Formation permanente 2025: la synodalité en question(s)

Formation permanente 2025: la synodalité en question(s)

Le dernier synode voulu par le pape François avait pour thème la synodalité. Alors que l’Église catholique était encore endeuillée par la mort du Saint Père, c’est justement le sujet qu’avait choisi le Service diocésain de la formation pour sa session annuelle organisée à Mons.

L’objectif premier du fameux «synode sur la synodalité» était de faire l’expérience de se mettre ensemble à l’écoute de l’Esprit Saint afin de discerner les chemins pour une Église qui soit davantage synodale, comme l’a rappelé Stanislas Deprez, président du service formation. Pour faire cette expérience et répondre à un certain nombre de questions, il y a eu une phase diocésaine –à laquelle vous avez peut-être participé–, une phase nationale, une phase continentale et enfin deux assemblées à Rome, en 2023 et 2024.

Bien sûr, synthétiser l’une après l’autre ces étapes a inévitablement simplifié les contributions, gommé en partie les différences et les divergences. Mais cette «décantation» a débouché sur un document final qu’il convient de digérer, de s’approprier et de commencer à mettre en œuvre. Et surtout, le processus lui-même a été un exercice bien réel de synodalité et a ainsi mis l’Église en marche. Lors de la première journée de la session de formation, qui se tenait les 29 et 30 avril dans les bâtiments de la FUCaM, théorie et témoignages se sont entrecroisés pour creuser cette notion de synodalité.

Histoire de l’autorité

Si la synodalité implique notamment de s’écouter dans le but de mieux marcher ensemble, elle se frotte alors immanquablement à la notion d’autorité. C’est Philippe Scieur, professeur de sociologie à l’UCLouvain FUCaM-Mons et spécialiste des organisations, qui s’est attardé pour les participants sur l’évolution du rapport à l’autorité dans les sociétés occidentales, et plus particulièrement en Europe, du 19e siècle à nos jours.

En décortiquant les modèles qui se succèdent au fil du temps, on se rend ainsi compte que le modèle de l’entreprise s’est imposé au cours de l’ère industrielle: l’autorité est basée sur un principe de rationalité absolue, on assiste à l’émergence d’une société de classes, au productivisme et à l’efficacité administrative, c’est «une place pour chacun et chacun à sa place». Le film «Les temps modernes» de Charlie Chaplin (1936), poussant la démonstration jusqu’à l’absurde, en est une parfaite illustration.

Avec «les trente Glorieuses» (1950 – 1980), le capitalisme florissant, le plein emploi ou encore la naissance des loisirs, la rationalité absolue est remise en cause; le management se fait plus collaboratif, on commence même à parler de bien-être au travail. Puis viendra une société «singulariste» et le déclin d’institutions comme l’Église, la famille, l’État ou l’école, une société dans laquelle on peut négocier les valeurs, mettre en avant les expériences individuelles, discuter l’autorité. Enfin, selon Philippe Scieur, nous sommes depuis 2010 dans un monde «tensionnel»: des tensions générées par un rapport différent à l’espace et au temps, un certain refus des engagements, des réponses simplistes apportées à des situations complexes, et même une remise en cause des systèmes démocratiques et de leur légitimité.

Missionnaires de la synodalité

On ne présente plus Benoît Lobet! Prêtre du diocèse de Tournai mais depuis 2020 curé-doyen de la Cathédrale Saints-Michel-et-Gudule de Bruxelles et doyen de Bruxelles-Centre, l’abbé Lobet est lui venu expliquer en quoi la synodalité a pour finalité d’accroître la dimension missionnaire de l’Église. «La synodalité n’est pas une fin en soi, (…) il ne s’agit pas simplement de faire fonctionner des conseils pastoraux à l’heure démocratique mais de témoigner (…) d’une bonne nouvelle révélée.»

Pédagogue comme à son habitude, Benoît Lobet s’est appuyé notamment sur le récit de l’envoi des 72 en mission (Lc 10). Des disciples envoyés deux par deux pour évoquer la fraternité de l’Église, mettant en évidence l’importance primordiale de l’unité dans la mission, l’écoute patiente de l’autre, une véritable bienveillance de fond, «même si les points de vue et les conceptions de la mission diffèrent profondément». Insistant aussi sur le fait que le christianisme n’est pas une morale mais un salut qui se donne gratuitement, avec douceur: «Dans certaines stratégies choc d’évangélisation, on dirait des loups jetés sur des agneaux! Peut-on évangéliser une société que l’on méprise?»  


