Une petite visite improvisée à Soleilmont…

Une petite visite improvisée à Soleilmont…

Les Sœurs Caroline et Marie-Pascale ont reçu à l’abbaye la revue «Présences», publiée par la région pastorale de Charleroi. Un accueil chaleureux  en toute simplicité.

Présences: Merci de prendre de votre temps pour répondre à quelques questions et ainsi permettre aux lecteurs de Présences (dont vous faites partie!) de prendre conscience de l’importance du travail dans votre vie à l’abbaye.

Sœur Caroline: Bienvenue! Bienvenue! Nous sommes toujours disposées à recevoir et renseigner toute personne intéressée par notre travail. Nous recevons aujourd’hui des jeunes rhétoriciennes pour trois jours; elles viennent se mêler à la vie monastique et vivre notre quotidien. Je vais vous laisser avec Marie-Pascale qui pourra vous en dire plus sur ce que nous faisons de nos journées. (Nous nous installons dans la pièce d’accueil)

P: Pour ce numéro axé sur l’Eucharistie, nous étions curieux d’en apprendre un peu plus sur la provenance des hosties qui nourrissent nos assemblées. Mais aussi savoir comment vous vivez cette mission particulière. 

Sœur Marie-Pascale: Nous lisons «Présences» ici, et c’est très agréable de découvrir les différents témoignages. Nous avons besoin de ces paroles vraies venant de personnes diverses. Tu citeras bien Caroline, elle le mérite tant! (Caroline passe en coup de vent…)

SC: Je me disais que vous pourriez aller dans la pièce du fond, là où il y a le panneau didactique pour expliquer la fabrication. Et puis nous cuisons aujourd’hui! Ce serait bien que tu puisses lui montrer!

SMP: (pleine d’entrain et de fierté) Oh oui, ce panneau est très bien fait! Viens, on va te montrer!

P: Merci infiniment pour votre disponibilité, malgré la fabrication en cours.
(Nous nous installons à table et Caroline sort un panneau fait main)

SC: Ça fait un moment que je me dis qu’il faudrait refaire des photos. Grâce à cette visite, je vais m’y atteler tout de suite! Je les enverrai, et elles nous permettront d’actualiser notre panneau. (Elle sort)

P: Racontez-moi, que faut-il savoir?

SMP: Déjà, ce sont des contemplatifs qui font ce travail, ils travaillent à l’intérieur. C’était les carmels, les abbayes, mais beaucoup ont fermé, comme Floreffe.

P: Depuis combien de temps fabrique-t-on les hosties à Soleilmont?

SMP: Depuis toujours! Le vieux Soleilmont, qui a été bâti au 12e siècle et dont on peut voir les restes près du R3, avait déjà cette mission. Après la révolution française, Cambron, Aulne et Villers pour ne citer qu’elles, ont été détruites. Orval, qui avait souffert, a été reconstruite. Et le Vieux Soleilmont, qui n’avait pas été détruit, a été transformé en pensionnat. Ça avait du bon au niveau des vocations ! Les sœurs étaient logées au château de Farciennes.

En 1838, la Communauté a vraiment commencé à refleurir. En 1914, avec la guerre, les élèves ont été renvoyés dans leur maison. Les sœurs ont repris les bâtiments et ont mis en place la prière des heures et le travail. Jusqu’à cette nuit…le soir de Noël 1963… Un incendie qui a tout détruit, sauf la partie où on travaillait. Je me souviens, il y avait de la fumée, mais pas de cri. La Mère Abbesse nous a fait sortir, on n’avait que ce nous avions sur nous, tout le reste est parti dans l’incendie. Il ne restait que l’hôtellerie, la ferme et les prairies. Nous avons eu l’aide de Saint-Joseph à Gilly, qui nous a hébergées pendant trois semaines. On se déplaçait en rang dans l’hôpital pour aller prier les heures (petit rire).

Je n’étais là que depuis six mois… et j’ai pu voir à quel point la Communauté peut vous porter dans ces moments. La Mère Abbesse nous avait d’ailleurs donné l’ordre de ne rien demander à l’extérieur, même à nos familles, on devait tout faire entre soi. «Le Seigneur nous enverra ce qu’il nous faut», disait toujours la Mère Abbesse. On n’a jamais manqué de rien. Et en trois semaines, on a remonté quelques murs et quelques toits avec l’aide des frères trappistes de Westmalle, on a déblayé, reconstruit le minimum pour emménager, nettoyé les vieilles pierres pour pouvoir les réutiliser dans la reconstruction. On a réintégré les bâtiments; on mettait des matelas à terre pour dormir la nuit, et le matin, on rassemblait tout contre les murs pour pouvoir travailler.

En 1967, l’accueil était reconstruit. Quand on a vu l’architecte, on a décidé de faire les nouveaux bâtiments. Le 27 septembre 1973, on en prenait officiellement possession. Ça fera donc 50 ans qu’on est ici cette année! Et l’architecte, M. Laurent, vit toujours, il a 95 ans! En attendant de déménager, on a continué à travailler, et on a organisé 2 ou 3 Portes ouvertes. Trois familles ont acheté des parts du Vieux Soleilmont, et on a laissé la quatrième à la paroisse pour le Patro et l’école. Il y a maintenant un cirque, un restaurant, une salle et une ferme qui accueille les chevaux dont les propriétaires n’ont pas de place pour les loger. Et jamais la fabrication des pains d’autel n’a cessé!

P: Parlez-moi de la fabrication. Comment cela se passe-t-il? Tout me semble bien raconté sur votre panneau. Toutes les sœurs participent?

