Noël 2024: «L’espérance est née avec Jésus»
Homélie de Mgr Luc Terlinden prononcée lors de la messe de minuit en la cathédrale Saint-Rombaut à Malines et de la messe du jour de Noël en la cathédrale des Saints-Michel-et-Gudule à Bruxelles.
L’Évangile nous raconte que Marie et Joseph se rendirent à Bethléem pour le recensement ordonné par l’empereur Auguste. Mais ce recensement n’avait pas pour unique objectif de dresser des statistiques. L’empereur cherchait à évaluer combien d’impôts il pouvait lever et combien d’hommes il pouvait mobiliser pour ses guerres.
Le contexte de la naissance de Jésus était aussi marqué par la guerre, la violence, le sang et les larmes. «Les bottes frappaient le sol et les manteaux étaient couverts de sang», nous dit le prophète Isaïe. Combien de peuples, aujourd’hui encore, ne peuvent -ils pas se reconnaître dans ces paroles? Chaque jour, ce drame se rejoue sous nos yeux: en Ukraine, à Gaza, ou à travers les images des atrocités perpétrées par l’ancien régime en Syrie. Le sang et les larmes continuent d’inonder notre monde.
Et pourtant, au milieu de cette obscurité, le prophète annonce aussi une ère de lumière et de joie. Comment cela est-il possible? Peut-on réellement se réjouir en des temps de désolation et de violence? La naissance de Jésus nous offre une réponse. À Noël, l’espérance est aussi née. Une petite fille de rien du tout, comme l’a écrit Charles Péguy. Humblement, pauvrement, comme une petite fille de rien du tout… l’espérance est née avec Jésus, dans l’humilité de la crèche à Bethléem.
Qui aurait pu imaginer que le Sauveur tant attendu par Israël se révélerait ainsi, sous les traits d’un enfant couché dans une mangeoire, au sein de la famille d’un charpentier et d’une jeune fille de Nazareth? Car à l’époque de la naissance de Jésus, l’espérance d’Israël était celle d’un chef de guerre, d’un libérateur venu chasser l’envahisseur romain et rétablir la grandeur du royaume. Combien aujourd’hui encore placent leur espérance dans des leaders charismatiques, qui promettent de rendre à leur nation sa puissance et son éclat perdu!
Mais l’humilité de la crèche annonce déjà le dépouillement de Jésus sur la croix. Là, le Sauveur se révèle dans toute sa vulnérabilité. L’espérance est bien une petite fille de rien du tout… Pourtant, c’est dans ce dépouillement, dans cette fragilité que se manifeste la puissance de Dieu. La croix devient l’arbre de vie, d’où jaillit la résurrection. Jésus est bien le Sauveur attendu et espéré, mais le salut qu’il apporte passe par l’abaissement, par l’humilité de la croix, tout comme il a commencé dans celle de l’étable de Bethléem.
Cela signifie-t-il pour autant que nous devons accepter notre sort avec résignation? Faut-il nous contenter de subir les guerres, les calamités, les violences et les injustices en attendant que le ciel nous apporte enfin le salut? L’espérance chrétienne n’est-elle qu’un réconfort pour demain? Un expédient, un subterfuge, comme on l’a souvent reproché au christianisme? Non, si chaque année nous célébrons Noël, c’est bien parce que l’espérance qui naît en cette nuit nous concerne dès aujourd’hui. En Jésus, nous voyons non seulement le ciel s’ouvrir, mais aussi la proximité de Dieu pour chacun de nous, ici et maintenant. Dieu se fait si proche, si concret. Comme Jésus l’a montré tout au long de sa vie: en annonçant la Bonne Nouvelle, en guérissant les malades, en ouvrant les yeux des aveugles, en redonnant espoir aux exclus…
L’espérance n’est pas une promesse illusoire pour demain. Elle se vit dès aujourd’hui, dans des gestes simples mais authentiques. Aujourd’hui encore, la petite fille espérance nous rejoint. Humble et discrète, elle se manifeste à la crèche, là où nous nous rassemblons dans la nuit de Noël. Elle nous accompagne là où l’Évangile est proclamé et vécu, là où des gestes concrets, même infimes, témoignent de l’amour pour les plus fragiles et les plus blessés. Elle est présente là où des hommes et des femmes se réunissent pour célébrer l’eucharistie, là où, dans le secret des cœurs, s’élève une prière vers le Père.
L’espérance fait aussi de nous «un peuple ardent à faire le bien», selon les mots de Paul. Si nous cherchons, avec les personnes de bonne volonté, la justice et la solidarité, les guerres et la violence ne sont plus une fatalité.
L’espérance ne nous demande ni exploits ni démonstrations de force. Comment une petite fille de rien du tout pourrait-elle exiger de telles choses? Elle nous demande simplement de croire en l’enfant de la crèche de Bethléem et d’imiter, dans les petits gestes du quotidien, sa bonté et son humilité. C’est ainsi que nous deviendrons, en cette année sainte 2025, de vrais pèlerins d’espérance!
+ Luc Terlinden
Archevêque de Malines-Bruxelles