Homélie de la Messe chrismale (Cathédrale, 26 mars 2024)

Homélie de la Messe chrismale  (Cathédrale, 26 mars 2024)

Nous sommes au cœur de notre foi lorsque nous entrons dans le mystère de la Pâque de Jésus. Comme il nous le dit à la Dernière Cène, j’ai désiré d’un grand désir manger cette Pâque avec vous avant de souffrir (Lc 22,15). A ce repas, nous sommes invités, quelle que soit l’étape sur le chemin de la foi.

Au cours de la Semaine Sainte, à plusieurs reprises, nous entendons dans la liturgie : élevé sur la Croix, le Christ attire à lui tous les êtres humains (Jn 12,32). Comme chrétiens, nous croyons que le Christ nous attire. Nous en prenons conscience et nous répondons de manière positive à cette attraction, par l’acte de notre foi, par l’écoute de la Parole de Dieu qui retentit dans notre cœur.

Avons-nous conscience aujourd’hui que le Seigneur nous attire pour passer avec lui de la mort à la vie ? Le premier mouvement de l’acte de foi est de reconnaître que l’initiative vient de Dieu. Parfois, nous évaluons la mission de l’Eglise en comptant ceux et celles qui se convertissent grâce à notre témoignage, grâce aux finances que nous injectons dans des projets dits pastoraux. En fait, avant de calculer et de compter, souvenons-nous que c’est Dieu qui, le premier, prend l’initiative de nous créer et de nous sauver du mal, du péché et de la mort.

Certes, nous pouvons toujours nous demander pour quelle raison la majorité de l’humanité qui vit sur la planète terre n’a pas encore été informée de cette initiative de Dieu. La même question se pose pour la venue du Fils de Dieu en ce monde. Pourquoi a-t-il fallu tant de siècles pour que la promesse d’un Messie se réalise dans la tradition juive ? Peut-être la question est-elle mal posée. Que savons-nous de la relation que Dieu a avec chaque être humain ? Que savons-nous de l’accueil que chaque être humain manifeste lorsqu’il perçoit dans sa conscience un appel à discerner le sens de sa vie, la conduite à suivre, les choix de vie à opérer ?

N’oublions pas que l’Eglise, l’ensemble de ceux qui sont passés de la mort à la vie par le baptême, la confirmation et qui participent à l’eucharistie, que l’Eglise est signe, sacrement dans le Christ, de l’initiative de Dieu qui crée et qui sauve.

Grâce à la Pâque de Jésus, nous devenons le Corps du Christ, dont lui-même, le Christ, est la Tête. En un sens, nous devenons chacun, chacune, un autre Christ. Comme le disent des textes fondateurs, nous sommes rendus conformes au Christ. Lui, qui est le Fils unique du Père, il nous fait devenir, par sa Pâque, des fils adoptifs, des enfants d’un même Père.

Le soir de Pâques, le Ressuscité pénètre au Cénacle où les apôtres se sont enfermés. Il souffle sur eux et il leur dit : Recevez l’Esprit Saint. A qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis (Jn 20,22-23).

A la Pentecôte, l’Esprit vient sur Marie, les apôtres et les autres disciples comme une force qui donne l’audace de témoigner du Christ mort et ressuscité, avec tant de persuasion que le cœur de ceux qui écoutent est bouleversé : Pierre, que devons-nous donc faire ?  Nous connaissons la réponse : Convertissez-vous ; que chacun de vous reçoive le baptême au nom de Jésus Christ pour le pardon de ses péchés, et vous recevrez le don du Saint-Esprit (Ac 2,37-38).

La Pâque du Christ, depuis la Dernière Cène jusqu’au don de l’Esprit, se déploie dans tous les sens : d’abord dans le temps, depuis la veille de la passion et de la mort de Jésus jusqu’à la fête de la Pentecôte ; nous croyons que la Pâque sera rendue présente jusqu’au moment de la venue du Christ à la fin des temps, lorsque, tous, nous serons invités au repas des noces de l’Agneau, dans la Jérusalem céleste.

