Les acteurs pastoraux ont étudié le corps

Les acteurs pastoraux ont étudié le corps

Pendant deux journées intenses de formation, les 9 et 10 avril 2024, les acteurs pastoraux réunis dans l’auditoire des FUCaM ont approfondi leurs connaissances sur les anthropologies chrétiennes du corps. La première de ces journées était davantage axée sur l’exégèse et l’Histoire.

Après plusieurs années à Imagix Mons puis à Ghlin, la session de formation permanente organisée par le Service de Formation du Diocèse de Tournai a retrouvé ses racines : le grand auditoire du campus FUCaM de l’UCLouvain à Mons.

Cette année encore, l’invitation a été lancée à tous les acteurs pastoraux : prêtres, diacres, animateurs en pastorale, membres des différentes Équipes d’Animation Pastorale (EAP) et membre du personnel de l’Évêché. Environ deux cent d’entre eux ont répondu « présent » pour ces deux journées au programme très dense.

Un thème lié à l’actualité

Le thème de l’année 2024 était « Les anthropologies chrétiennes du corps ». Le choix de ce sujet n’est pas dû au hasard, comme l’a souligné Stanislas Deprez, responsable du Service Formation, lors de la présentation de la Session. En effet, deux « épisodes » récents en particulier ont suscité de vives réactions négatives en Belgique et divisé l’opinion publique : l’entrée en vigueur du guide sur Éducation à la Vie Relationnelle, Affective et Sexuelle connu sous son acronyme d’EVRAS ;, en septembre 2023 et, le 18 décembre 2023, la publication de la Déclaration Fiducia Supplicans, sur la bénédiction des couples homosexuels, par le Dicastère pour la Doctrine de la Foi.

Concernant ce dernier document, Stanislas Deprez a souligné que « bien que le document précise qu’il faut éviter de créer une confusion avec la bénédiction propre au sacrement du mariage, il a suscité de nombreuses réactions très négatives : quelques personnes trouvaient que le document n’allait pas assez loin, beaucoup estimaient au contraire qu’il allait trop loin ».

Entre Traditions et Modernité, entre Conservateurs et Progressistes, il est difficile voire problématique de trancher la question. Qui a tort ? Qui a raison ? Quelle est la meilleure approche ? « Le Service diocésain de la Formation a donc jugé essentiel de consacrer les deux journées annuelles de formation à cette délicate question de ce qu’est un Être Humain. En effet, nous sommes-nous dits, il est de notre devoir d’éclairer nos collègues et nous-mêmes, précisément parce que c’est difficile, précisément parce que cela pose problème. Le plus intéressant était de prendre ces questions à la racine, aux fondements, en nous interrogeant sur la conception chrétienne de l’Humain. Ou plutôt sur les conceptions chrétiennes, les anthropologies chrétiennes du corps. Il n’est pas sûr en effet que la Tradition soit unanime (…) La Session permettra de mieux saisir la diversité et/ou l’unité des doctrines chrétiennes sur le corps ».   

Dieu comme un Tisserand

Pour cette première journée, les conférences ont surtout fait appel à l’Histoire et à l’exégèse. La matinée était ainsi consacrée à la question du point de vue de l’Ancien et du Nouveau Testament. L’abbé Olivier Fröhlich, vicaire général du Diocèse de Tournai, a ainsi introduit la session en présentant les conceptions du corps l’Ancien Testament. Pour cela, il a fait quelques incursions dans la tradition juive puisque, comme il le précise, « méthodologiquement, je m’interdis presque totalement de reprendre l’interprétation chrétienne de l’Ancien Testament ».

Dans son exposé, il a été question du corps mais aussi un peu du vêtement. Cette vision du Dieu qui est aussi Tisserand rappelle une formule issue du Psaume 139 : « c’est Toi qui m’a tissé dans le sein de ma mère ». Durant son exposé, le vicaire général a « tenté de souligner quelques éléments fondamentaux de la conception du corps telle que nous la trouvons dans l’Ancien Testament (…) L’idée c’est aussi de dire comment ces textes et comment cette perception du corps peut aussi entrer en dialogue avec nos cultures contemporaines ».

Au fil de sa présentation, l’abbé Fröhlich s’est arrêté sur deux fondamentaux (l’unité de la personne humaine et l’être humain, créé par Dieu) puis sur trois approches : le corps flétri et vieilli, le corps sexué et le corps relationnel.

Et le Verbe devint chair (Jn 1,14)

Pour aborder la question du corps dans le Nouveau Testament, l’abbé Damien Mombo Fiti a choisi de se concentrer sur une unité littéraire : le Prologue de l’Évangile selon saint Jean (Jn 1,1-18) et plus particulièrement le verset 14.

En débutant sa présentation, il a précisé la place de ce verset dans le Prologue et rappelé l’importance dudit Prologue dans l’œuvre de saint Jean. Il a ensuite analysé les termes employés dans ce Prologue. Il s’est par exemple penché sur celui qui, en grec, peut autant vouloir dire « habiter » que « camper » ou « dresser sa tente » :  skènoô. « Jean l’a utilisé dans l’idée de présenter le Logos faisant de l’Homme son lieu d’habitation. Aujourd’hui on dit « Il a habité parmi nous » mais si on doit faire vraiment une traduction littérale, on dira « Le Verbe s’est fait chair et il a dressé sa tente en nous ». Il y a la préposition ἐv qui peut être traduite par « parmi » ou « en » ».

