De Genly à Maredsous : un bel exemple de réaffectation
Il est des événements et des opportunités qui rendent heureux un historien de l’art doublé d’un président de Fabrique d’église… et vice versa. Voici une histoire où d’heureux hasards mènent à un beau dénouement…
En 2014, j’apprends que le mobilier de l’église Saint-Martin de Genly, dans l’entité de Quévy, près de Mons, est en cours de démontage : l’édifice désacralisé serait en passe d’être vendu… En tant que membre de la Fabrique d’église Saint-Pierre de Lessines, j’effectue une visite à Genly afin de prendre les dimensions des principaux meubles. Extraordinaire : ils s’adaptent parfaitement à l’église-mère de la cité de Magritte ! La Fabrique d’église propose donc d’accueillir le mobilier en question, comprenant l’autel majeur, deux autels latéraux, un confessionnal, la cuve et le socle de la chaire de vérité, le chemin de croix et deux piédestaux complétés de niches à baldaquins.
À Lessines, l’église décanale, vieille de près d’un millénaire, a été gravement endommagée lors d’un bombardement le 11 mai 1940. Restaurée, elle a été rouverte au culte en mai 1952. Néanmoins, le nouveau mobilier imaginé par l’architecte Simon Brigode n’a jamais vu le jour. L’édifice est vaste, quelque 1000 m2 – et passablement vide.
Un déménagement avorté
Par un premier heureux hasard, le mobilier néo-gothique de Genly, de belle qualité, s’adapte parfaitement aux dimensions de l’église Saint-Pierre, édifice classé. À la suite d’un avis favorable de l’un des départements du DGO4 de Wallonie, le déménagement est réalisé le 25 octobre 2014, avec l’aide précieuse des Porteurs de géants de Lessines. Hélas, la Fabrique d’église n’avait pas été prévenue que, dans un tel cas de figure, un Certificat de patrimoine était indispensable… Ce certificat ne sera pas accordé, obligeant l’Évêché de Tournai à pourvoir au déménagement des nombreuses caisses vers une église convertie en dépôt…
À Denée, dans l’évêché de Namur, l’abbaye de Maredsous adhère au Mouvement liturgique engendré dans l’une de ses « filles », l’abbaye du Mont-César, à Louvain. Au milieu des années 1950, la communauté monastique va faire montre d’avant-gardisme, remodelant le décor intérieur de son église qui, depuis 1926, est une basilique mineure. Avec l’aide de l’architecte namurois Roger Bastin, l’édifice adopte une tout autre physionomie. Installé dans le bras nord du transept depuis 1882, l’autel du saint patron des Bénédictins est démonté et part aux États-Unis tandis qu’un nouvel espace de pèlerinage est aménagé au rez-de-chaussée de la tour sud de l’édifice… Durant la pandémie de Covid, cet espace confiné ne convient absolument plus, la statue du saint est donc transférée dans le bras nord du transept. L’idée germe alors de rapatrier le pèlerinage à son emplacement historique. L’histoire n’est-elle pas un éternel recommencement ?
De nouveaux hasards
Un deuxième heureux hasard va faire naître la lueur d’un espoir de solution, sinon pour la globalité du mobilier de Genly, du moins pour une partie… Président de la Fabrique d’église Saint-Pierre de Lessines, j’habite à Denée, paisible village où s’est établie l’abbaye de Maredsous. En vue du 150e anniversaire de la fondation de l’abbaye (1872-2022, cliquer ici pour en savoir plus), le Père Abbé Bernard Lorent a souhaité m’inclure dans le comité d’organisation. À l’occasion d’une réunion, l’Abbé signale l’existence du projet d’un nouvel autel pour la statue de saint Benoît… Ne serait-ce pas là une formidable occasion de réhabiliter l’autel majeur de Genly que je propose – éventuellement – à l’Abbé ? La question demeure toutefois en suspens.
