Un moment de chaleur et de partage à la prison de Tournai
Avec quelques jours d’avance sur le calendrier liturgique, Mgr Guy Harpigny a célébré la messe de Noël dans la chapelle de l’établissement pénitentiaire tournaisien. Une parenthèse «libératrice» et pleine d’espoir pour les détenus.
Même si on l’a déjà vécue à plusieurs reprises, la messe de Noël célébrée avec et pour les détenus reste toujours une expérience très particulière. Étonnante, riche et touchante à la fois. Bien sûr, il y a d’abord la lourde porte métallique à pousser pour entrer. Le premier sas de sécurité, la vérification des autorisations, le passage du portique de détection, les chaussures qui déclenchent parfois l’alarme et qu’il faut alors enlever, le contrôle de la sacoche contenant l’appareil photo. Et pourtant, le décor ressemble à tout sauf à un hall d’aéroport. Les murs de la cour sont bien plus hauts que partout ailleurs. Il faut toujours fermer une porte avant de pouvoir ouvrir la suivante, les barreaux laissent entrevoir de longs couloirs aux murs uniformes et des postes de surveillance.
Parmi le personnel pénitentiaire, certains agents reconnaissent Mgr Harpigny. Il faut dire que le 100e évêque de Tournai est fidèle au rendez-vous, qu’il n’a presque jamais manqué depuis son ordination épiscopale en 2003. Alors on prend des nouvelles, on échange quelques mots, on s’amuse des «prolongations» jouées par celui qui attend (im)patiemment son successeur, près de deux ans après avoir remis sa démission au Pape. Pour cette Noël 2024, célébrée ici le 17 décembre, personne ne pensait que Mgr Harpigny serait une nouvelle fois au milieu des détenus de la Cité des Cinq clochers.
«Je suis heureux d’être parmi vous…»
Alors que l’on n’est plus très loin de la chapelle, des chants se font entendre dans les couloirs. Fidèle elle aussi, la chorale Saint-Paul répète les morceaux qui émailleront la célébration. Une guitare, un clavier, quelques chanteurs pour réchauffer et illuminer l’atmosphère. Près de l’autel, un sapin décoré, une croix au bois clair et tout poli, des bougies, une crèche: rien ne manque pour évoquer la fête de la Nativité.
À 17h précises, on entend le pas des premiers détenus faire craquer le petit escalier de bois qui mène jusqu’au lieu de culte. Ils seront 23 au total à prendre part à la célébration. Certains ont l’habitude de participer à la messe hebdomadaire, d’autres un peu moins. Beaucoup se saluent entre eux, retrouvent un ami venu d’une autre aile peut-être. Tous sont accueillis chaleureusement par les bénévoles et par l’évêque. «Je suis heureux d’être ici parmi vous», lance Mgr Harpigny après le mot de bienvenue d’Amélie, coordinatrice des équipes d’aumônerie à la prison tournaisienne. «Le Seigneur vient aujourd’hui nous apporter un peu de paix, pour une vie meilleure, un monde meilleur, pour des relations meilleures. Quelle que soit notre vie…»
Enfermé à l’intérieur de soi-même
Pendant que résonne l’hymne «Douce nuit», une statuette de l’enfant Jésus passe de mains en mains. Certains la donnent un peu maladroitement à leur voisin, d’autres la regardent et la serrent plus longuement, l’un l’embrasse, l’autre lui caresse doucement le front, le dernier va la déposer avec précaution dans la mangeoire de la crèche. Au cours de son homélie, Mgr Harpigny évoque cet enfant: «C’est un bébé, mais on sait qu’il deviendra adulte. La liturgie nous fait entrer dans cette vie de Jésus qui se laisse faire. Qui ne vient pas seulement pour les gens de l’époque mais aussi pour nous. ‘Aujourd’hui, un sauveur nous est né’. Il vient maintenant, pour nous. Nous pouvons avoir avec lui une relation personnelle.» Pour cette assemblée un peu inhabituelle, dont les jours sont faits de murs et de portes fermées, les mots de libération de Mgr Harpigny sont riches de sens et d’espoir. «Parfois, on est enfermé à l’intérieur de soi-même. Mais on peut être libéré et enfin respirer.»
Des mots de consolation, aussi, pour faire face aux difficultés et aux moments de révolte: «Pour beaucoup, Noël, c’est comme un air de fête. Quand on est enfermé, on peut être triste car nos proches ne sont pas près de nous pour cette fête. Mais on peut aussi se dire qu’on n’est pas vraiment seul. On n’est pas seul à être enfermé, on a des compagnons. On se demande peut-être ‘Et pour Dieu, qui suis-je? Est-ce que Dieu se soucie de moi, est-ce que pour Dieu, je suis quelqu’un?’ Dans son Évangile, Jean nous dit que le Christ est venu pour que nous soyons enfants de Dieu, quelle que soit la vie qu’on a menée. La relation avec Dieu n’est pas une dictature, il nous aime et parle au cœur de chacun.»
Parmi les oubliés
Quand la voix mélodieuse de la soliste s’envole un peu plus tard jusqu’à la voûte de la chapelle, personne ne bouge, personne ne parle, tous sont captivés et attentifs, l’instant suspendu se prolonge… Le chant final, «Il est né le divin enfant», est lui repris en chœur et avec enthousiasme.
Pierre s’approche de celui qui année après année vient célébrer Noël avec eux. «Cette régularité, cette fidélité, cette volonté à être parmi nous à cette occasion ô combien spéciale nous touche énormément, car elle nous fait ressentir, par votre présence, l’importance et la valeur que nous avons pour Jésus, qui est notre lumière.» Une photo-souvenir est remise au célébrant: «Puisse-t-elle vous accompagner dans la suite de votre chemin, de votre mission, et vous rappeler toute l’importance d’être parmi les oubliés.»
L’atmosphère un peu solennelle se transforme alors en quelques minutes en un véritable moment de légèreté. Les membres de la chorale ont apporté des galettes, des gâteaux ou encore du pop-corn faits maison. Tout le monde discute avec tout le monde. Plusieurs détenus viennent échanger quelques mots avec leur évêque. Les visages sont détendus et souriants. Le temps d’une célébration, on en aurait presque oublié qu’ici, on n’ouvre pas les portes comme on veut, on ne sort pas quand on veut, que les minutes paraissent des heures. La magie de Noël ne s’arrête devant aucun obstacle, aussi infranchissable qu’il puisse paraître…
Agnès MICHEL
Toutes les photos de la célébration dans notre album