Homélie de l’Eucharistie d’au revoir à la communauté jésuite – Collège du Sacré-Cœur (Charleroi – 19 septembre 2021)
De grand cœur, je t’offrirai le sacrifice,
Je rendrai grâce à ton nom, car il est bon (Psaume 53,8)
L’événement qui nous rassemble ce dimanche matin n’est pas une liturgie de funérailles. C’est déjà ce que j’avais dit lorsque la communauté jésuite de Mons a émigré ailleurs, durant le provincialat du Père Xavier Dijon et lorsque Daniel Sonveaux était supérieur de la communauté de Mons et de la communauté de Charleroi. J’étais doyen de Mons à l’époque.
Nous ne célébrons pas la mort d’une communauté. Nous rendons grâce à Dieu pour tout ce qu’il nous donne de vivre au jour le jour.
Certains d’entre nous sont tristes parce que les Pères s’en vont. C’est légitime. Mais nous ne rendons pas grâce à Dieu parce que nous ne verrons plus les Pères.
Permettez-moi de dire comment nous pouvons rendre grâce.
Comme le Pape François le dit de temps en temps, ce n’est pas le monde qui est en train de changer. En fait, nous changeons de monde. En disant cela, le Pape s’inspire, entre autres, de John Henry Newman, un prêtre anglican anglais, qui a été reçu dans l’Eglise catholique au XIXème siècle. Ce prêtre avait bien perçu que beaucoup de ses contemporains chrétiens, anglicans ou catholiques, vivaient selon des habitudes, qui ne manifestaient pas la foi. C’est en cherchant comment l’Eglise universelle vivait dans la fidélité aux apôtres de Jésus et au témoignage des Pères de l’Eglise, que Newman avait découvert que ce témoignage brillait d’une manière remarquable dans l’Eglise catholique.
Nous changeons de monde. Le Seigneur nous appelle à témoigner de la mission que le Ressuscité a donnée à ses apôtres : De toutes les nations faites des disciples.
Ignace de Loyola, au XVIème siècle, a vu de ses yeux les grandes transformations du monde. D’abord au plan des techniques : l’imprimerie modifie considérablement l’essor de la culture. Ensuite au plan de la géographie : les grandes découvertes des Amériques et de l’Extrême-Orient ouvrent une nouvelle manière d’envisager le salut du genre humain. Enfin au plan de l’Eglise : la Réforme tant attendue au XVème siècle passe par des épreuves qui déchirent les évêques, les prêtres, les fidèles, les personnes engagées dans la vie consacrée, les universités et leurs théologiens et, surtout, les responsables politiques des nations.
Ignace vit une conversion qui transforme son être intérieur. Ignace vit cette conversion avec quelques Compagnons de très grande qualité humaine et spirituelle. Ignace fait confiance en Dieu et a un sens inné de ce qu’est l’Eglise de son temps en s’en remettant au pape Paul III. Celui-ci approuve la manière dont les premiers membres de la Compagnie de Jésus vivent de l’Evangile. Il a besoin de théologiens pour le concile de Trente. Il faut mettre sur pied des maisons d’enseignement pour les jeunes gens, un enseignement moderne, apte à accompagner la culture nouvelle. Il a besoin de missionnaires qui oseront porter l’Evangile dans les nouveaux mondes découverts récemment.
Dans une période où on change de monde, Ignace et ses Compagnons réagissent par un approfondissement inouï de la vie spirituelle, qui se manifestera dans un discernement dont nous bénéficions encore aujourd’hui. Ignace et ses Compagnons réagissent par une disponibilité pour mettre en route des chantiers immenses au service de l’annonce de l’Evangile, tout en étant attentifs à l’évolution des mentalités, des cultures et des sociétés humaines qui construisent la paix.
Cette manière de faire demande de l’audace. Nous pensons aux missions en Extrême-Orient qui ont ouvert les yeux sur la manière chinoise de célébrer ; aux missions en Amérique Latine qui ont vu clair dans l’accueil de la culture des populations locales ; à la mission d’éducation humaniste en faisant référence aux œuvres majeures de l’antiquité, en accompagnant le développement fulgurant des sciences ; à l’approfondissement théologique des grands courants qui pouvaient réformer l’Eglise ; à tout ce qui, à l’époque, pouvait améliorer le gouvernement de l’Eglise.
Ce qu’Ignace et ses Compagnons ont suscité, nous pouvons encore en vivre aujourd’hui. En changeant de monde, il est normal que des choses neuves surgissent et il est normal que des aspects du témoignage évangélique s’orientent autrement.
Grâce au Concile Vatican II et aux congrégations générales de la Compagnie qui ont suivi, les Jésuites ont discerné les lieux où le Seigneur les appelle. Nous pouvons remercier le Seigneur de nous avoir donné le Père Pedro Arrupe, le cardinal Martini et bien d’autres qui, aujourd’hui encore, inspirent notre témoignage de la foi.
