Homélie du 6 novembre 2016, Journée du Jubilé des détenus de l’Année Sainte de la Miséricorde
Homélie du XXXIIème dimanche dans l’année, en la Cathédrale, le 6 novembre 2016, Journée du Jubilé des détenus de l’Année Sainte de la Miséricorde
La semaine dernière, 30 octobre 2016, nous avions comme première lecture le livre de la Sagesse, un ouvrage du premier siècle avant Jésus-Christ. Le livre de la Sagesse, rédigé en grec à Alexandrie d’Egypte, fortifiait la foi des Juifs d’Alexandrie, une ville avec de nombreux temples païens. De plus, ce livre montrait la patience de Dieu devant ceux qui se laissent prendre par le mal. Dieu espère toujours la conversion des pécheurs. La Sagesse faisait ainsi un commentaire du livre de l’Exode, à propos des plaies d’Egypte envoyées pour faire changer le cœur du Pharaon.
Cette semaine, nous avons le 2ème livre des Martyrs d’Israël. Nous ne sommes plus à Alexandrie d’Egypte, mais à Cyrène, en Libye, à mi-chemin entre Benghazi et Tobrouk. La ville de Cyrène a été fondée en 631 avant Jésus-Christ par les habitants de Théra, aujourd’hui l’île de Santorin, dans les Cyclades grecques. Au IVème siècle arrive une colonie juive qui y demeure pendant des siècles. Au IIème siècle avant Jésus-Christ, Jason, un Juif de Cyrène, rédige cinq livres sur la révolte des Juifs contre le roi Antiocos IV Epiphane, un des successeurs d’Alexandre le Grand, qui a comme territoire celui qui va de la Méditerranée à l’Iran. Cet Antiocos interdit le culte juif, y compris en Judée ; il a même dédié le Temple de Jérusalem à Zeus Olympien. Un prêtre nommé Mattathias suscite une révolte contre Antiocos. Le fils de Mattathias, Judas Maccabée, lui succède comme chef de la révolte. Antiocos IV meurt en 164 avant Jésus-Christ. La révolte de Judas Maccabée et de ses frères Jonathan et Simon souligne le conflit très profond entre le judaïsme et la culture grecque. Toute compromission avec la culture grecque ne peut être que mortelle. La famille des Maccabées défend l’importance de la Loi et la sainteté du Temple de Jérusalem.
Les cinq livres rédigés par Jason de Cyrène font le récit d’événements qui vont de 175 à 135 avant Jésus-Christ. Les cinq livres sont résumés par un abréviateur. Ils sont devenus le 1er et le 2ème livre des Martyrs d’Israël.
Le 2ème livre des Martyrs d’Israël montre le caractère décisif de l’intervention de Dieu dans le cours des événements et le rôle efficace de la prière. Dieu est proche de son peuple ; il est prêt à écouter les requêtes de ses fidèles. Dans ce cadre est affirmée une réalité essentielle : non seulement, les morts ont une vie après la mort, mais ces morts vont ressusciter. De plus, il faut prier pour les morts et les morts intercèdent en faveur des vivants.
Le passage de ce jour parle du martyre d’une famille composée d’une mère et de ses sept fils. Ce récit était bien connu au temps des premières communautés chrétiennes. Certains pensent que le martyre a eu lieu en Judée ; d’autres pensent que ce fut à Antioche de Syrie.
Après leur arrestation avec leur mère, sept frères sont interrogés par le roi Antiocos, qui veut les contraindre à manger du porc, viande interdite par la Loi. Ecoutons le témoignage de quatre des sept frères :
– Nous sommes prêts à mourir plutôt que de transgresser les lois de nos pères
– Tu es un scélérat, toi qui nous arraches à cette vie présente, mais puisque nous mourons par fidélité à ses lois, le Roi du monde nous ressuscitera pour une vie éternelle
– C’est du Ciel que je tiens ces mains, mais à cause de ses lois je les méprise, et c’est par lui que j’espère les retrouver
– Mieux vaut mourir par la main des hommes, quand on attend la résurrection promise par Dieu, tandis que toi, tu ne connaîtras pas la résurrection pour la vie
Ces témoignages expriment la confiance en Dieu, le créateur de l’univers, le créateur de chaque être humain. Ils promeuvent l’obéissance à la Loi des pères, la Loi que Dieu a donnée à Moïse. Ils proclament la foi en la résurrection des morts. Voilà le contenu du témoignage des quatre frères livré par la première lecture de cette liturgie
Durant le même IIème siècle avant Jésus-Christ, le parti des sadducéens se constitue en Judée lorsque Jonathan Maccabée unit en sa personne la fonction de grand-prêtre et la fonction de responsable politique des Juifs.
