce fut le cas à Bayeux), et traduits – ou complétés - par une représentation anatomique du Christ, un gisant, qu'à l'issue de l'office, on ensevelissait dans le sépulcre de la chapelle de la Trinité, dite aussi de Notre-Dame des Sept Douleurs. La tradition lessinoise du Vendredi Saint est donc fort probablement antérieure au dernier quart du XVe siècle.
En 1667, les semainiers de l'église stipulent que « Vendredÿ la prédication environ les six heures et l'office finirat comme de coustume ». Ces semainiers manquent entre 1668 et 1683. Par contre, celui de 1684 évoque une procession : « L'office se fera aussi comme de coutume et [...] au soir on fera la procession par la ville avec l'image de Notre Seigneur » : le rite s'est donc extériorisé et développé. En 1735, les explications sont limpides : « Vers les six heures du matin on prêchera la passion du Sauveur qui sera suivie du Service Dieu [l'office] et d'autres offices accoutumés. Vers les cinq heures du soir on fera la procession par la ville avec l'image de N :S : et R :J :C : [Notre Seigneur et Rédempteur Jésus-Christ] On prie chacun d'y assister avec piété et dévotion ». Les révolutions brabançonne et française viendront perturber la coutume qui, par souci de discrétion, réintégrera l'église jusqu'à sa fermeture en 1797. En 1802, le culte est rétabli. L'année suivante, l'office est annoncé à 7 heures tandis « [qu'] à 4 heures ont lieu les matines suivies de la procession parmi la ville ». La procession est donc transférée au matin avant de retrouver place, dès 1810, en fin d'après-midi. Dans les années 1930, on a voulu rendre à la Mise au Tombeau de Lessines son caractère musical ; en 1939, le vicaire Rousseaux publiera même une notice historique « Procession de la Mise au Tombeau », reprenant le rituel lessinois.
Si les statues du Christ et de Notre-Dame des Sept douleurs sont détruites en mai 40, la tradition se poursuit, jusqu'à la fin du conflit, dans la cour de l'école des Frères, rue Kugé, institution dans laquelle prend aussi place l'église provisoire. Dès 1945, la procession retrouve les rues de la ville et, en 1953, peut-être même déjà en 1952 alors que les travaux de restauration de l'église Saint-Pierre s'achèvent, une évolution capitale se produit de commun accord entre le clergé et le Syndicat d'Initiative, une transformation qui permettra au rite de résister aux bouleversements de Vatican II car il acquiert une dimension touristique : désormais, portant flambeaux et lanternes, les hommes seront vêtus de bure et cagoulés tandis que les jeunes femmes revêtiront une cape noire à capuche ; dès 1953, le sculpteur Harry Elstrøm fournira les nouvelles statues, gisant du Christ en chêne, Mater Dolorosa en noyer, venant remplacer les pièces en plâtre acquise durant la guerre. Des tambours viennent compléter le son lugubre des crécelles d'une procession qui sort à l'issue de l'office du Vendredi Saint, véritable « messe d'absoute » du Christ, dans une ville où tout éclairage public est proscrit. À l'issue du cortège, le convoi réintègre l'église où l'on procède à l'ensevelissement du Christ dans son sépulcre, après avoir achevé la lecture de la Passion, laissée en suspens pendant l'office.
Office, procession et mise au tombeau constituent une trilogie christologique, teintée d'une sobriété exacerbée. L'église Saint-Pierre, plongée dans une semi-obscurité où le rouge est dominant – couleur eucharistique du Vendredi Saint depuis le Concile – sert de cadre à l'office solennel ainsi que de point de départ et d'arrivée à une tradition unique dans le nord de l'Europe. Au sein de cette trilogie, sentiment de pénitence et richesse de la symbolique sont présents : la croix porte les instruments de la Passion ; les crécelles accompagnaient autrefois lépreux et pestiférés et remplacent les cloches proscrites pendant la trilogie pascale; les tambours conduisaient les condamnés à leur supplice ; l'encens parfume le corps du défunt tout en signifiant la volonté de purification des fidèles ; le clergé revêt les ornements sombres et les deuillantes, habillées de noir et portant la mantille, reprennent le rôle des pleureuses antiques. Enfin, les chantres alternent chants traditionnels, chapelet et déclamation des grandes intentions du monde d'aujourd'hui.
Née au Moyen-Âge, la tradition lessinoise de la Mise au Tombeau du Vendredi Saint a réussi à surmonter les accidents de l'Histoire et des hommes pour être, aujourd'hui, un rite qui ne cesse d'étonner. Croyants ou simples touristes qui rejoignent Lessines pour l'occasion puisent ce qu'ils souhaitent dans une tradition demeurée respectueuse de son histoire et de ses mutations.
(Extrait des Carnets du Patrimoine n° 81 : Le patrimoine de Lessines, Gérald Decoster ; Institut du Patrimoine wallon, 2011. PP. 19-20)
En pratique
Le Vendredi Saint, c'est bientôt...
La séculaire et traditionnelle trilogie lessinoise - office, procession et Mise au Tombeau - va déployer son austère et étonnante grandeur ce vendredi 10 avril 2020 en l'église Saint-Pierre et dans les rues de la cité.
Vous participez régulièrement à cette tradition qui existe depuis au moins cinq siècles et demi ; au cours des temps, des gens ont accepté d'en être les Passeurs, VOUS faites aujourd'hui partie de ces Passeurs, Passeurs à ceux et celles qui nous suivront et à qui nous laisserons cet héritage des siècles afin de le pérenniser, au-delà des affres de l'Histoire et des querelles des hommes. Le Vendredi Saint lessinois est un élément du patrimoine immatériel de l'Humanité même s'il n'en porte pas officiellement le titre.
Que vous vous y associez en qualité de croyant, de défenseur du patrimoine, que vous y participiez en groupe d'amis ou simplement pour vivre, de l'intérieur, un évènement si particulier, nous espérons que vous serez, comme d'habitude, au rendez-vous du Vendredi Saint 2020. Pour rappel, voici les modalités habituelles :
Pour les pénitents :
• À partir de 18h30 : habillage à la salle de gymnastique du collège Visitation-La Berlière, parvis Saint-Pierre ;
• 19h25 : départ du cortège des Pénitents vers l'église Saint-Pierre ;
• 19h30 : Office solennel de la Passion ;
• Vers 21h. : sortie de la procession suivie de la Mise au Tombeau.
Pour les jeunes femmes « capes noires » :
• À partir de 18h30 : habillage à la sacristie de l'église Saint-Pierre ;
• 19h30 : Office solennel de la Passion ;
• Vers 21h. : sortie de la procession suivie de la Mise au Tombeau.
Pour les « deuillantes », merci de porter un manteau noir et, si possible, une mantille ; vous pouvez vous joindre à la procession, derrière la statue de Notre-Dame des sept douleurs.
D'ores et déjà merci pour votre participation... à bientôt !
Les organisateurs
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Date du débutvendredi 10 avril 2020
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Créé parDiocèse de Tournai