Le parcours d’intégration: une simple «formalité»?
Depuis 2016, le «parcours d’intégration» est obligatoire pour les primo-arrivants en Région wallonne. Pourquoi, comment et avec quels effets? Une matinée de réflexion organisée sur ce thème à Mesvin a aussi été l’occasion de mieux comprendre le phénomène migratoire et de balayer quelques idées toutes faites.
Une quarantaine de participants se sont retrouvés dans la salle Saint-Thomas nouvellement rénovée de la maison diocésaine de Mesvin, le 21 novembre 2024, pour découvrir ce qui se cache derrière le dispositif «parcours d’intégration». Organisée par la Pastorale des migrations, la rencontre était animée par l’abbé Gérard Ilunga Lungala. Si le directeur de l’ASBL Vie des communautés africaines du Hainaut (VCAF) est un habitué des activités de cette pastorale, il venait cette fois pour présenter le fruit de son travail sur le parcours d’intégration en Région wallonne, réalisé dans le cadre de son Master en sociologie à l’UCL.
Les termes migration, migrant, réfugié, émigration, immigration ou encore primo-arrivant se retrouvent bien souvent dans les médias ou dans les discours politiques. Parfois utilisés à mauvais escient et avec en filigrane des connotations négatives. «On en parle avec notions ‘liquides’: arrêter le flot, endiguer les arrivées, flux migratoire», remarque l’abbé Ilunga. «Les politiques vendent à leur électorat la promesse qu’ils vont stopper le flux migratoire mais ils ne peuvent pas la tenir car la migration est une activité humaine qui ne s’arrêtera jamais.»
La gestion de l’accueil
On l’a encore vu tout récemment, que ce soit en Europe ou aux États-Unis, la migration reste l’un des thèmes phares des campagnes électorales. Un thème clivant dans la société, souvent utilisé, manipulé, rarement analysé avec des chiffres ou des prospectives étayées. Si l’on se réfère à la Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants, lors de l’assemblée des Nations Unies d’octobre 2016, «la diabolisation des migrants nuit à la dignité humaine». Mais les notions d’intégration, d’accueil et d’inclusion semblent aujourd’hui moins porteuses que celles de repli sur soi et d’individualisme…
Pourtant, si l’on se penche sur les études menées par les économistes en la matière, on constate qu’elles s’accordent sur le fait que si l’accueil est bien géré, l’effet sur l’économie d’un pays est neutre. S’il est très bien géré, l’effet peut même s’avérer positif. «Mais s’il est mal géré, c’est vrai, l’accueil peut causer des déficits», souligne Gérard Ilunga. «C’est par exemple le cas si l’on garde des personnes pendant des années dans un centre Fedasil plutôt que de les régulariser et de les former pour qu’elles puissent participer plus rapidement à l’économie du pays.»
Apprendre les codes
L’Union européenne incite ses États membres à mettre en place un parcours d’intégration. La Flandre y avait déjà pensé en 1990 puis l’a rendu obligatoire en 2003. Des propositions existaient en Wallonie mais ce n’est qu’en 2016 que ce parcours s’est matérialisé pour devenir obligatoire en 2018. Un nouveau décret entrera en vigueur en 2025 mais les détails ne sont pas encore connus.
«L’intégration est liée à la migration», explique le directeur de VCAF. «C’est apprendre les codes, comment fonctionne la société d’accueil dans laquelle arrive un migrant.» Le parcours d’intégration comporte plusieurs modules. Il y a tout d’abord un module d’accueil (un entretien qui permet de déterminer les besoins de la personne). Puis viennent des modules de formation en français langue étrangère, de citoyenneté (pour comprendre les habitudes et les arcanes administratives de la Belgique, le système de sécurité sociale, l’école,…). Et enfin un entretien approfondi en guise d’orientation socio-professionnelle.
Pour étoffer sa recherche, l’abbé Ilunga a effectué un stage de 250 heures auprès du Centre Régional d’Intégration de Charleroi afin d’observer comment est mis en place ce parcours d’intégration. Il a ainsi pu réaliser des interviews des différents intervenants, qu’ils soient opérateurs ou bénéficiaires. «De manière générale, les effets sont positifs: les bénéficiaires ont appris beaucoup de choses. Mais il y a aussi des frustrations. Certains n’ont pas su qu’ils avaient l’obligation de suivre un tel parcours dans un délai imparti et avec des amendes si on ne le suit pas. D’autres, diplômés dans leur pays, se voient ‘déclassés’ car ils n’obtiennent pas l’équivalence. D’autres encore doivent suivre ce parcours, par exemple dans le cadre d’une demande de nationalité belge, alors qu’ils sont présents en Belgique depuis de nombreuses années. Quand on a suivi le parcours, on est considéré comme intégré, comme si c’était une formalité à accomplir.»
Égalité des chances?
Pour la plupart des personnes concernées, l’arrivée en Belgique a constitué une véritable rupture avec leur vie passée, elles sont parfois contraintes de changer radicalement de domaine professionnel. 90% des migrants qui arrivent en Belgique ne sont pourtant pas des personnes sans moyens, sans éducation, sans savoir et sans compétences, bien au contraire. «Il faut en effet des moyens pour organiser un tel voyage, le planifier mais aussi le payer.» Pourquoi ne pas valoriser toutes ces compétences et cette richesse multiculturelle plutôt que de dépenser temps, énergie et argent dans de longues procédures administratives qui éteignent bien des enthousiasmes?
L’orateur va plus loin. Il aimerait ainsi voir le public-cible du parcours d’intégration s’élargir. «Est-ce que tous les Belges connaissent les codes de la société dans laquelle ils vivent? Est-ce que le fait de naître en Belgique garantit d’arriver à l’autonomie? Un migrant va recevoir des informations, en tirer profit, là où un autochtone qui n’aura pas eu la chance d’acquérir les codes, l’éducation, les bonnes informations se retrouvera dans la précarité. Le parcours d’intégration pourrait être proposé aussi à des Belges.»
Signe de l’actualité du sujet et de l’intérêt qu’il suscite, de nombreuses questions ont encore été posées à l’abbé Gérard Ilunga. Le vicaire général Olivier Fröhlich, lui, a rappelé combien il était important d’organiser des activités dans les unités pastorales à l’occasion de la Journée mondiale du migrant et du réfugié, pour sensibiliser les chrétiens «d’ici» à cette thématique et réfléchir à la société que l’on veut. Mgr Harpigny déplore de son côté les réactions hostiles aux étrangers alors que leur venue, bien gérée, peut s’avérer très positive, y compris pour l’économie: «Nous avons, comme ‘influenceurs’ dans la société, un rôle à tenir et dire que c’est positif.»
Agnès MICHEL
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