La Pâque du Christ se déploie dans l’espace : depuis le Cénacle, le mont des Oliviers, le jardin de Gethsémani, le Calvaire, le tombeau à Jérusalem ; le tombeau vide, le chemin entre Jérusalem et Emmaüs, le Cénacle à Jérusalem, le lac de Tibériade, la Galilée et le Cénacle le jour de Pentecôte. L’Esprit Saint suscite des envois en mission des apôtres, des sept, même auprès de païens. Saul fait l’expérience du Christ sur le chemin de Damas. Grâce à Barnabé et Paul, la communauté d’Antioche connaît un développement extraordinaire. C’est dans cette ville que les baptisés reçoivent pour la première fois le nom de « chrétiens ».

La Pâque du Christ, manifestée par le baptême, la confirmation et l’eucharistie, manifestée dans les autres sacrements nous fait ensuite découvrir que, nous aussi, nous sommes invités à participer à l’offrande que Jésus fait de sa vie en mourant sur la Croix. Avant de venir en ce monde, dit la Lettre aux Hébreux, le Fils de Dieu parle à son Père : De sacrifice et d’offrande, tu n’as pas voulu, mais tu m’as façonné un corps. Holocaustes et sacrifices pour le péché ne t’ont pas plu. Alors j’ai dit : Me voici, car c’est bien de moi qu’il est écrit dans le rouleau du livre : je suis venu, ô Dieu, pour faire ta volonté (He 10,5-7).

Le Fils de Dieu, en devenant un être humain, se veut le frère de tous les humains. Il va plus loin encore, il devient humain jusqu’à accepter la souffrance, la mort, à passer par l’épreuve. En faisant référence à Gethsémani, la Lettre aux Hébreux continue : C’est le Christ qui, au cours de sa vie terrestre, offrit prières et supplications avec grand cri et larmes à celui qui pouvait le sauver de la mort, et il fut exaucé en raison de sa soumission. Tout Fils qu’il était, il apprit par ses souffrances l’obéissance, et, conduit jusqu’à son propre accomplissement, il devint pour tous ceux qui lui obéissent cause de salut éternel, ayant été proclamé par Dieu grand prêtre dans la ligne de Melkisédeq (He 5,7-10).

Prenant une comparaison avec le Sanctuaire au Temple de Jérusalem, la Lettre aux Hébreux poursuit : en acceptant de mourir sur la Croix, Jésus a fait de sa vie une offrande au Père : il est passé du Sanctuaire terrestre au Sanctuaire céleste. Désormais, le Christ est le seul prêtre. De plus, en ce prêtre unique, nous avons à la fois l’autel du sacrifice, le prêtre qui offre la victime et la victime qui est offerte. C’est là que nous contemplons le salut (He 9,24-28). Comme nous l’entendons dans le récit de l’institution de l’eucharistie : le Christ est le Corps livré pour nous ; le Sang de l’alliance nouvelle et éternelle versé pour nous et pour la multitude en rémission des péchés.

Dans la prière eucharistique IV, nous entendons : Regarde, Seigneur, Celui qui s’offre dans le sacrifice que toi-même as préparé pour ton Eglise, et, dans ta bonté, accorde à tous ceux qui vont partager ce Pain et boire à cette Coupe d’être rassemblés par l’Esprit Saint en un seul corps, pour qu’ils deviennent eux-mêmes dans le Christ une vivante offrande à la louange de ta gloire.

La Pâque du Christ, élevé sur la Croix et Ressuscité des morts, nous invite à faire de nous-mêmes une offrande au Père, sanctifiée par l’Esprit Saint. En d’autres termes, nous participons au sacerdoce du Christ, en nous unissant à son offrande. Ce que nous célébrons, entre autres, à la liturgie eucharistique.

