Homélie de l’ordination diaconale en vue du sacerdoce ministériel d’Antoine Poivre
Église Saint-Quentin, Péruwelz
16 novembre 2025
Cher Antoine,
La fin de l’évangile qui vient d’être proclamé dit : C’est par votre persévérance que vous garderez votre vie. Tous, nous pouvons dire que tu es quelqu’un de persévérant. Cette qualité, tu la dois à toi-même, mais aussi à tous ceux qui, depuis ta naissance, t’ont aimé, éduqué et accompagné tout au long de tes études, en particulier à Louvain-la-Neuve et à Namur.
A un certain moment, tu as perçu l’appel à devenir prêtre diocésain. Le discernement s’est fait entre autres à Ghlin, où tu as grandi, ainsi qu’en de multiples endroits où tu as été envoyé en stage. Sans te laisser abattre, tu as vu le réel dans lequel les chrétiens sont plongés. D’un certain côté, tu peux reprendre le texte évangélique : La moisson est abondante, et les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers (Matthieu 9,37-38) D’un autre côté, tu peux reprendre la parole de Malachie : Pour vous qui craignez mon nom, le Soleil de justice se lèvera : il apportera la guérison dans son rayonnement (3,20).
L’Eglise qui fait partie du dessein du Père ; l’Eglise pour laquelle le Christ a versé son sang ; l’Eglise animée par l’Esprit Saint ; cette Eglise, qui attend la venue du Seigneur dans la gloire, témoigne de l’Evangile du Christ en ce monde. Tu es membre de cette Eglise avec tous les baptisés. Pour toi, comme pour tous les membres de l’Eglise, l’apôtre Paul est en train de prier comme il l’a écrit aux Colossiens : Nous ne cessons pas de prier pour vous. Nous demandons à Dieu que vous ayez pleine connaissance de sa volonté en toute sagesse et pénétration spirituelle, pour que vous meniez une vie digne du Seigneur, recherchant sa totale approbation. Par tout ce que vous ferez de bien, vous porterez du fruit et progresserez dans la vraie connaissance de Dieu ; vous serez fortifiés à tous égards par la vigueur de sa gloire et ainsi amenés à une persévérance et une patience à toute épreuve (1,9-11).
Dans la mission de l’Eglise en Hainaut, beaucoup d’efforts sont consacrés à la pastorale dite territoriale. Grâce aux stages et aux partages avec d’autres acteurs de la pastorale, tu as pu toucher du doigt bien d’autres aspects, et tu as pu voir que toutes les Equipes d’Animation Pastorale étaient loin d’être sur la même longueur d’onde.
En voyant cela, nous pouvons être désarçonnés et même attristés. Si tu devais passer par cette épreuve, souviens-toi de la mission de l’Eglise qui est d’annoncer au monde le mystère de Dieu et de son dessein de salut. Avec l’apôtre Paul, prononce cette prière : Je trouve maintenant ma joie dans les souffrances que j’endure pour vous, et ce qu’il me reste personnellement à souffrir dans les épreuves du Christ, je l’achève en faveur de son corps qui est l’Eglise ; j’en suis devenu le ministre en vertu de la charge que Dieu m’a confiée à votre égard : achever l’annonce de la parole de Dieu, le mystère tenu caché tout au long des âges et que Dieu a manifesté maintenant à ses saints. Il a voulu leur faire connaître quelles sont les richesses et la gloire de ce mystère parmi les païens : Christ au milieu de vous, l’espérance de la gloire ! C’est lui que nous annonçons, avertissant chacun, instruisant chacun en toute sagesse, afin de rendre chacun parfait en Christ. C’est le but de mon labeur, du combat mené avec sa force qui agit puissamment en moi (Colossiens 1,24-29).
Aujourd’hui, c’est de manière définitive que tu t’engages au célibat. Tu as été aidé pour discerner s’il s’agissait bien d’un appel et pas seulement d’une obligation, s’il s’agissait bien d’un signe du Royaume et pas seulement d’un mode de vie. Le célibat des prêtres dans l’Eglise latine est mis en question, battu en brèche, vilipendé même par une partie de l’opinion publique, et par quelques déçus de l’évolution de l’Eglise depuis au moins soixante ans. A une question à propos du mariage, Jésus répond, en Matthieu 19,11-12 : Tous ne comprennent pas ce langage, mais seulement ceux à qui c’est donné. En effet, il y a des eunuques qui sont nés ainsi du sein maternel ; il y a des eunuques qui ont été rendus tels par les hommes ; et il y en a qui se sont eux-mêmes rendus eunuques à cause du Royaume des cieux. Comprenne qui peut comprendre !
En 1967, lors d’une récollection animée par le chanoine Robert Guelluy (1913-2001) au Séminaire Saint-Paul à Leuven, j’étais en deuxième année de séminaire, il a été question du célibat. Guelluy nous a demandé : Pour quelle raison choisissez-vous le célibat ? Je me souviens avoir répondu : Jésus était célibataire. Je pense qu’il me donnera la force de vivre comme lui. J’étais loin de me douter que j’aurais à lutter pour croire en cette force, alors que tant de mes compagnons séminaristes et prêtres quittaient en masse l’Eglise à cause du célibat, perçu comme une interdiction de vivre heureux.
