Le corps, au cœur de toutes les attentions et tensions…

Le corps, au cœur de toutes les attentions et tensions…

Amour, (comm)union, fécondité, péché, chasteté, altérité, homosexualité, transidentité, vulnérabilité, respect: c’est sur ces notions et bien d’autres encore que trois intervenants aux regards parfois très différents ont invité les participants à réfléchir. Avec sans doute un point de convergence: «Le fil rouge qui réunit nos vies troublées, c’est la fidélité de Dieu».

La deuxième journée de la session 2024 de formation permanente du diocèse de Tournai a commencé comme la première: par des embouteillages! C’est donc avec un peu de retard que la suite des interventions consacrées aux «anthropologies chrétiennes du corps» a commencé. Après un mardi de formation plus théorique et exégétique, le mercredi –tout en restant intimement attaché aux textes bibliques– a permis d’entrer dans des situations plus concrètes de la vie humaine, appréhendée dans toute sa diversité, ses aléas, ses questionnements.



L’abbé Christophe Cossement a lancé la réflexion. Prêtre du diocèse hennuyer depuis 1997, ancien directeur de l’Institut Supérieur de Théologie du Diocèse de Tournai (ISTDT) –où il dispense toujours des cours d’éthique sociale–, formateur au Séminaire Namur, ce musicien dans l’âme est aussi curé des unités pastorales de Frameries-Quévy et de Colfontaine. Et pour aborder la thématique du corps, il avait choisi de s’arrêter sur «La théologie du corps selon saint Jean-Paul II».


Don de soi

«Ce que je vais dire va tous nous interpeler, nous bousculer, parce que nous avons tous un corps. (…) Notre corps et ses pulsions nous en font voir de toutes les couleurs. Mais notre corps est appelé à la sainteté et à la vie éternelle lui aussi.» Évoquant les ouvrages Amour et responsabilité (écrit par Karol Wojtyla en 1960, avant qu’il ne devienne pape) et Homme et femme il les créa (catéchèses données entre 1979 et 1984), l’abbé Cossement décortique une spiritualité du corps qui a renversé la conception platonisante souvent défendue jusque-là.

Il revient sur la solitude originelle de l’homme: «Il est différent de tout le monde visible, c’est un ‘je’ devant Dieu, une personne constituée en relation avec Dieu.» En créant la femme, Dieu donne à l’homme «une aide assortie». «Adam découvre sa masculinité après avoir découvert la féminité; aujourd’hui, on assiste souvent à un combat de l’une contre l’autre, mais elles devraient être la promotion l’une de l’autre.»

Au gré de l’exploration de la théologie de saint Jean-Paul II, on interroge la résurrection de la chair, le sens du mariage («Il ne s’agit pas tellement de chercher Dieu dans l’autre, il s’agit de vivre le don de soi à Dieu en se donnant totalement à son conjoint»), le célibat consacré. Ou la morale familiale de l’Église: «La procréation l’a souvent emporté sur la valeur de l’union. Dans la légende urbaine, l’idée qu’on ne doit ‘faire l’amour que pour avoir des enfants’ persiste encore. Mais cela signifierait que Dieu aurait eu une vision utilitariste du corps humain. Le corps dépasse de loin la reproduction mais c’est l’union, la communion.»

Christianisme et homosexualité

Avant de céder la place à l’orateur suivant, l’abbé Cossement a souhaité s’arrêter un moment sur l’acte sexuel homosexuel: «Dans la liaison homosexuelle, on passe toujours à côté de l’union même si le cœur y aspire. Ce rapprochement par la satisfaction sexuelle ne s’accomplit pas par l’union, l’union qu’on recherche ne peut pas s’accomplir physiquement.»

Une vision non partagée par le Français Michel Anquetil. Juriste, Docteur en droit, titulaire d’un master en théologie, ce catholique croyant et pratiquant est membre de l’association David et Jonathan depuis 1985 et y accompagne des personnes homosexuelles dans leur chemin de foi. Il est aussi l’auteur de deux ouvrages : Chrétiens homosexuels en couple, un chemin légitime d’espérance (Edilivre, 2018) et Chrétiens homosexuels en couple : bonheur et sanctification (L’Harmattan, 2020).

«Il est difficile de cerner cette réalité au travers des nombreuses pratiques bien différentes vécues par les hommes et les femmes au cours des âges. Le mot homosexualité lui-même n’a été forgé qu’en 1868 dans le milieu médical pour considérer l’attirance sexuelle ou amoureuse envers une personne de même sexe comme une maladie psychiatrique… et ce jusqu’à ce que le 17 mai 1990 l’Organisation mondiale de la santé raye l’homosexualité de la liste des maladies mentales. Face à ces différentes réalités, l’Église s’est positionnée assez simplement en condamnant les actes sexuels entre personnes de même sexe, quelles qu’en soient les circonstances. Sachez toutefois que selon certains historiens, l’Église aurait connu des périodes relativement plus tolérantes.»

Le respect de l’altérité

Michel Anquetil n’a pourtant pas choisi de s’appesantir sur le volet historique de l’homosexualité mais plutôt sur une approche de la réalité telle qu’elle est vécue aujourd’hui, «à savoir l’attirance sexuelle et affective envers une personne du même sexe que le sien, et le désir conséquent de faire couple, voire de faire famille.» Il a aussi tenu à soulever la fragilité de la notion «d’anthropologie chrétienne», catholiques, protestants et orthodoxes ayant parfois des approches fondamentalement différentes en la matière. 