Les paroles, les gestes de Jésus nous sont rendus visibles dans les sacrements. Désormais, pour connaître Jésus, nous avons l’Ecriture, la Bible, où nous cherchons la Parole de Dieu. Nous avons la Tradition de l’Eglise qui transmet, qui porte l’Ecriture. Nous avons la Tradition, la liturgie, qui manifeste ce que le Seigneur fait vivre en accueillant son salut par des paroles, des gestes, des réalités bien tangibles comme l’eau, l’huile, le pain, le vin.

Pour rencontrer le Christ dans sa Pâque, nous avons la liturgie. Avant de chercher à comprendre tout, laissons-nous émerveiller car c’est là que nous découvrons, pour nous aujourd’hui, le dessein de Dieu sur toute l’humanité. Au lieu de choisir des thèmes de réflexion, entourés de rites ; avant de chercher ce qui est spectaculaire, proche d’un événement festif, laissons-nous porter par ce qui est proposé. Laissons-nous inviter par celui qui nous attire à lui, le Christ, pour nous laisser conduire vers Dieu le Père, sous l’action de l’Esprit Saint.

Aussi, célébrer la liturgie, ce n’est pas rappeler des souvenirs de ce que nous appris quand nous étions tout petits ; ce n’est pas avoir un discours mobilisateur pour une cause ou l’approfondissement d’un thème ; c’est rencontrer le Seigneur aujourd’hui dans sa Pâque.

Ce qui est appelé, en langage biblique, le culte spirituel, c’est laisser la Pâque du Christ innerver tous les aspects de notre vie : pas seulement l’intelligence ou le cœur, mais encore notre vie morale, notre éthique, notre découverte de la beauté.

Quand nous cherchons ce qui nous identifie, à partir du Christ, nous n’avons pas d’actions d’éclat à proposer mais simplement le signe de la Croix. L’apôtre Paul, qui présentait de temps en temps sa prière au Seigneur, tellement il se sentait faible, a bien compris où se trouvait sa force : Pour moi, non, jamais d’autre fierté que la Croix de notre Seigneur Jésus Christ ; par elle, le monde est crucifié pour moi, comme moi pour le monde (Ga 6,14).

Paul a raison. Quand nous découvrons que le Christ a souffert « par amour pour son Père » et « par amour pour toute l’humanité », donc aussi « par amour pour nous », nous sommes frappés par l’étonnante fécondité du don de sa vie. Le Christ laisse jaillir de son côté transpercé les fleuves d’eau vive qui nous font renaître, l’Esprit Saint destiné à ceux qui croient en lui (Jn 7,37-39).

Sur ce chemin, deux pièges nous attendent. Le premier est de penser que, puisque nous savons, nous serons sauvés. Combien de personnes qui ont eu l’occasion de connaître le Catéchisme par cœur, ont estimé qu’elles seraient sauvées, même en étant éloignées d’une pratique de la Parole de Dieu, à côté de la prière vivifiée par l’Esprit Saint. On sait, par conséquent on sera sauvé. Ce qui est participation à la vie du Christ par les sacrements n’est pas utile, ne fait pas partie de ma vie de foi. Quelle erreur ! Il y a la connaissance du contenu de la foi et il y a l’acte de foi, l’accueil de l’invitation du Seigneur et la célébration des sacrements

Le deuxième piège est de penser qu’on arrive au salut en faisant le bien, sans être guidés par la Parole de Dieu ou l’Esprit Saint. J’ai toujours voulu faire le bien. Par conséquent, j’ai droit à être sauvé. Quelle erreur ! C’est le Seigneur qui m’invite à recevoir le salut. C’est encore lui qui me donne l’Esprit Saint pour répondre à sa Parole et pour discerner le bien.

Ce soir, le Seigneur nous invite à nous émerveiller devant l’huile destinée aux malades, devant l’huile destinée aux catéchumènes, devant l’huile parfumée, le Saint-Chrême, destinée aux baptisés, aux confirmés, aux prêtres et aux évêques le jour de leur ordination.

Portons toutes ces personnes dans notre prière et prions l’Esprit Saint afin que ceux à qui cela revient puissent nous envoyer un nouvel évêque selon le cœur de Dieu.

+ Guy Harpigny,
Evêque de Tournai

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