Mai 2017
Jacques SOMMET, La condition inhumaine, présentation par Yves Rouillères. L'ouvrage reprend La condition inhumaine. Le camp de Dachau paru dans Etudes en 1945 et Hommes libres à Dachau. Essai de Sociologie, paru dans les Cahiers du Monde Nouveau en 1945, suivi de Dachau, bagne pour prêtres, de Léon de Coninck, Lessius, Namur, 2016.
Jacques Sommet, qui entra dans la compagnie de Jésus en 1934, fut déporté à Dachau en 1944. Etudiant, il était résistant, pour une résistance spirituelle et pour sauver la liberté de différentes catégories de personnes. Il étudiait alors en Sciences Po. Par la suite, il fut proche de Témoignage chrétien et il fut recteur de Fourvière. Le petit ouvrage de Lessius lui donne la parole pour décrire sa captivité, les conditions du camp, pour s'y livrer à un essai de sociologie sur ce que révèle l'existence dans les conditions inhumaines du monde concentrationnaire. Ce que la réflexion dégage, dit-il, les camps de concentration en témoignent. Il souligne ce qu'il reste d'une liberté paradoxale dans le coeur des captifs. Par sa réponse aux situations, la liberté de chacun posait l'acte qui l'engageait tout entier. La nuance que chacun apportait était faite de foi ou de sérénité, de confiance ou de désespoir. Quelle que soit l'issue, c'était là donner un sens aux événements, indépendamment des effets apparents. Cette nuance n'est autre que l'âme de l'homme en affirmant l'essentiel aux heures les plus incertaines d'existence. Son témoignage est engagé chrétiennement, et souligne comment la présence de l'Éternel apporte une lumière indispensable sur l'humanité aux prises avec l'imprévisible et le risqué. Une annexe fait découvrir le témoignage du Père de Coninck qui a assumé une sorte d'autorité ecclésiastique dans les circonstances des camps, où le sentiment d'une assistance providentielle s'alliait au bien spirituel qu'il aidait à atteindre.
Erwan Le MORHEDEC, Identitaire. Le mauvais génie du christianisme, Cerf, 2017.
La menace islamiste et la perte d'influence de l'Église dans la société pourraient mener les catholiques à l'inquiétude et au repli sur soi : la conscience d'être menacé peut donner la tentation de former une communauté qui s'affirme en se distinguant et en se coupant du monde. Être catholique comporte pourtant une autre signification qui interroge ce repli, celle de rester ouvert, d'être levain dans la pâte. Le Christ avait raison de prédire la contrariété à qui serait fidèle à sa Parole. Mais la persécution de la minorité que forment les membres d'une Église politiquement moins présente n'est pas une manière de dire qu'ils sont fidèles à la Parole.
L'identitarisme calcifie, fige la personne en même temps qu'il fractionne le corps social. Même si l'identité est indispensable à la personne et donc à un vrai dialogue. Le Morhedec relit l'histoire de la foi en France dans son pays. Il doit avouer des oppositions stériles qui ne sont pas souvent en phase avec l'évangile : celui-ci n' invite-t-il pas les chrétiens à contribuer à la société dans laquelle ils vivent par le service et la générosité d'un témoignage pour la vie ? Ce qui définit un chrétien est plus ce en quoi il croit qu'une identité à préserver. Le débat dans lequel entre ce livre est ouvert : il communique cette assurance que l'on ne saurait faire perdurer une religion d'amour en entrant dans une logique de confrontation.
Gérard FOMERAND, Le christianisme intérieur, une voie nouvelle ? Fidélité, Namur, 2016.
Le livre de Gérard Fomerand se veut un stimulant pour le christianisme contre le danger de l'extériorité. La religion chrétienne est en effet porteuse de certains risques à cet égard et son histoire le fait appréhender. Témoin d'un Christ crucifié comme Roi des Juifs alors qu'il affirmait que son Royaume n'est pas de ce monde, elle est devenue une religion officielle. Le dynamisme sémitique d'un fond messianique s'est trouvé figé dans le moule de l'impérialisme romain. Des siècles après, il y avait encore des chercheurs de Dieu qui contestaient une extériorité traduisant bien mal ce que l'incarnation aurait pu inspirer. Gérard Fomerand veut donc scruter pour trouver aujourd'hui les opportunités d'une veine spirituelle et intérieure dans le catholicisme occidental alors que la dimension extérieure, par exemple institutionnelle, a souvent pris le devant sur l'expérience de la « montée en Dieu ». Il scrute ainsi l'histoire des traditions de la prière chrétienne, avec le témoignage des saints de toutes les époques, il relit aussi comment l'Église de la Réforme a trouvé des témoins qui contestaient la rationalisation du christianisme et sa transformation en moralisme, il mentionne des pistes nouvelles comme par exemple la Communauté Mondiale des Méditants Chrétiens. Il se réfère en particulier au charisme de l'orthodoxie pour parler de ce qu'il appelle l'homme essentiel, à l'image de Dieu : on y évoque le travail d'unifier corps et esprit comme dans la tradition monastique. L'identité confessionnelle est dépassée dans cet élan de conversion intérieure. Des voix diverses depuis Kierkegaard jusqu'à Berdiaev ou Anselm Grün, ou des itinéraires spirituels comme ceux de Simone Weil ou d'Etty Hillesum éclairent notre temps comme celui d'un moment carrefour, un moment de conversion, un temps où notre tradition spirituelle a le devoir impératif de renouer avec ses sources pour les reformuler pour notre monde.