Le ministère diaconal exercé par quelques-uns signifie sacramentellement la diaconie de toute l’Eglise. Tu reçois ce ministère le dimanche, choisi par le pape François, comme journée mondiale des pauvres. Dans son exhortation apostolique Dilexi te (4 octobre 2025), le pape Léon XIV souligne avec force que Dieu choisit les pauvres. Dans la première communauté chrétienne, le programme de charité ne découlait pas d’analyses ou de projets, mais directement de l’exemple de Jésus, des paroles mêmes de l’Evangile (29). Nous trouvons un exemple ecclésial clair de partage des biens et d’attention à la pauvreté dans la vie quotidienne et le style de la première communauté chrétienne. Nous pouvons notamment rappeler la manière dont fut résolue la question de la distribution quotidienne des aides aux veuves (Actes 6,1-6). Il s’agissait d’un problème difficile, notamment parce que certaines de ces veuves, originaires d’autres pays, étaient parfois négligées en tant qu’étrangères. L’épisode rapporté dans les Actes des Apôtres met en évidence un certain mécontentement de la part des hellénistes, les juifs de culture grecque. Les apôtres ne répondent pas par un discours abstrait mais, en remettant au centre la charité envers tous, ils réorganisent l’aide aux veuves en demandant à la Communauté de rechercher des personnes sages et estimées à qui confier la gestion des tables, tandis qu’eux-mêmes s’occuperont de la prédication de la Parole (32).
Il y a quelques jours, tu m’as demandé comment discerner les besoins, les cris des pauvres dans notre société. Je t’ai répondu par faire l’éloge de l’Etat de droit qui, depuis 1945 en Belgique, a mis en place des structures pour répondre aux besoins de personnes sans travail, malades, porteuses de handicap. D’autres structures existent pour l’accueil des migrants, des réfugiés, des exilés. D’autres structures encore, en lien avec les différents services juridiques, veillent à accompagner des enfants abandonnés ou maltraités, des adolescents qui ont commis des délits, des adultes qui ont été condamnés à des peines courtes ou longues.
En même temps, nous croisons partout dans la province de Hainaut des personnes qui n’ont pas de toit pour vivre, des personnes sans papier, des personnes seules à éduquer leurs enfants, des jeunes et des adultes esclaves de stupéfiants, obligés de se vendre pour survivre, des personnes dont le handicap n’est pas assez reconnu pour être accueillies dans une institution de soins spécialisées. Nous connaissons tous des personnes seules, jeunes ou âgées, qui n’ont plus le goût de vivre, en raison de l’absence de relations sociales ou en raison de la perte d’un but dans la vie.
Depuis quelques années, nous rencontrons aussi des personnes qui ont fui la guerre en Ukraine, au Proche-Orient, en Afrique sub-saharienne et ailleurs.
Alors que nous vivons dans un Etat de droit qui a ses lettres de noblesse, nous ne cessons pas de reconnaître qu’il y a, dans la province de Hainaut, beaucoup de pauvres qui n’ont pas assez pour vivre, pour survivre. Comme les apôtres, nous ne répondons pas à ces cris par un discours abstrait, mais en remettant au centre la charité envers tous. Dans un Etat de droit, les membres de l’Eglise ont le devoir de discerner là où, pour le moment, les structures mises en place par l’Etat, les pouvoirs publics ne parviennent pas encore à accompagner des personnes en manque de moyens pour vivre. Pas seulement des études théoriques, nécessaires certes, mais aussi des actes.
Léon XIV nous dit : Pour nous chrétiens, la question des pauvres nous ramène à l’essentiel de notre foi (…). La réalité est que, pour les chrétiens, les pauvres ne sont pas une catégorie sociologique, mais la chair même du Christ. En effet, il ne suffit pas d’énoncer de manière générale la doctrine de l’incarnation de Dieu. Pour entrer véritablement dans ce mystère, il faut préciser que le Seigneur s’est fait chair, qu’il a faim, qu’il a soif, qu’il est malade et emprisonné (Dilexi te, 110).
En ce moment-même, en la Basilique de Koekelberg, Mgr Luc Terlinden, archevêque de Malines-Bruxelles, préside un moment de prière en mémoire des abus sur mineurs perpétrés par des ministres et des consacrés de l’Eglise catholique en Belgique. Je sais, par expérience, combien il est difficile d’avoir une attitude juste qui puisse aider les victimes à assumer leur condition et à en sortir pour garder un avenir où elles pourraient découvrir des pistes pour vivre heureuses. J’ai été scandalisé quand j’ai lu la lettre de victimes qui demandaient au pape Léon XIV d’enlever à Mgr Luc Terlinden la mission de référendaire pour les abus sur mineurs en Belgique. Je dis aujourd’hui, calmement, que certains ne disent pas la vérité, manipulés par des personnes ou des lobbys qui ne cherchent qu’à détruire l’Eglise catholique en Belgique. Je connais le montant des transactions qui ont été négociées pour certaines victimes. Lorsque celles-ci disent que la somme allouée n’est que de 3000 €, elles ne disent pas la vérité. Il est grand temps que, tous, nous remontions à 2010 pour connaître les sommes qui ont été proposées depuis lors aux victimes d’abus. Qu’on sache, en tout cas, que je soutiens l’action de Mgr Terlinden dans l’accompagnement des victimes d’abus sur mineurs.
Nous remercions tous les membres de l’Eglise qui entrent dans l’essentiel de la foi. Nous remercions tous les diacres qui manifestent sacramentellement ce mystère.
+ Guy Harpigny,
Administrateur apostolique de Tournai

















