Invitation pour faire mémoire des victimes d’abus, en la Cathédrale de Tournai
La visite pastorale du Pape François en Belgique, du 26 au 29 septembre 2024, a marqué les esprits pour plusieurs raisons. L’avenir dira ce qui restera comme éléments fondamentaux pour les membres de l’Église catholique en Belgique.
La visite d’État du Pape François comportait plusieurs rencontres importantes avec le Chef de l’État en Belgique, le Roi Philippe, ainsi qu’avec ce qu’on appelle les Corps Constitués. On l’a vu à l’aéroport de Melsbroek le jeudi 26 septembre au soir: le Roi et la Reine pour l’accueil au bas de l’escalier de l’avion, le Premier Ministre et la Ministre des Affaires étrangères, l’armée, etc. Les Recteurs des universités de Leuven et de Louvain-la-Neuve, l’archevêque de Malines-Bruxelles et les évêques diocésains étaient présents en raison de l’invitation faite il y a des mois pour les 600 ans de «Louvain».
Le vendredi 27 septembre, comme pour toutes les visites d’État, le Palais avait invité les représentants de tout ce qui compte dans l’État belge: Présidents de la Chambre et du Sénat, Premier Ministre et autres ministres fédéraux, ministres-présidents des régions et communautés, ministres d’État, ambassadeurs, recteurs de toutes les universités, procureurs, chefs de culte, victimes d’abus dans l’Église et responsables des personnes chargées de les accompagner, représentants de beaucoup d’associations publiques du monde catholique. Le Centre d’Action Laïque, dont l’impact dans les médias est inversement proportionnel au nombre de ses membres, comme l’écrit justement Vincent Delcorps [Ndlr: directeur de rédaction de CathoBel], ne comprenait pas que le Pape s’adresse à la Nation! L’ignorance de ceux qui jugent tout à partir du XVIIIe siècle est abyssale. Il suffit de regarder la structure d’une visite d’État dans notre pays. Et, comme l’a bien justifié Vincent Dujardin [Ndlr: spécialiste de la monarchie et historien à l’UCLouvain], il suffirait de regarder les visites d’État du Dalaï Lama et des rois d’Angleterre, chefs de l’Église anglicane.
Le dimanche matin, 29 septembre, au stade Roi Baudouin, l’eucharistie était ouverte à tous. Le Roi et la Reine ainsi que la famille royale, presque au complet, y participaient. De même, à Melsbroek, un représentant du gouvernement fédéral était présent lors du départ du Pape pour Rome.
Une rencontre avec les victimes
Pour préparer l’accueil du Pape, un aspect fort douloureux a été étudié avec beaucoup de soin. À tel point que les médias ont surtout retenu celui-là: les abus sexuels sur mineurs dans l’Église catholique.
Dès le départ, il avait été prévu une rencontre entre le Pape et des victimes, en un lieu discret. Des victimes ont été réunies durant les mois qui ont précédé la visite du Pape. Finalement, quinze d’entre elles ont accepté de le rencontrer, avec interprètes et personnes compétentes pour ce genre de rencontre. Comme à son habitude, le Pape a été à la hauteur, et bien au-delà de ce qu’on attendait de lui. Il a pris le temps nécessaire pour écouter chaque victime, il a manifesté beaucoup d’empathie, il a témoigné en vérité de sa compassion, il a insisté sur les progrès encore à faire pour les accompagner et il a promis de les revoir à Rome l’année prochaine.
Grâce à cette rencontre, les responsables de l’Église catholique en Belgique, en ce domaine, peuvent aller de l’avant pour «proposer» aux victimes des rencontres régulières en vue de finaliser une procédure beaucoup plus professionnelle dans leur accompagnement.
On sait que l’Église catholique en Belgique a surtout été attentive à l’accompagnement des victimes à partir de 1997, suite au tremblement de terre de l’affaire Dutroux en 1996. On sait que la démission en 2010 de l’ancien évêque de Bruges, aujourd’hui reconduit à l’état laïc, a provoqué la constitution d’une commission parlementaire. Un dialogue entre le Parlement fédéral, les évêques et les représentants des religieux a abouti à des décisions, qui ont été appliquées correctement. Je dis: « on sait ». En fait, on ne veut pas le savoir.