Philippe BARBARIN , Théologie et sainteté. Introduction à H.U. Von Balthasar, Parole et Silence, 2017, Paris.
L'ouvrage de Mgr Barbarin, familier de la personne et de l'oeuvre de Balthasar, introduit le lecteur au coeur d'une pensée qui fait sentir que la division entre théologie et spiritualité est le pire désastre survenu dans l'histoire de l'Église. Il invite à avoir une riche curiosité en écoutant les saints, pour mieux écouter un message qu'ils vivent pleinement. Dans l'amour seul est digne de foi, le grand théologien suisse donnait raison à la logique amoureuse de la foi pour accepter la Révélation. Le cardinal Lustiger, qui a écrit les lignes qui servent de préface à ce livre, a découvert dans ce livre-clé de Balthasar une veine spirituelle sur laquelle il convient d'insister. Plongé tôt dans la littérature et la musique, Balthasar prêtera une voix aux multiples témoins que sa culture lui a fait rencontrer, montrant toute l'importance de lire non pas pour se faire une idée de systèmes de pensée, mais pour rejoindre des auteurs réels, concrets – des monuments de la pensée comme Kierkegaard et Nietzsche que le jeune Balthasar : il faut discerner ce qui fait vivre. Balthasar regrettait les barrières conceptuelles à cause desquelles l'homme spirituel peut se croire interdit d'user de son intelligence. De toute la hauteur de son impressionnante culture, il a ramené au mystère du Christ et à son amour manifesté sur la croix, source de sagesse pour le chrétien qui le contemple. Il veut faire se conjuguer les voix que l'on classerait ailleurs alors que la Vérité est symphonique. Balthasar s'est fait témoin de cette vérité symphonique par Communio, une revue qui est en même temps un programme d'action. Dans ce fil conducteur de la communion, le chrétien, humble et mû par l'amour, peut mieux tenir à cette vérité : la catholicité demande de pouvoir écouter et se laisser mettre en question dans l'amour. Dans cette communion, il s'agit de faire tomber des barrières. Répercutant l'oeuvre abondante de cette pensée généreuse, l'ouvrage du cardinal Barbarin donne envie de la découvrir et d'y trouver une ouverture spirituelle gage d'un vrai dialogue d'une véritable écoute de l'autre. Pour le penseur chrétien, cela demande un travail de la pensée pour rejoindre la Révélation, pour éclairer et pour mieux faire valoir ce que Dieu a voulu nous dire.
Roberto REPOLE, Église synodale et démocratie. Quelles institutions ecclésiales pour aujourd'hui ? édition originale Come stelle in terra. La Chiesa nell'epoca della secolarizzazione, Assise, 2012, traduit de l'italien par Jean-Marie Faux et Paul Gilbert, Lessius, (La Part-Dieu, 30), Namur, 2016.
Comment les chrétiens peuvent-ils encore être des étoiles qui rayonnent par leur manière de vivre ? La sécularisation ne signifie pas la fin de cette demande, elle demande d'imaginer une manière inédite de vivre la religion et un visage nouveau de la communauté chrétienne. Cet ouvrage veut donner une aide pour penser comment l'Église peut faire signe aujourd'hui en particulier par des dimensions telles que la communion, la synodalité, le sens du ministère (en particulier celui du prêtre) et les modalités de son exercice, le rapport entre l'Église et les sociétés civiles organisées pour la plupart sous la forme de la démocratie. Le thème fait deviner que ce livre ira puiser dans les intuitions du concile Vatican II. Il reprend des articles parus dans différentes revues italiennes qui ont été revisités pour mieux rejoindre l'intention qui les unifie.
Il faut penser l'Église à une époque de fin de la chrétienté caractérisée par un passage de l'hétéronomie à une autonomie où l'on peut reconnaître présent l'idéal démocratique. Un thèmeclé est de dire que l'Église est communion : non par un souci d'organisation mais par un don qu'il faut recevoir dans la pluralité des sensibilités. Il faut traduire ce que transmet l'Église d'une manière inédite et qu'on n'aurait pas pu prédire dans le passé. L'ouvrage avance avec cette conviction que cela demande à l'Église de méditer sans cesse pour traduire en actes son message d'amour et de salut. La nouveauté radicale de l'Évangile demande une dynamique de conversion. Elle vient à point car elle représente une offre authentique à l'époque de la sécularisation. On retiendra en particulier ce qui est dit du ministère du prêtre dont l'image est sans doute moins claire que par le passé. S'ouvrent ainsi pour le prêtre de nouveaux défis dans une Église toute entière missionnaire. L'idée de démocratie est centrale pour penser les institutions dans le monde aujourd'hui. Elle n'est pas nécessairement en contradiction avec l'origine « verticale » d'une hiérarchie ecclésiale qui s'en trouverait alors menacée. Elle doit surtout interpeller : pour que la dimension visible et institutionnelle soit davantage liée avec le mystère même de l'Église qui est à vivre dans la communion. Cela signifie aussi que la présence de l'Église dans le monde peut reposer davantage sur une expression de ce mystère. Nourrir cette manière de vivre d'une fréquentation de l'Évangile peut la rendre plus crédible que de rappeler des rapports de type institutionnel pour faire accepter un pouvoir. Avant qu'il n'évoque plus explicitement le pape François, le livre aura montré les grands axes d'une pensée de l'Église – la synodalité, la voir comme Peuple de Dieu – qui cadrent bien avec les perspectives du pape actuel.
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Créé parDiocèse de Tournai