Les sadducéens sont moins virulents à l’égard de la culture grecque, que les Maccabées. Ils s’en tiennent au Pentateuque, et sont prêts à vivre en bonne intelligence avec le pouvoir en place. Au temps de Jésus, la Judée fait partie de l’empire romain. Les sadducéens nient la résurrection des morts.
D’où la question qu’ils posent à Jésus à partir de la Loi de Moïse (Pentateuque) : lorsqu’un homme marié meurt sans enfant, son frère est tenu d’épouser la veuve afin de lui susciter une descendance. L’exemple pris par les Sadducéens est un cas d’école : si les sept frères n’ont pas pu susciter de descendance à l’épouse du premier, de qui cette femme sera-t-elle l’épouse après sa mort ? Jésus sait qu’il ne peut pas se fonder sur un livre biblique en dehors du Pentateuque pour affirmer la foi en la résurrection des morts. Il va par conséquent annoncer qu’au ciel, on ne se marie pas, puisqu’on entre dans un monde nouveau. De plus, Jésus cite Moïse qui, lors de l’expérience au buisson ardent, parle du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Et il ajoute : Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants.
Jésus est bien convaincu de la résurrection des morts. Sur ce point, il rejoint l’enseignement des pharisiens. Lorsque l’évangéliste Luc parlera de la résurrection de Jésus, il fera appel aux textes du Pentateuque, la Loi, et aux Prophètes, dont le livre de Daniel qui croit en la résurrection des morts. Jésus est ressuscité, dit Luc, selon les Ecritures, la Loi et les Prophètes.
En cette année de la Miséricorde, le Pape François a demandé que le week-end des 5 et 6 novembre, l’Eglise propose le Jubilé à tous les détenus. Dans les œuvres corporelles de miséricorde nous avons la visite des prisonniers : j’étais en prison, et vous êtes venus me voir.
Dans la tradition européenne, les détenus sont des personnes qui ont commis des actes graves, qui sont passées en jugement et qui purgent une peine dans l’attente d’une nouvelle insertion dans la société, comme citoyens libres.
Nous savons bien que nombre de détenus sont torturés et mis à l’ombre sans avoir pu bénéficier d’un jugement équitable. Il n’est pas question pour eux de reprendre les relations de citoyens dans la société. Nous savons également que ceux qui ont commis des crimes abominables sont pratiquement poursuivis jusqu’à la fin de leur vie par les médias, l’opinion publique et bien d’autres acteurs de la société : il n’y a pas de pardon possible ; la peine ne peut s’arrêter qu’avec leur mort. Nous savons enfin qu’en plusieurs régions du monde des croyants sont poursuivis, torturés et mis à mort à cause de leur foi. Il y a au XXème siècle infiniment plus de martyrs chrétiens que durant les trois premiers siècles de l’ère chrétienne.
Oser revoir la question de justice à la lumière de l’Evangile est une tâche ardue. Plusieurs Etats de droit estiment que la prison ne remplit plus le même rôle qu’au XIXème siècle. Il faudrait procéder autrement pour faire justice, pour insérer ceux qui ont fait le mal dans un nouveau chemin de vie. C’est la raison pour laquelle le Pape François demande à tous les chrétiens de discerner ce qui convient pour accompagner les détenus. Le Cardinal De Kesel a rédigé une lettre dans ce sens. Une prière rédigée par l’aumônerie catholique des prisons peut nous éclairer dans ce discernement.
Dans sa lettre aux chrétiens de Thessalonique, l’apôtre Paul demande de prier pour lui, qui, sans cesse, risque d’être arrêté par des personnes qui sont contre lui : Priez pour que nous échappions aux gens pervers et mauvais, car tout le monde n’a pas la foi. Le Seigneur, lui, est fidèle : il vous affermira et vous protégera du Mal. Prions pour les persécutés et pour ceux qui se sont laissé influencer par les pervers et les victimes du Mal.
+ Guy Harpigny,
Évêque de Tournai