SMP:  Le travail est bien réparti. Les jeunes cuisent, parce qu’il faut être très attentive et vive en cas de problème. Il y avait trois fers avant, manuels, maintenant on en a six automatisés. C’est comme un carrousel de six fers, ils s’ouvrent et se ferment tout seul, la pâte est mise automatiquement, et ça tourne le temps de la cuisson. Il faut être deux absolument. Une à la machine pour sortir les pains qui sont cuits (ce sont des plaques rectangulaires qu’il faut empiler), et une pour mettre et retirer les bacs qui reçoivent les plaques de pain, remplacer la manne de pâte et évacuer le surplus de pâte qui déborde parfois des fers.

Tant qu’il n’y a pas de souci, c’est vraiment facile. Mais il faut peu de choses pour créer un problème, et là, ça devient compliqué ! Il faut tout arrêter, laisser refroidir, et nettoyer avant de pouvoir relancer la cuisson. Il faut donc aussi des expertes pour faire la pâte. Une farine pas trop vieille, ni trop d’eau ni trop peu. Depuis qu’on a des instruments modernes, c’est beaucoup moins fatigant, le pétrin s’incline pour verser la pâte dans les mannes. (Elle regarde le panneau et dit avec beaucoup d’émotion:…) Ah, petite Marie, toujours avec le sourire…

Ensuite il faut étaler les pains sur des étagères de fils de fer pour les humidifier. Quand ils sortent des fers, ils sont croquants comme du biscuit. Si on ne les humidifie pas, ils se cassent à la découpe. Et dans cette pièce, il fait chaud! C’est comme un sauna. Quand on y va, on s’habille le plus légèrement possible, mais il faut faire attention à ne pas prendre froid quand on sort de là! Pour la découpe, il faut faire très attention! On met 50 plaques et la machine coupe tout en une fois. On met l’emporte-pièce de la taille qu’on veut, et la machine scie les ronds. On a plusieurs tailles d’hosties.

P: Que faites-vous des chutes des plaques de pain découpées?

SMP: On les mange comme biscuit! Il y a des mamans qui viennent en chercher aussi pour leur enfant, c’est très bon, et c’est sans sucre et sans graisse!

P: Plus qu’à emballer…

SMP: Eh bien non! Il y a le contrôle qualité! C’est une sœur de 95 ans qui s’en occupe. Elle prend les hosties une à une pour les vérifier. Elle fait ça pendant 2 heures le matin, et continue parfois après-midi. Les plus grandes sont emballées par deux, les moyennes par 5 ou 10, et les petites par 100. Elles sont emballées dans des sachets qui sont scellés (pour l’humidité). Puis on prépare les commandes. Nous préférons toujours quand quelqu’un peut venir les chercher. Les frais pour les envoyer sont très élevés, et ça demande de calfeutrer correctement les sachets pour garder les pains intacts (quand on voit comment on traite les colis…). M. le Doyen vient toutes les deux semaines prendre son pain, et on peut lui donner les cartons pour Charleroi, mais aussi des autres, notamment pour Tournai. Quelle chance qu’on l’ait, M. le Doyen!

P: Dans certaines églises, les hosties sont brunes, et dans d’autres elles sont blanches. Vous faites deux sortes?

SMP: Oui oui, c’est la même fabrication, la même farine. Ce qui change, c’est que la pâte est plus légère pour les blanches et la cuisson est plus rapide. On doit régler le carrousel pour que ça aille plus vite. Et la pâte est faite le matin pour être cuite l’après-midi, elle doit être la plus fraîche possible. Alors que pour les brunes, la pâte est faite l’après-midi et est mise à reposer toute la nuit pour être cuite le matin. Quand il fait chaud, on met moins d’eau et on met des glaçons pour compenser et pour que la pâte ne mousse pas à cause de la chaleur.

P: Si je calcule bien, il faut compter une semaine pour que tout le travail soit fait.

SMP: En effet, on fait ça chaque semaine. On pétrit 4 mannes de pâte en début de semaine (il faut 10kg de farine par manne). Et puis on cuit, on humidifie et on coupe. Et enfin on emballe et on expédie.

P: Quel sens donnez-vous à ce travail?

SMP: Nous prions beaucoup. Les gens ignorent souvent les effets de la prière. En plus de la prière des heures, notre travail permet de prolonger ces moments de prière collective. Nous pensons à ce que nous faisons, c’est quand même un pain spécial, c’est le pain qui nourrit le peuple de Dieu. Bien sûr que ça nous fait gagner de l’argent, mais très peu, juste de quoi faire un petit bénéfice quand on est rentré dans nos frais. Nous prions pour les personnes qui mangeront ce pain, les pasteurs, ceux qui communient. Nous devenons nous-mêmes pain de vie en partageant l’Eucharistie (Devenez ce que vous recevez).

Nous avons la chance de vivre dans un cadre magnifique, propice à la méditation, de faire un travail pour nourrir la foi du peuple de Dieu, d’avoir une Communauté qui nous porte chaque jour, de chanter les merveilles de Dieu… Et si nous allions voir l’atelier où les sœurs sont en train de cuire?

Tu peux goûter un morceau qui vient d’être cuit! Tu vas voir comme c’est bon! (En effet, c’est croquant et très savoureux!) Et à côté, il y a le contrôle de qualité et l’emballage.

P: Un immense merci pour cette découverte et ce beau moment de partage, merci de m’avoir accueillie si chaleureusement et avec tant de bienveillance.

SMP: Tu reviens quand tu veux!

Soleilmont, le mercredi 15 mars 2023

Publication avec l’aimable autorisation de l’auteur et de la rédaction de la revue «Présences»

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