Prises de parole engagées
L’émission Godvergeten, à la VRT, au lendemain de l’ordination de Mgr Luc Terlinden en septembre 2023, a martelé que l’Église «ne faisait rien pour les victimes». Le Parlement fédéral a constitué une commission d’enquête, en ignorant la commission des années 2011-2012. La commission spéciale du Parlement flamand a, elle aussi, ignoré le travail antérieur. Une série de recommandations ont été faites par les deux commissions. Le résultat le plus visible a été une explosion des demandes de débaptisation, à savoir la notification dans les registres de baptême de la volonté de l’inscrit à se retirer de l’Église catholique.
Les évêques et supérieurs religieux de l’Église catholique initient une procédure nouvelle, qui pourrait rencontrer les demandes des victimes. On verra comment les recommandations des deux Parlements pourront être appliquées.
C’est pourquoi il était intéressant de voir comment, comme Chef d’État et comme Pasteur suprême de l’Église catholique, le Pape François allait intervenir sur ce sujet de manière publique. En fait, il a dépassé toutes nos espérances.
D’abord au Château de Laeken, devant les Corps Constitués, en présence de quelques victimes et du prêtre qui, depuis les années 1990, en veut à la «hiérarchie» de l’Église catholique de n’avoir «rien fait». Après avoir écouté le discours du Roi Philippe, qui a abordé le sujet, et après avoir écouté le Premier Ministre, qui a encore insisté sur ce point, le Pape a commencé à lire son discours. À un certain moment, il a quitté son texte et il a parlé des victimes avec une force incroyable. Il ne les avait pas encore rencontrées. Il parlait par conséquent de ce qu’il a comme «jugement» sur le sujet. Il n’a pas reculé devant ce qui devait être réservé aux abuseurs. La référence aux Enfants Innocents d’Hérode, le scandale, la blessure tout au long de la vie, rien n’a été oublié par le Pape. Les Corps Constitués ne peuvent pas dire que le Pape ne s’est pas engagé comme Chef de l’Église catholique.
Ensuite, à la Basilique de Koekelberg, comme Pasteur suprême de l’Église catholique. Mia Van Schamphelaere, responsable du point de contact pour la partie néerlandophone du pays, a posé des questions au Pape. Celui-ci a répondu avec justesse, a remercié pour le travail déjà accompli, a demandé d’aller plus loin encore, a encouragé à suivre avec amour et justice les victimes blessées à vie par ce qui leur est arrivé.
Lors de l’homélie de l’eucharistie du dimanche, le Pape est encore revenu sur la question.
Manifester notre compassion
Devant ces interventions on ne peut plus claires du Pape François, comment ne pas être étonné de l’ignorance affichée de quelques ecclésiastiques qui, venant d’une autre «planète», osent affirmer que les responsables de l’Église catholique en Belgique n’ont jamais rien fait pour les accompagner? C’est étonnant. On peut dire qu’on a des difficultés à comprendre les mentalités en Belgique. Mais oser dire que rien n’est fait dans le domaine des abus sexuels sur mineurs, là, je reste pantois.
Dans cette perspective très officielle de l’Église catholique, il me semble que nous ne pouvons pas nous arrêter dans l’accompagnement des victimes. Écouter le Pape: oui. S’informer sur la procédure nouvelle à mettre en œuvre: oui. Mais, aussi, manifester notre compassion: faire quelque chose nous-mêmes avec nos moyens. C’est une des raisons pour lesquelles les évêques de Belgique s’associent à la journée du 18 novembre, journée mondiale des victimes d’abus.
À Tournai, à la Cathédrale, je vais inaugurer un symbole, une peinture réalisée par une victime d’abus. Ce sera le dimanche 17 novembre, après l’eucharistie de 10h. Les victimes qui se sentent fortes sont bien entendu invitées. Elles ne doivent pas dire qui elles sont, on respecte l’anonymat. Cette peinture restera dans la Cathédrale. Elle témoignera, de manière symbolique, du mal qui a été fait, des blessures que ce mal a provoquées sur des mineurs, de la réaction du «silence» souvent imposé, du chemin nouveau ouvert pour accompagner, prévenir et mettre fin à ce type de comportement.
Dimanche 17 novembre 2024, à la Cathédrale de Tournai, après l’eucharistie de 10h.
Ceux et celles qui ne peuvent pas venir à la Cathédrale ont la possibilité d’intégrer une ou plusieurs intentions dans la prière universelle des eucharisties des 16 et 17 novembre.
+ Guy Harpigny,
Évêque de Tournai
28/10/2024
(Les intertitres sont de la rédaction)