Formation permanente: ne dites plus «prêtres venus d’ailleurs»!
Pour la deuxième journée de la formation permanente 2023, les acteurs pastoraux se sont penchés sur la question de l’interculturalité au sein de l’Église. Pour aborder la question, une médecin-philosophe et trois prêtres se sont succédé sur l’estrade.
Après avoir réfléchi la veille sur ce qu’est l’interculturalité, les acteurs pastoraux réunis ce mercredi 8 mars 2023 se sont penchés sur le lien entre Église et interculturalité. Pour revenir aux sources de la question, l’abbé Simon Naveau est allé rechercher dans les écrits de saint Paul ce qu’était, pour lui et à son époque, l’interculturalité de l’Église.
Un héritage commun
Aux premiers temps de l’Église chrétienne, il n’était pas question d’interculturalité comme nous l’entendons de nos jours (ce terme est d’ailleurs un néologisme). Il existait néanmoins deux réalités différentes: Israël et les païens. Dans ses écrits, saint Paul utilisait différents termes pour décrire ces derniers: Païens – Nations – Grecs – Gentils. En parlant d’Israël, il faisait évidemment référence au peuple juif dans son ensemble et non à l’État moderne.
Une question ressort des textes de saint Paul: faut-il être d’abord juif pour être chrétien? Faut-il assimiler les païens? Paul s’y oppose et parle davantage d’héritage commun: tous sont fils d’Abraham. Il souligne cependant qu’Israël reste Israël: l’appartenance à l’Église n’efface pas son origine juive ou païenne. Le Salut est pour tous, mais d’abord pour Israël puis pour les païens.
Un grand changement est en place avec l’Église Chrétienne: désormais, l’appartenance à un peuple ne passe pas par la naissance mais par le baptême.
Dans son exposé, l’abbé Naveau a également abordé une question: qu’en est-il de l’Israël non-chrétien d’aujourd’hui? «Dieu ne l’a pas abandonné (…) les Nations leur sont redevables de leur salut.» Il a également fait la distinction entre le contexte de saint Paul et le nôtre: si saint Paul parle de la relation entre l’Église et Israël, il est question aujourd’hui de l’Église face aux multiples cultures dans le monde. «Transposer saint Paul aujourd’hui peut être hasardeux», souligne-t-il. «Les différentes cultures apportent à l’Église une différence de culture et non de nature.»
Questions d’éthique et d’interculturalité
Pour aborder la question du défi éthique du dialogue interculturel, le service Formation avait invité le Dr Isabelle Dagneaux, titulaire d’un doctorat en médecine et d’un autre en philosophie. D’emblée, elle a commencé son intervention en posant une question à l’assemblée: «Quand je vous dis ‘interculturalité’, quel défi voyez-vous aujourd’hui? Quels problèmes rencontrez-vous au quotidien?»
Mot par mot, le Dr Dagneaux a décortiqué le titre de son intervention: «Le dialogue interculturel, un défi éthique». Un défi est ainsi une façon de parler des problèmes, de transformer des difficultés en projet. Pour expliquer le mot éthique, elle l’a opposé au mot «morale»: étymologiquement, ce dernier mot signifie mœurs, coutumes (mos, mores en latin) tandis que le premier fait référence au comportement, à la coutume mais aussi, anciennement, au séjour et à la demeure. D’où une question: «Comment bien habiter cette réalité de l’interculturalité?»
En ce qui concerne la culture, une citation la résume assez bien: «Le poisson ne sait pas que l’eau existe». La culture est en effet une réalité dans laquelle on baigne sans vraiment s’en rendre compte, une façon de voir le monde. De plus, personne n’a une seule culture, chacun baigne dans plusieurs cultures, car celles-ci sont liées à nos sens, notre langue, notre façon de percevoir le réel.
Fondements d’un dialogue
Afin de permettre le dialogue interculturel, plusieurs fondements sont nécessaires. Ainsi, il faut mieux connaître sa culture et d’autres, via des lectures ou des exposés mais surtout via des rencontres, afin d’avoir une vision plus riche du monde et de se remettre en question. Il faut également reconnaître la diversité et la complexité des cultures. Pour illustrer cette question, le Dr Dagneau a utilisé une citation: «Si le seul outil que vous avez est un marteau, vous tendez à voir tout problème comme un clou» (Abraham Maslow, The Psychology of Science, 1966).
