L’Église à la rencontre d’un secteur en souffrance

L’Église à la rencontre d’un secteur en souffrance

Attentifs à ce qui se vit dans la société civile, les évêques de Belgique souhaitaient rencontrer des représentants du monde agricole pour écouter leur analyse de l’avenir de leur profession. Mgr Guy Harpigny s’est rendu dans la ferme d’Ingrid et de Patrick, à Montignies-sur-Roc, pour un long échange à bâtons rompus…

Depuis début 2024, de nombreuses manifestations d’agriculteurs se sont déroulées un peu partout en Europe et ont notamment bloqué Bruxelles et les routes belges pendant plusieurs jours. Pour réclamer une simplification administrative au niveau européen, moins de contraintes, et pour sensibiliser l’opinion publique à la difficulté d’un métier pourtant en première ligne pour remplir nos assiettes.

Dans leur ferme de Montignies-sur-Roc, Ingrid et Patrick passent peu à peu le flambeau à leur fils Hervé, agronome de formation. Mais on les sent toujours aussi impliqués dans le monde agricole, soucieux de le défendre et de le faire mieux connaître. «Il y a un point commun entre vous et nous, Monseigneur. Notre métier est un sacerdoce!», s’exclame Patrick. Depuis 1987, ces enfants «d’immigrés» flamands, comme ils le disent en souriant, font vivre leur exploitation en transformant le lait de leurs vaches. Aujourd’hui, 250 animaux, dont une centaine de vaches laitières, leur permettent de produire du beurre, du fromage, des yaourts ou encore de la glace. Et dans le petit magasin attenant au corps de logis, ils mettent aussi à la vente des produits issus de fermes des environs.

Une image écornée

En reprenant la ferme de producteurs de beurre, Ingrid et Patrick ont misé sur un secteur amené à disparaître et pas spécialement innovant. «On a pas mal ramé au début», reconnaît Patrick. «Tous les agriculteurs autour de nous avaient dans les 55-60 ans, et nous sommes restés presque seuls pour les dix villages des Honnelles à faire de la transformation.» En 30 ans, le nombre d’agriculteurs en Belgique a d’ailleurs chuté de 70%.

Avec Mgr Harpigny, les deux exploitants évoquent les quotas laitiers, la Politique Agricole Commune, les interactions avec le secteur agro-alimentaire, le rôle de la grande distribution, les baux à ferme, les terrains rachetés par de grands groupes et le retour d’un système quasi médiéval de métayage.

Ce qui chagrine surtout Patrick, c’est l’image de pollueurs que les agriculteurs traînent derrière eux. «On est souvent considérés comme les responsables des problèmes écologiques, du réchauffement climatique. Mais ce n’est pas uniquement dû à l’agriculture, on a tous une part de responsabilité. Les agriculteurs produisent environ 10% des gaz à effet de serre. Et il y a beaucoup d’éléments faux qui circulent, causant une incompréhension du monde extérieur par rapport à notre métier. Et en même temps, la souveraineté alimentaire est en train de nous échapper.»

Des mentalités qui changent

Un métier en pleine mutation, que l’on ne vit plus aujourd’hui comme il y a 50 ou 100 ans. «Les enfants d’agriculteurs qui reprennent les exploitations partent en vacances, souvent dans les couples l’un des deux travaille à l’extérieur,… Le monde agricole évolue à une allure dingue, mais un peu en marge de la société, dans l’ombre, il manque de sensibilisation. Et pourtant c’est un métier essentiel.»

Il n’empêche, quand on n’a pas une famille solide autour de soi qui s’investit dans la ferme et apporte son soutien, la profession peut s’avérer extrêmement difficile. «L’émission ‘L’amour est dans le pré’, c’est la caricature d’une certaine réalité. Certains agriculteurs se retrouvent seuls, dévorés par le système. En France, on compte un suicide d’agriculteur par jour!», s’alarme Patrick. À tel point qu’il existe en Wallonie une cellule d’écoute, Agricall, pour apporter une aide psychologique aux fermiers en détresse.

Pourtant, Ingrid et Patrick ne veulent pas jouer les Calimero et ne relayer que la colère, les revendications ou la pénibilité de cette profession qu’ils aiment. «Le monde agricole a péché en matière de communication, c’est un monde assez fermé sur lui-même. Nous devons apprendre à mieux communiquer, être unis pour défendre ce métier.» Et quand ils font faire le tour du propriétaire à leur invité, c’est avec une énorme fierté qu’ils font découvrir leur histoire, leur quotidien et leur production. De parfaits communicants!

Agnès MICHEL

Pour un soutien aux agriculteurs : Agricall – 0800 85 018 – www.agricall.be

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