Une Église en déplacement… à Loverval

Du 4 au 15 octobre 2023, prêtres et membres de l’EAP de l’unité pastorale de Gerpinnes sont partis «en mission» à Loverval. Pour se mettre au service du village, vivre des rencontres et des activités ensemble. Et même pour accueillir Mgr Harpigny, le temps d’une conférence.

Moments de prière matin et soir, temps de convivialité, célébrations parfois assorties d’un événement festif ‒repas partagé et musique‒, prière pyjama pour les plus jeunes, messe dans un home, soirée théâtre avec «Jéricho cocorico» par la troupe paroissiale, petit déjeuner…: pendant 10 jours, tous les membres de l’UP étaient invités à se retrouver à Loverval pour une mission paroissiale au programme varié et bien rempli, destinée avant tout à (re)créer du lien et ouvrir des portes.

L’abbé Philippe Pardonce n’avait pas hésité à convier Mgr Guy Harpigny pour l’occasion, et c’est dans une église Saint-Hubert quasi pleine que notre évêque est venu évoquer le «déplacement» de l’Église depuis la fin de la 2e guerre mondiale à aujourd’hui, parallèlement aux évolutions qu’a connues la société occidentale.

 «Aujourd’hui, 11 octobre, c’est la fête du pape Jean XXIII, jour du début de Vatican II», a lancé l’abbé Pardonce en introduisant la conférence. «Le Concile voulait ouvrir les portes et les fenêtres de l’Église, provoquer un grand courant d’air. Cela a sans doute fait peur à certains. Mais les élans de ce concile se font sentir aujourd’hui encore.»

Un peu d’histoire

Mgr Harpigny a d’abord tenu à remettre en contexte l’évolution de l’Église en s’attardant sur les bouleversements qui ont traversé la Belgique en moins d’un siècle. Au sortir de la guerre, les «30 glorieuses», ces années où l’économie est forte, où la sécurité sociale s’étend à l’ensemble de la population, où l’électroménager et les télévisions font leur apparition dans les maisons, où la semaine de travail passe à 5 jours. Pendant ce temps, l’Europe se construit aussi, syndicats et patronat voient l’avenir en rose.

Mais un à un, les charbonnages ferment, l’industrie classique vit ses dernières heures. La frontière linguistique vient symboliquement séparer la Flandre et la Wallonie, l’université de Louvain se scinde. Quelques années plus tard, c’est au tour du premier choc pétrolier de venir assombrir les perspectives. Il y aura encore l’arrivée de l’informatique dans tous les secteurs de notre vie, les réformes de l’État, l’émergence de l’extrême-droite, les débats autour des lois éthiques, les avancées médicales. Crise bancaire mondiale en 2008, flux migratoires massifs à partir de 2015. Le tout sur fond d’une prise de conscience universelle du changement de notre climat.

Alors au milieu de toutes ces évolutions, de ces changements d’habitudes et de mentalités, comment les choses ont-elles bougé dans l’Église universelle?

Accueillir le changement

Rapidement, notre évêque dresse le portrait des papes qui se sont succédé: Pie XII qui traverse la guerre, Jean XXIII qui convoque un concile œcuménique pour dépoussiérer l’Église, Pol VI qui poursuit le travail de son prédécesseur, Jean-Paul Ier qui meurt 33 jours après son accession au pontificat, Jean-Paul II qui invente les JMJ, Benoît XVI qui maîtrise plus que quiconque la théologie, et enfin François qui insuffle un style complètement différent, apporte son soutien aux pays dont personne ne se soucie, rappelle sans cesse la joie de l’Évangile, prône l’accueil des abandonnés et l’ouverture aux périphéries.

Mais au-delà des changements de personnalités à la tête de l’Église, c’est sur le déplacement de fond de la foi elle-même que Mgr Harpigny s’est attardé. «On est passé d’une foi qui consistait à avoir une connaissance parfaite du catéchisme, des prières,… à une foi qui est une relation personnelle avec le Christ. On essaie de faire goûter ce que Dieu nous dit, à travers des textes vivants.» Ainsi, l’expérience ecclésiale de Dieu est de véritablement faire partie du peuple de Dieu: «Tout être humain est appelé à avoir cette relation personnelle, Dieu est signe et moyen de l’unité du genre humain, il ne fait pas de différence entre les gens et sauve tout le monde. Jésus ne condamne pas, il nous montre un chemin et nous accompagne.»

Comme le défend le pape François, notre évêque estime qu’il faut aller témoigner là où il y a des gens qui souffrent: «La mission de l’Église et de chaque chrétien n’est pas d’entretenir des communautés même s’il n’y a plus personne, il faut aller aux périphéries. Il s’agit d’un déplacement physique et pastoral.» Mais aussi arrêter de se lamenter sur ce qui change et ce qui disparaît, pour au contraire s’adapter aux changements du monde. «Ces adaptations ne sont pas définitives, il faut observer comment le visage de l’Église va se transformer. Qu’est-ce que Dieu attend de nous ? C’est d’accompagner des mouvements…»

Sans langue de bois

Un bref temps d’échanges a clôturé la conférence. Les abus sexuels commis au sein du clergé posent évidemment question. Mgr Harpigny avoue qu’en cette période difficile, la gestion d’un dossier aussi douloureux requiert la moitié de son temps. «Quand j’ai été nommé évêque, j’ai pensé que c’était pour ma connaissance de l’islam. Puis j’ai hérité du dossier de la pédophilie dans l’Église. Je n’y connaissais pas grand-chose, je n’ai pas été victime moi-même, mais j’ai fait ce que je pensais devoir faire.»

La vague de colère et d’émotion bien légitime qui secoue la Flandre après la diffusion de la série Godvergeten incite à la réserve et à l’écoute. «On est dans l’émotionnel, c’est normal. Il ne faut rien dire pour le moment, mais ensuite il faudra voir ce qui peut et doit encore être fait.»  

Agnès Michel