Les cours de religion : où en sommes-nous ?
Depuis au moins trente ans, j’entends dire que les cours de religion dans l’enseignement officiel vont disparaître. En effet, lorsque Mgr Jean Huard m’a nommé directeur de l’Office Diocésain de l’Enseignement Religieux (O.D.E.R.) et de l’Institut Supérieur de Sciences Religieuses (I.S.S.R.) à Charleroi, en septembre 1993, les directeurs-adjoints de l’époque, Jean-Marie-Virlet (émérite), Etienne Gathy et Benoît Lobet, m’ont informé en long et en large de la question de l’avenir des cours de religion. Si bien qu’on se demandait s’il ne fallait pas abandonner la mission de l’O.D.E.R.
La réponse a été claire: on n’abandonne pas car même si les cours de religion disparaissent de l’horaire dans l’enseignement officiel, il y aura toujours des cours de religion catholique dans l’enseignement libre catholique. Il fallait par conséquent continuer à former des professeurs de religion pour le primaire (fondamental) et le secondaire.
En 1997, l’I.S.S.R. déménage au Séminaire de Tournai et change de nom. Moi-même, je suis nommé doyen de la région pastorale de Mons-Borinage. En 2003, nommé évêque de Tournai, je reçois quelques missions de mon prédécesseur à la Conférence épiscopale. Le cours de religion et la catéchèse en font partie. C’est ainsi que j’ai «signé» le programme de religion du secondaire, préparé par Jean-Marie Virlet et son équipe, dès le mois de mai 2003.
En 2001, une pétition très bien organisée en Fédération Wallonie-Bruxelles sur l’importance, la nécessité, la légitimité des cours de religion et de morale dans l’enseignement obligatoire a remporté un franc succès: 152.000 signatures. Je me souviens avoir plaidé pour que tous les participants aux liturgies montoises signent la pétition.
Les opposants aux cours de religion et de morale sont puissants. Ils ne cessent pas de manier tous les instruments juridiques pour supprimer ces cours. Les partisans de ces cours ont, progressivement, écarté toute référence à une catéchèse ecclésiale, pour proposer un cours où les «grandes valeurs» du «vivre ensemble» soient bien exposées aux élèves et aux étudiants. Il faut entrer dans une critique «rationnelle» du contenu de la conviction chrétienne afin de fonder une approche contraire aux fondamentalismes, qui entraînent des guerres de religion, des actes terroristes, etc. Pas de prosélytisme! Respect des convictions individuelles, du moment qu’elles ne lèsent pas la liberté de tous. etc.
La Ministre Marie-Dominique Simonet, qui est en charge de l’enseignement obligatoire entre 2009 et 2013, propose aux chefs de culte de rédiger des référentiels pour permettre au Parlement de voter des décrets qui rendraient les cours de religion pérennes. Les chefs de culte font ce qui est proposé.
En 2014, la coalition au pouvoir en Fédération Wallonie-Bruxelles change le cadre: un cours de philosophie et de citoyenneté obligatoire pour tous les élèves et étudiants sera instauré. Les cours de religion et de morale passent de deux heures à une heure dans la grille-horaire dans l’enseignement officiel.
Des parents demandent à la Cour constitutionnelle de dispenser leur enfant des cours de religion et de morale. La Cour accepte. La conséquence est claire: on peut être dispensé des cours de religion et de morale. Ce qui enlève progressivement leur caractère «obligatoire», selon l’ancienne interprétation de la Constitution.
Quelques années plus tard, qu’est-ce que je constate?
Une «instance», mise sur pied par les évêques de la partie francophone du pays, suit l’affaire de manière régulière et s’interroge: supprimer ces cours respecte-t-il la Constitution belge? Les constitutionnalistes consultés estiment qu’on peut respecter la Constitution tout en reléguant les cours de religion et de morale en dehors de la grille-horaire.
Comment atteindre les partis politiques afin de les informer sur le bien-fondé et l’impact positif des cours de religion et de morale dans la société? Comme d’habitude, à un certain moment, on ne parle plus du cours de religion et de morale, mais on parle de l’emploi des enseignants qui en sont chargés. Ici les syndicats interviennent pour défendre l’emploi.
Ensuite, on parle du budget. Peut-on raisonnablement financer deux heures de philosophie et de citoyenneté ET une heure de religion ou de morale? Enfin, on parle de l’organisation des cours qui, en raison du nombre de cultes reconnus par la Constitution, est devenue impossible dans beaucoup d’établissements scolaires. Bref, on ne parle pas de l’objectif des cours de religion et de morale, mais «de ce que cela coûte».