Dans sa conclusion, l’abbé Mombo Fiti a souligné que « l’expression de la chair dans Jn, 1,14 exprimant l’Homme dans son intégralité est une expression qui présente l’Homme dans sa totalité, dans toute sa grandeur, dans toute sa valeur ».

Le choc entre le monde juif et le monde grec

L’après-midi, les participants ont pu découvrir avec la troisième conférence, donnée par l’abbé Louis Wetshokonda, le culte du corps et plus particulièrement des athlètes dans le monde grec. Il est pour cela parti d’un extrait du premier livre des Martyrs d’Israël, qui mentionne la révolte des Maccabées (175-140 av. JC). Il y est notamment question de la construction d’un gymnase à Jérusalem et de la suppression des Lois de la Torah. Ce texte témoigne du choc qu’il y a eu alors entre la culture juive et la culture grecque, non seulement par le traitement différent qui est donné au corps mais aussi par le fait que certains juifs hellénisés ont cherché à camoufler les traces de leur circoncision.

Pendant la présentation, il a été question du corps des gymnastes grecs de l’époque et des critères recherchés pour pouvoir devenir un athlète. Il a aussi été question du corps des femmes et de l’utilité pour elles d’être athlétiques. À la lecture des textes anciens, la comparaison est facile avec les critères que pourraient utiliser un fermier au moment de sélectionner des bêtes pour la reproduction. Cependant, cette vision du corps et de son traitement ne faisait pas l’unanimité au sein du monde grec et certains auteurs s’inquiétaient des conséquences d’un tel régime sportif sur la santé des athlètes.

« Il n’y a de corps que façonnés par des normes et des valeurs du groupe. Même si le groupe ainsi que ses normes et ses valeurs sont toujours mouvants, ce bref parcours permet, je l’espère d’entrevoir les tensions d’aujourd’hui autour du traitement et des conceptions des corps. Cela ne commence pas qu’aujourd’hui : déjà, depuis l’Antiquité, cela pose question. Nous sommes donc appelés à ne pas absolutiser notre rapport au corps d’aujourd’hui. Il n’a pas toujours été le même et devra encore changer (…) Mais il reste légitime de se demander : jusqu’où pourrions-nous aller sans remettre en question notre identité de Peuple de l’Alliance ? Parce que la façon de traiter notre corps dit beaucoup de notre identité. À notre groupe, notre communauté et à chacun de nous de répondre, tout en restant ouvert au fait que cette réponse elle-même ne peut être qu’inscrite dans l’Histoire et donc provisoire et passagère » conclut l’abbé Wetshokonda.

Une prière du fond de l’être

Avec la quatrième et dernière conférence de la journée, la question du corps a été abordée de manière à la fois spirituelle et plus pratique, avec l’importance du corps dans la prière. C’est le Père Pierre François de Béthune, moine bénédictin et spécialiste du dialogue interreligieux, qui a pris la parole. « Aujourd’hui, plus que jamais, nous avons besoin de prier du fond de l’être » a-t-il d’emblée commencé. « Dans un monde qui nous sollicite en tous sens, une base bien incarnée de vie spirituelle est importante. Tout comme nous voulons aimer Dieu de tout notre cœur, de toute notre âme et de toutes nos forces, nous voulons aussi prier de tout notre corps, notre âme et notre esprit. Mais la situation est complexe et nous héritons d’une tradition de prière souvent assez désincarnée ».  

Parmi les sujets abordés lors de son intervention, le Père de Béthune a souligné l’évolution des pratiques de prière. Ainsi a-t-il demandé à son auditoire « Qui parmi vous a encore jeuné pendant le Carême ? » « Tout ce qui n’est pas conforme à la bonne santé est considéré comme aberrant », a-t-il poursuivi. « Aussi les pratiques spirituelles mais aussi essentiellement corporelles comme le jeûne, l’abstinence de viande, le jeûne eucharistique, une inclinaison profonde devant l’autel, la prière avant l’aurore ou le célibat sont aussi devenus très incompréhensibles. On est pas loin de n’y voir que des brimades arbitraires et contre-nature ».

Le Père de Béthune a rappelé la place centrale du corps dans notre vie de foi et a notamment souligné l’importance de la posture des prêtres lors de la liturgie actuelle. Qu’il s’agisse de la prière en assemblée ou la prière personnelle, il n’a pas hésité à donner des exemples concrets rencontrés au cours de sa vie, de ses voyages et de ses rencontres.

Une assemblée attentive

Chacune des interventions de la journée n’a pas manqué d’interpeller les personnes présentes en cette première journée. Que ce soit lors des temps de questions/réponses, lors de la pause du matin ou du repas de midi, les avis circulaient et les échanges étaient nombreux. Certains réfléchissaient déjà à la manière de mettre certaines idées en pratique ou de les inclure dans la catéchèse ou les enseignements à venir. Gageons que la seconde journée a été aussi fructueuse que la première !

Marie Lebailly

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