Elle a également souligné qu’il faut des outils et surtout du temps et de l’espace. Pour un bon dialogue, souligne la conférencière, il faut se poser les bonnes questions: quels sont les objectifs de la rencontre? Quels sont les moyens mis en œuvre?
Il faut également s’interroger sur les relations de pouvoir, de domination entre les cultures, les normes. Ainsi, il ne faut pas organiser quelque chose «parce qu’on a toujours fait comme ça».
L’exemple des missions italiennes
Après un temps de prière et une pause pour le repas, l’après-midi était consacrée à des questions plus pratiques, à partir de deux interventions: Don Alessio Secci, prêtre italien originaire de Sardaigne, aumônier de la communauté italienne de Liège puis de Seraing, et l’abbé Claude Musimar, responsable du service pastoral des migrations dans le diocèse de Tournai.
Don Alessio Secci a abordé l’«histoire des missions italiennes et les leçons à en tirer». En effet, ces missions, dont la première en Belgique est inaugurée officiellement en 1928 à Seraing, ont été les premières du genre et leur expérience peut aujourd’hui servir d’exemple à celles qui ont suivi: communautés polonaises, ukrainiennes, africaines…
Dans le diocèse de Tournai, les premières missions italiennes sont contemporaines aux «Accords charbon» entre la Belgique et l’Italie (23 juin 1946): Mons-Borinage (1945), La Louvière (1947), Marchienne-au-Pont (1948), Maurage (1951) et Péronnes-lez-Binche (1959). D’autres suivront et seront reconnues par le diocèse. Aujourd’hui cependant, les missions installées dans le diocèse de Tournai ont été fermées au départ des missionnaires italiens. (Les communautés qui subsistent sont représentées dans l’APF, Association pulique des Fidèles, selon le droit canonique et créée dans notre diocèse par Mgr Guy Harpigny. Elle est animée par le Vicaire général et l’abbé Claude Musimar et se réunit trois à quatre fois par an. La Communauté Santa Maria Goretti, à Marchienne-au-Pont, poursuit sa route et ses activités. Elle fait partie de l’UP de Marchienne-au-Pont et elle vit grâce au dynamisme et à la disponibilité de ses nombreux fidèles. ndla).
Des leçons à tirer du passé
De l’expérience des missions italiennes, Don Alessio Secci, voit plusieurs leçons à en tirer pour les suivantes. Tout d’abord, l’histoire de ces missions permet de «mettre en évidence une grande espérance qui habite le cœur de l’émigré italien. Il porte le rêve d’une vie meilleure en fuyant la pauvreté en Italie. Il est prêt à payer le prix du sacrifice pour arriver à garantir une stabilité économique à la famille (épouse et enfants), laissée d’abord en Italie puis appelée après quelques temps à le rejoindre en Belgique». À cette espérance tenace s’oppose la dure réalité à leur arrivée en Belgique : stéréotypes, logement dans des baraquements de guerre, isolement, racisme. Il faudra du temps pour que les émigrés soient acceptés et intégrés.
«Pour décrire la migration italienne, on pourrait utiliser l’image de l’arbre et de ses racines», ajoute-t-il. Ce grand arbre n’a pas perdu ses racines. Au contraire, celles-ci sont profondes: les premières générations sont très liées à l’Italie et ont fait en sorte que les suivantes gardent un lien avec leurs origines. «L’émigration demande une intégration graduelle dans la société et dans les communautés d’accueil, mais elle ne peut jamais briser ses propres racines et couper les liens avec ses propres origines.»
Pour que les familles émigrées puissent conserver leur authenticité et leur identité, les communautés italiennes locales jouent un rôle important, afin d’éviter que les émigrés choisissent le chemin le plus simple. En effet, il est parfois plus facile de choisir les habitudes belges, qui peuvent être moins contraignantes, que les traditions italiennes.
