Oignies : les reliques de Jacques de Vitry bientôt de retour
Les 22 et 23 novembre 2018, un colloque s’est tenu sur le projet CROMIOSS, études croisées mêlant diverses disciplines sur les reliques de Jacques de Vitry, évêque du 13e siècle enterré à Oignies, dans le diocèse de Tournai. Une belle boîte de Pandore s’ouvre dans le domaine de la recherche.
Trois ans se sont écoulés depuis que Mgr Harpigny est allé dans l’église Sainte-Marie d’Oignies, le 8 septembre 2015, pour assister à la procédure d’ouverture du coffret contenant les reliques de Jacques de Vitry, conservées depuis les années 70 dans cette église. De nombreuses institutions ont collaboré au projet CROMIOSS, selon leur domaine de recherche propre, pour faire avancer la connaissance sur le sujet en général, mais également apporter des réponses sur ces reliques. Citons entre autres la Société Archéologique de Namur (porteuse du projet), le Musée des Sciences Naturelles de Bruxelles, l’Institut Royal du Patrimoine Artistique à Bruxelles ou encore l’Université de Namur.
Ces recherches croisées, financées par le Fonds Jean-Jacques Comhaire de la Fondation Roi Baudouin, ont permis d’investiguer des champs aussi divers que complémentaires de l’anthropologie, de l’analyse ADN, de la conservation-restauration des textiles, des datations au carbone 14 ou encore des sciences appliquées comme la génétique ou la physique. Cette expertise interdisciplinaire avait pour but de répondre à la question : « Peut-on identifier les reliques comme celles de Jacques de Vitry ? ».
Mort à Rome en 1240
La première journée du colloque a porté uniquement sur les résultats des diverses recherches menées par les institutions engagées dans le projet CROMIOSS. L’étude anthropologique a permis d’identifier 26 os, tous du même individu, et 7 dents. Des arrêts de croissance ont pu être observés et s’expliquent par un stress physique lors de la croissance de l’individu, comme maladies ou phases de malnutrition. Les traces de coupures, observées également sur les ossements, indiquent quant à elles un démembrement du corps, probablement lors d’un traitement apporté au corps en vue d’un long transport.
En effet, Jacques de Vitry est mort à Rome en 1240 et, conformément à son testament, a été enterré à Oignies. Cette étude anthropologique couplée aux rayons X a donc confirmé l’appartenance à un seul individu, de sexe masculin, d’une stature de 1m65, âgé au moment de la mort d’environ 55 ans et ayant eu deux carries et un abcès ! Outre les reliques présentes dans le coffret, un tibia qui était présenté indépendamment et sous cadre a pu également être rattaché à l’ensemble. La fabrique d’église a en effet précisé « que ce cadre-reliquaire a été rapporté à l’église Sainte-Marie d’Oignies par la police, il y a de ça des décennies, sans information sur sa provenance… ».
ADN dégradé
Jacques de Vitry a beaucoup voyagé pendant sa vie et il semblerait que ses reliques aient suivi le même chemin… Après ce premier périple de Rome à Oignies, les reliques auraient été ouvertes en 1636, 1759, 1808, 1970 pour être déplacées à l’église d’Oignies, et enfin en 2015 pour le projet CROMIOSS. Ces manipulations répétées des reliques et des deux mitres conservées de l’évêque ont malheureusement dégradé l’ADN et n’ont pas permis de trouver des traces valablement conservées pour une exploitation scientifique.
Néanmoins, faute d’ADN, on peut à présent profiter d’une reconstruction faciale de l’évêque, réalisée à partir du crâne. Un résultat plus que bluffant, bien que Caroline Polet, l’anthropologue du musée des sciences naturelles de Bruxelles ayant étudié les reliques, s’étonne « de l’aspect bouffi et un peu bourru de ce personnage aux traits masculins fort marqués, alors que le crâne étudié faisait preuve d’une forme très gracieuse ». Une reconstruction peut-être un peu rude qui en étonne plus d’un : pourquoi faire cela ? La réponse tombe sous le sens pour les porteurs du projet : afin de rendre concret le personnage historique et individualiser les reliques par une représentation permettant de répondre à une curiosité locale.
Bientôt de retour « à la maison »
Les mitres ont également fait l’objet de plusieurs communications présentant les résultats de recherche sur le style, l’iconographie ou encore la technique et l’analyse des matériaux constitutifs. De nombreuses photos prises par Guy Focant, ainsi qu’un film réalisé par Emmanuel Legrand, permettent de se replonger dans les différentes phases de cette étude menées sur plusieurs fronts pendant près de 3 ans.
La journée du vendredi a quant à elle été consacrée au partage d’expérience de musées ou d’institutions ayant étudié également des châsses ou des reliques.
Ce colloque riche en partage d’expérience ouvre la porte sur un nouveau champ d’étude des reliques auquel la science a beaucoup à apporter. La question qui brûle maintenant les lèvres de la fabrique est de savoir quand les reliques seront de retour à Oignies. Une date aurait été annoncée d’ici janvier 2019. L’église d’Oignies fait d’ailleurs partie intégrante d’un projet de centre d’interprétation du proto-béguinisme, sur l’initiative de Rita Fenendaël, chercheuse retraitée de l’UCL et spécialiste du proto-béguinisme. Un projet mené en collaboration avec l’Evêché et la commune d’Oignies autour de la figure de sainte Marie d’Oignies, dont Jacques de Vitry était le biographe.
Déborah Lo Mauro
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Photos : © Guy FOCANT |