Mais, en ce 19 septembre 2021, nous rendons grâce aussi pour autre chose. Il y a 147 ans, Mgr Edmond-Hyacinthe Dumont, évêque de Tournai (1873-1879), a demandé à la Compagnie de Jésus de s’implanter à Charleroi. Mgr Dumont, formé à Rome, est ordonné prêtre à la Basilique Saint-Jean-de-Latran en 1853. Il fait partie des prêtres belges enthousiasmés par le Jésuite Pieter-Jan De Smet (1801-1873), missionnaire parmi les Indiens d’Amérique du Nord. Dumont demande d’être envoyé aux Etats-Unis. Il est nommé dans le diocèse de Détroit, au Michigan, où il va exercer le ministère de 1856 à 1862. Revenu en Belgique, il enseigne la théologie au Collège américain à Louvain, dont il devient le président. Nommé évêque de Tournai en 1873, il s’engage dans l’évangélisation des jeunes gens en construisant quantité d’établissements scolaires. C’est dans cette perspective qu’il fait appel aux Jésuites pour la région de Charleroi. Un nouvel établissement scolaire, qui transforme une petite école, voit le jour. Il fait partie, aujourd’hui, des établissements réputés bien au-delà de la région de Charleroi.
Lorsqu’une communauté de Jésuites est implantée dans une région, elle travaille bien évidemment à l’éducation des jeunes, mais elle a quantité d’autres missions pour l’annonce de l’Evangile : au plan spirituel ; au plan de la réflexion chrétienne sur l’évolution des sociétés ; au plan des réalités nouvelles surgies depuis la fin du XIXème siècle dans cette ville. Parmi les missions des Jésuites à Charleroi, nous avons un lieu de culte, la chapelle qui accueille beaucoup de monde pour la liturgie eucharistique, la célébration du sacrement de réconciliation, la formation intellectuelle des fidèles laïcs, l’accompagnement de personnes fragilisées et bien d’autres activités impossibles à énumérer de façon exhaustive.
Comme évêque de Tournai, avec tout le peuple de Dieu en Hainaut, je rends grâce au Seigneur pour le témoignage de l’Evangile manifesté par les Jésuites à Charleroi.
En étant envoyés dans d’autres lieux, les Jésuites ne mettent pas fin à la mission à Charleroi. Parmi les aspects de cette mission, nous avons tout ce qui concerne l’éducation des jeunes et la chapelle.
Ceux et celles qui ont eu le bonheur d’être accompagnés par les Jésuites ne doivent pas se lamenter. Nous aussi, à l’occasion de la nouvelle mission confiée à nos frères jésuites, nous avons à faire un discernement. Qu’est-ce que le Seigneur attend de nous aujourd’hui ? Qu’est-ce que le Seigneur nous propose aujourd’hui ? Non pas pour « consommer » ce que d’autres ont préparé pour nous, mais bien pour « faire de toutes les nations des disciples ».
A ce sujet, pour moi, les choses sont claires. Dans une période où nous changeons de monde, où sont les périphéries où le Seigneur nous envoie ? Quelles sont les personnes qui, de tous les peuples de la planète terre, sont venues s’installer à Charleroi ? Où accueillons-nous les personnes qui demandent à devenir chrétiennes, à être initiées sacramentellement par le baptême, la confirmation et l’eucharistie ? Où pouvons-nous proposer des assemblées dominicales dans lesquelles tout le monde se sent à l’aise et trouve ce qui nourrit la foi ? Comment accompagnons-nous les services qui écoutent et se mettent au service des pauvres ? De toutes les nations, faites des disciples : dit le Ressuscité à ses apôtres. Il ne s’agit pas tellement d’une affaire d’organisation ou de projets. Selon moi, il s’agit surtout d’une conversion personnelle à la manière d’Ignace de Loyola et de ses Compagnons. Parmi eux, François-Xavier reste pour moi un modèle. Je l’ai découvert à l’âge de 17 ans en préparant un long exposé demandé par le professeur de religion. La même année, un prêtre de la Société Auxiliaire des Missions, missionnaire en Chine, nous prêchait la retraite à Saint-André-lez-Bruges. La mission ad gentes, auprès de toutes les nations, fait partie, est à la source de notre témoignage de l’Evangile.
Des expériences de ce type, nous sommes plusieurs à en avoir bénéficié. Parmi nous, le doyen du pays de Charleroi, l’abbé Daniel Procureur, a vécu deux ans en République Démocratique du Congo comme prêtre au service de la formation des futurs prêtres. Avant cela, il avait été formé au Collège Saint-Stanislas à Mons, un collège jésuite. Pour discerner et annoncer l’Evangile, je vous demande de vous référer à lui. Il a été envoyé ici pour que, tous, nous puissions devenir témoins du Christ dans un monde nouveau. Tout ce qui concerne la chapelle, et ses diverses missions, je vous demande d’en parler avec lui.
Cher Père Provincial, chers frères jésuites, je vous dis merci pour tant de décennies passées à Charleroi. Récemment, la communauté a accompagné l’abbé Luc Lysy, atteint par un mal incurable. Merci infiniment, Père Robert. Plus récemment encore, la communauté a hébergé l’abbé Daniel Procureur, en raison de l’impossibilité de résider, pour le moment, au presbytère de la rue du Gouvernement. Merci infiniment.
Le Pape François, un Jésuite, demande régulièrement de prier pour lui. Il a raison, car il a besoin de soutien pour discerner et gouverner. Nous pouvons faire la même chose : prier les uns pour les autres pour discerner et correspondre à la volonté du Seigneur dans les décisions que nous aurons à prendre.
De grand cœur, je t’offrirai le sacrifice,
Je rendrai grâce à ton nom, car il est bon (Psaume 53,8)
+ Guy Harpigny,
Evêque de Tournai