Désormais, les familles sont bi-culturelles, belgo-italiennes, avec deux langues et deux identités. Bien intégrées dans leur pays d’accueil, elles n’ont pas perdu leur identité d’origine. Il convient donc de «favoriser la double identité familiale plutôt que de l’écarter par des actions ou des décisions pastorales monoculturelles et monolinguistiques».
Les Églises de réveil
Pour conclure la journée, il était tout naturel de faire appel à la pastorale des Migrations du Diocèse de Tournai et à son responsable, l’abbé Claude Musimar. Dans son exposé, il a rappelé que la majorité des migrants qui viennent de l’Afrique subsaharienne est chrétienne. Cependant, à leur arrivée en Belgique, beaucoup rejoignent des «Églises de réveil», des sectes d’origine africaine. Bien structurées, mieux équipées pour répondre aux demandes de leurs adeptes, elles sont également bien plus accueillantes que notre Église.
L’existence et le succès de ces Églises de réveil doivent nous interpeller. Ces communautés répondent à de nombreux besoins et attentes: chaleur humaine, socialisation, lieu d’entraide, rassemblement identitaire. Face à cette situation, l’équipe des aumôniers et groupes porteurs des communautés africaines, la pastorale des migrations et une équipe mise sur pied par le vicaire général du diocèse de Tournai ont mené une réflexion dont les conclusions ont été publiées dans la brochure «10 réflexions pour faire la pastorale africaine aujourd’hui», parue en 2021.
De nouvelles pistes pour la pastorale africaine
Au centre de ces réflexions: la rencontre, qui a une place prépondérante dans la culture africaine («L’isolement, c’est la mort», dit-on là-bas). L’abbé Musimar a également souligné l’importance de la «religiosité populaire» (sorcellerie, exorcismes, rituels de bénédiction et de protection, etc.) et de la place du prêtre comme guide et pasteur dans la culture africaine. Il ne faut pas négliger ces aspects.
«Notre pastorale doit être sensible à l’accueil», rappelle l’abbé Musimar. Par des gestes de solidarité et de gratuité, par la mise en avant de ce qu’il y a de positif dans chaque culture ou situation, les paroisses peuvent améliorer leur accueil.
Autre point important à retenir de cette conférence: le rappel que l’Afrique est un continent et non un pays. «Il est important de découvrir la diversité du continent africain. Les cultures africaines, si elles présentent des constantes et des similitudes, sont multiples et diversifiées même à l’intérieur d’un seul pays.»
Dans cette pastorale en mouvement constant, il faut prendre le risque de faire confiance, de valoriser les compétences, d’accepter que l’autre n’a pas les mêmes codes que vous et d’intégrer les différences. «La personne qui est en face de moi a un nom», martèle encore l’abbé Musimar, qui voudrait voir bientôt disparaître le terme «prêtres venus d’ailleurs».
Changer notre regard
Après un temps de carrefours en petits groupes, les acteurs pastoraux se sont tournés vers Mgr Harpigny pour le mot de conclusion. Celui-ci a rappelé l’évolution qu’a connu le diocèse de Tournai en ce qui concerne la venue des prêtres venus d’autres diocèses. Il y a vingt ans, la venue de prêtres africains et même leur nomination comme responsables de paroisses étaient une situation inenvisageable. Dans l’avenir, il faudrait mettre autour de la table, dans chaque UP (EAP, Conseils pastoraux, etc.), des représentants de toutes les cultures. «Nous sommes dans une situation où il faut changer notre regard», a-t-il précisé.
Rebondissant sur le propos de l’abbé Musimar, notre évêque a, à son tour, souligné l’importance d’appeler la personne par son nom. «À partir de maintenant, je n’utiliserai plus le terme ‘Prêtre venu d’ailleurs’, c’est fini!» Voilà qui est dit!
Marie Lebailly
Pour (re)voir les conférences du mercredi 8 mars 2023:
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- Simon Naveau: «L’interculturalité de l’Église selon saint Paul»
- Isabelle Dagneau: «Le dialogue interculturel, un défi éthique»
- Alessio Secci: «Comment mettre en œuvre l’interculturalité: l’histoire des missions italiennes»
- Claude Musimar: «Comment mettre en œuvre l’interculturalité: pour une pastorale africaine aujourd’hui»
(© conférences filmées et montées par Sonostradamus)