C’est un troisième heureux hasard qui viendra concrétiser le dessein. Lors d’une rencontre avec le sculpteur-ébéniste Sébastien Salvato, travaillant aux ateliers de l’abbaye, je découvre le dessin du projet du nouvel autel. Je signale à Sébastien l’opportunité de sauver un autel néo-gothique monumental. Comme moi, Sébastien est grand amateur d’art religieux et est sensible au problème de la fermeture des lieux de culte et du destin de leur mobilier… Un courriel au Vicaire épiscopal Jean-Pierre Lorette, Président du service diocésain Art, Culture et Foi, pour être certain de la faisabilité d’un dépôt du mobilier de Genly à Maredsous, une conversation avec Père Bernard, quelques échanges et documents officiels entre Tournai et l’Abbé de Maredsous, des visites de repérage au dépôt et l’engagement d’un déménageur… et le 13 juillet 2022, le mobilier de Saint-Martin de Genly arrive à Maredsous !
Une restauration chronométrée
Débute alors une course contre la montre pour Sébastien : en parallèle des nombreux travaux habituels à réaliser, il entreprend la restauration de l’ancien maître-autel appelé à devenir autel de saint Benoît. Date butoir ? Le 16 octobre, jour de la messe pontificale du 150e anniversaire, présidée par le cardinal Jozef De Kezel, en présence du couple royal et de nombreux invités… Une auscultation en profondeur des différentes parties du meuble, en chêne partiellement doré et polychromé, révèlera que nombre d’éléments sculptés sont détachés, brisés, voire disparus. Par ailleurs, et c’est bien naturel pour un meuble datant du dernier quart du XIXe siècle, le bois exige d’être traité et nourri.
Après un nettoyage général, Sébastien s’attaque à la reconstruction du massif de l’autel : à Genly, cette partie étant en maçonnerie, elle est demeurée en place, seule la façade décorative a été transportée. Peu importe : un massif travail d’assemblage de poutres de bois sert désormais d’assise au poids considérable du retable. Sa tourelle centrale étant en débord à l’arrière, un prémontage en atelier est indispensable afin d’ériger le support de celle-ci. En parallèle, un nouvel emmarchement de chêne, épousant la forme de ceux des nombreux autels de l’abbatiale, est réalisé en chêne. Plusieurs semaines sont nécessaires pour resculpter les détails perdus ou parfois trop endommagés et pour refixer les parties brisées. Avant d’être installé, le monumental jeu de construction qu’est devenu le meuble est enduit d’un mélange à base d’huile de lin, le protégeant des salissures et ravivant la polychromie.
Installation de l’autel
L’autel restauré est comme neuf ! Il est monté dans le transept de l’église abbatiale, du 3 au 6 octobre. Le poids de certains éléments est tel que huit hommes sont nécessaires à leur déplacement et à leur mise en place. Pour couronner le tout, c’est la statue néo-gothique (vers 1876-1882) de saint Benoît, en bois polychromé, de l’ancien autel maredsolien qui, restaurée, est installée, marquant le point final de cette belle aventure.
À Maredsous, l’ancien autel majeur de Genly a retrouvé sa beauté originelle. Ses dimensions et son esthétique se fondent parfaitement à l’édifice. Seules les statues des tourelles latérales – Saints Pierre et Paul – inopportunes en rapport au culte de saint Benoît, ont été remplacées par deux anges céroféraires, provenant des supports de la courtine de l’ancien maître-autel de l’abbatiale. Ces sculptures en bronze doré s’accordent parfaitement avec les dorures de l’autel. Quant à la porte du tabernacle, son panneau soigneusement déposé a laissé place à une vitre qui permet d’admirer une relique de saint Benoît.
Dans le futur, d’autres meubles de Genly seront restaurés et installés dans la basilique de Maredsous. Dans le contexte difficile des fermetures d’église, de leur désacralisation et, hélas, parfois de leur démolition, la démarche réalisée à Maredsous est importante. Elle prouve que du mobilier ancien peut retrouver une fonction. De Genly à Maredsous : un bel exemple de sauvegarde du patrimoine, une réhabilitation réussie ainsi qu’une quote-part à une certaine forme de renouvellement durable dont notre temps a tant besoin.
Gérald Decoster
Historien de l’art