Et la synodalité sur le terrain, chez nous? «Dans les diocèses belges, et en particulier à Tournai, je pense qu’on dispose des structures nécessaires pour évoluer de manière synodale, par la conversation dans l’Esprit. L’effort synodal ne va pas viser à établir plus de structures mais y introduire plus de fraternité.» Pour Benoît Lobet, si l’exercice pastoral de la synodalité n’est pas le contraire de l’exercice de l’autorité (on ne fait pas une assemblée synodale pour chaque prise de décision mais pour aborder des sujets de fond), il représente sans nul doute une chance pour un renouveau ecclésial.

Témoins de Gand…

Côté témoignages, le diacre gantois Geert De Cubber, également porte-parole de Mgr Lode Van Hecke et délégué épiscopal pour la communication, la pastorale des jeunes et la synodalité, a raconté avec enthousiasme son expérience personnelle du synode, lui qui a été l’un des rares Belges à participer aux deux assemblées générales ordinaires à Rome.

«Ce synode est un synode historique, même s’il faut être prudent avec ce terme que les journalistes utilisent trop facilement.» Historique parce que pour la première fois il comptait des participants non-évêques (environ 90, dont 54 femmes). Parce que 208 pays étaient représentés. Parce que les assemblées ne se déroulaient pas dans de grands auditoires mais autour de tables rondes, qui permettent de se voir et donc de plus facilement s’écouter et se parler. «Nous avions l’autorité des baptisés pour parler, en sœurs et frères, le Christ étant notre grand frère. Nous avons appris à nous connaître, à parler ‘avec’ et non pas ‘sur’ l’autre.» Historique aussi parce que le pape François a souhaité ne rien ajouter au texte final, estimant que les représentants du peuple de Dieu
s’étaient exprimés.

Pour Geert De Cubber, la synodalité est un style de vie, le style de vie chrétien, qu’il va falloir poursuivre, mettre en œuvre. En n’éludant pas des questions brûlantes comme la place des femmes dans l’Église, en examinant aussi ce qui se fait déjà dans les équipes paroissiales et en discernant ce qu’on peut faire de manière synodale. Et en continuant d’être à l’écoute, dans la joie de l’Évangile. «Le synode continue jusqu’en 2028! Il y aura le Jubilé des équipes synodales (24 et 25 octobre), un retour vers les diocèses pour identifier les fruits du synode (2025-2027), une assemblée continentale (2028) et une assemblée ecclésiale à Rome (2028).»

…à Kinshasa!

Sur la question de la synodalité, les Églises du Congo ont une longueur d’avance. Théoricien de la théologie du laïcat, le cardinal Joseph-Albert Malula (1917-1989) a en effet instauré dans les années 1960 les ministères d’assistant paroissial, d’animateur en pastorale et de «mokambi» (un responsable laïc mandaté par l’évêque pour participer à l’exercice de la charge pastorale). Jean-Pierre Badidike, prêtre de l’archidiocèse de Kisangani, secrétaire général de l’ACEAC et qui exerça son ministère dans le diocèse de Tournai pendant plusieurs années, est venu partager cette expérience de processus synodal dans la région des grands lacs.

Il a d’abord parlé d’une Église africaine qui, à côté d’une réelle solidarité et de relations chaleureuses, est parfois très hiérarchisée et laisse de nombreuses catégories de personnes à la marge : malades, enfants des rues, personnes en difficulté avec les normes édictées par l’Église, dépendantes de la drogue ou de l’alcool, aux périphéries géographiques, travailleurs du sexe, veufs et veuves,…


«Malgré la volonté affichée d’être l’Église de tous, il y a encore beaucoup de chemin à faire et beaucoup d’obstacles comme la résistance à la nouveauté, l’autoritarisme, les préjugés culturels, la méfiance,…»

Mais c’est pourtant au Congo qu’il y a 50 ans le cardinal Malula, archevêque de Kinshasa, s’est battu pour favoriser l’émergence d’un laïcat responsable et engagé en instituant plusieurs ministères laïcs. Aujourd’hui, l’initiative s’est étiolée, mais elle reste un signe de synodalité. Que l’abbé Badidike imagine comme une spirale: «Aucune flamme ne s’oppose aux autres, aucun ministère ne doit s’opposer aux autres ministères, et il n’y a pas de flamme ‘moindre’. Le processus synodal implique la complémentarité.»

A.M.

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