Après avoir «relu» avec l’assemblée les premiers chapitres de la Genèse («Au départ, Dieu crée toute une série d’êtres, pour se reproduire; l’être humain est lui créé à l’image de Dieu, sa sexualité n’est pas ‘programmée’: chez l’humain, le sexe est une histoire, pas une nature»), Michel Anquetil insiste sur la différence entre sexualité et altérité, notant au passage que lorsque les références culturelles ne sont pas trop contraignantes, il existe une certaine fluidité dans les comportements dits masculins ou féminins.

«La question est de développer des relations entre humains, selon la volonté de Dieu. La réponse à cette question est l’altérité, le respect des différences. L’altérité invite chacun à adopter la juste distance pour que l’un ne dévore pas l’autre. La différence sexuelle n’est qu’une composante de l’altérité. Le grand commandement est ‘Tu ne tueras pas l’autre, tu ne l’écraseras pas, quelles que soient ses différences’. L’identité de frères et sœurs du Christ l’emporte.»

Et dans la pastorale?

Dernière intervenante du jour, Sr Catherine Fino est venue elle aussi d’Outre-Quiévrain. Membre de la congrégation des Sœurs salésiennes de Don Bosco, docteur en médecine, docteur en théologie, elle enseigne la théologie morale à l’Institut catholique de Paris.

«Le corps participe de l’identité personnelle, culturelle, sociale,… Il est source de communion, on le sollicite pour éduquer au vivre-ensemble, mais il est aussi source de stigmatisation. Il nous fait expérimenter notre vulnérabilité. Et c’est un lieu de résilience: quand la parole est impossible, on peut ‘parler’ de manière non verbale et dépasser certains blocages.»

Dans la pastorale, on a le devoir et le désir d’accompagner les jeunes «en situation de trouble», de quelque nature qu’il soit. «Mais si j’accompagne, est-ce que je donne encore des repères clairs?» Évoquant plus spécialement la transidentité, Sr Catherine reconnaît qu’une certaine tension peut naître chez les acteurs pastoraux, entre le cadre juridique qui se construit autour des personnes qui changent de genre et une anthropologie chrétienne qui conserve la complémentarité homme-femme: «Comment surmonter les contradictions entre l’école, la famille, l’Église ou les réseaux sociaux en matière de sexualité?»

S’aider «entre corps fragiles»

Pour cela, Sr Catherine s’appuie sur diverses considérations sur le corps: le corps nous invite au don; le bien-être du corps de l’autre est confié à notre responsabilité; tous les dons reçus à la naissance sont à développer tout au long de la vie; il faut apprendre ou réapprendre à aimer son corps au fil des changements qui le touchent; la résurrection est la confirmation de la dignité du corps; dans une société de la performance, notre corps n’est jamais «au point», mais tout bancal qu’il est, il est appelé au salut et cela nous apprend à nous aider entre corps fragiles.

Comme le précédent orateur, Sr Catherine a également abordé assez longuement la thématique de la transidentité (ou quand une personne ne s’identifie pas au genre qui lui a été donné à la naissance sur base de ses organes génitaux). Là aussi, elle encourage à se référer à un socle anthropologique et à un socle éthique, à refuser le dualisme qui sépare corps et esprit pour prendre en compte la globalité de la personne. «La diversité s’invite souvent dans l’application des normes, rien ne nous dispense d’écouter les circonstances particulières parce que l’exception est encore une façon responsable d’envisager la norme.»

Une attitude d’ouverture qui permet d’accueillir, de discerner et d’intégrer la fragilité: «Il y a un point commun pour tout le monde: ‘choisis la vie’. Pour accompagner un jeune, on ne prend pas de décision à sa place, on se met au service de son discernement et on ne réduit jamais une personne à sa sexualité. (…) Nous devons réintégrer dans notre morale chrétienne des règles de justice, se mettre en dialogue pour avancer sur ces questions, ne pas tenir de discours qui écrasent l’autre ou favorisent des normes stéréotypées.»

Toutes ces rencontres, cette diversité, cette altérité ne constituent-elles pas finalement de formidables occasions de dialoguer, de réfléchir ensemble? «Nous pouvons en faire une chance…»

Agnès MICHEL

AU SERVICE DES PERSONNES

Après un moment de questions-réponses entre l’assemblée et les trois intervenants réunis, Mgr Harpigny a pris la parole pour conclure cette session de formation. «Nous sommes en 2024. Si on avait fait cette formation en 1950, nous serions partis du monogénisme, l’humanité qui dérive d’un seul couple et le péché originel qui se transmet depuis ce couple», a lancé notre évêque, tout sourire.

«En théologie morale, il existe un seul commandement en deux: aimer Dieu et aimer son prochain. Qu’est-ce que le prochain? L’être humain tel qu’il est et non tel que nous l’imaginons. Et donc il faut le prendre comme il est en 2024, des êtres humains concrets. Cela nous oblige à être au fait de ce qui se dit dans les sciences, dans les sciences humaines, de revoir les systèmes philosophiques (et pas uniquement occidentaux), d’être attentif à ce qui est dit dans chacune des cultures,…»

Et de conclure: «Il y a plusieurs types d’anthropologies. Mais l’être humain concret est dans la diversité et nous devons nous mettre au service de ces personnes.»

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