Mon avis personnel
- Les cours de philosophie et de citoyenneté font partie de ce que chaque citoyen doit «savoir» pour devenir «humain», discerner sa «place» dans la société, exercer un jour des «responsabilités», en cherchant avec d’autres le «bien commun», l’intérêt général. Jusqu’à présent, dans une démocratie, on parle ici d’Etat de droit et de la déclaration des droits humains.
- Historiquement, les cours de religion et de morale se sont inscrits dans une société belge dont une bonne partie de la population baignait dans une culture chrétienne. Certes, ces cours ne remplaçaient pas la catéchèse ecclésiale des catholiques. Cependant, si je peux faire allusion à mon expérience personnelle, j’ai eu, pendant six ans, le Catéchisme des évêques de Belgique comme base du cours de religion à l’école communale des garçons à Luttre (1954-1960). Le même Catéchisme que celui que j’ai appris par cœur pour la profession de foi (1959).
- Aujourd’hui, la société belge ne baigne plus dans une culture chrétienne. Les chefs de culte le savent. Les parlementaires le constatent. Certains travaillent à effacer la culture chrétienne, trop liée à des événements malheureux. Certains travaillent à effacer tout ce qui est apparenté au fait religieux, dont les expressions violentes démontrent l’aspect néfaste pour l’ensemble de la société. En effet, depuis le Pacte scolaire de 1959, des cultes nouveaux ont été reconnus par la Constitution. Le culte musulman est sur la sellette depuis le début des années 1990. Les chefs de culte le savent. Les parlementaires, chargés du bien de la société, font ce qu’ils peuvent pour «que tout le monde puisse vivre en paix selon ses convictions», du moment qu’elles n’influencent pas la sphère publique, du moment qu’elles restent dans la sphère privée. On connaît les vagues successives du combat des différents responsables de la chose publique contre les signes convictionnels dans l’espace public, l’administration, les transports, l’école, etc. Ce combat a commencé au début des années 1990.
- Je suis pour les cours de religion et de morale. Je suis persuadé que plus on s’informe sur ce qui fait partie de l’intériorité de l’être humain, la spiritualité personnelle, sur le fondement des convictions dans une société démocratique, on apprend le respect de l’autre, le sens de la vie en société, une certaine idée de l’avenir. Même dans une société sécularisée, la conviction religieuse et la conviction morale peuvent avoir un impact positif. Des philosophes agnostiques comme Jürgen Habermas l’ont bien montré quand ils analysent le «fondement» du droit dans une société déterminée. Certains parlent ici de «sacré». Soit. Mais il y a bien d’autres mots, des concepts pour décrire ce qui, ici, est en jeu.
- Je suis persuadé que, dans le cas où le Parlement supprimerait les cours de religion et de morale, les cultes et les convictions prendraient eux-mêmes cette question en charge. L’enjeu de société est trop important pour le laisser tomber. Il ne s’agit pas d’une sorte de combat pour «survivre comme culte ou conviction» dans la société. On me dira que l’État ne pourra plus contrôler, etc. ce qui serait enseigné par les cultes et les convictions. C’est réduire de manière très triste la mission de l’État dans la société. Qu’on arrête de parler ici de budget, d’emploi, etc. Si je suis persuadé que l’enseignement du contenu des religions et des convictions fait partie de «mes» responsabilités de chef de culte, c’est parce que d’abord, dialoguer avec tous fait partie de mon être profond, et, qu’ensuite, initier à ce qui me fait vivre personnellement, initier à une vie en société pour le bonheur de tous fait partie de mon engagement comme citoyen.
- Les statistiques du choix des cours de religion et de morale dans l’enseignement officiel montrent que près de 80% choisissent la religion ou la morale. Qu’on arrête de falsifier le raisonnement en disant perpétuellement que ces cours perdent chaque année des élèves et des étudiants au profit du cours de philosophie et de citoyenneté. Soyons honnêtes avec les nombres.
- Je soutiens à fond tous ceux qui, à quelque titre que ce soit, promeuvent les cours de religion et de morale dans la Fédération Wallonie-Bruxelles. Merci aux enseignants qui donnent leur vie pour cette noble mission.
+ Guy Harpigny,
Évêque de Tournai