Transfert exceptionnel d’un autel en bois entre Couillet et Paris!
Le 22 mars 2025, un autel en bois polychromé haut de plus 7 mètres et datant du 1872 a quitté l’église Saint-Basile, à Couillet (Charleroi), pour rejoindre l’église Notre-Dame du Liban à Paris. Retour sur ce chantier de conservation du patrimoine religieux.
Début des années 2000, l’église Saint-Basile de Couillet ferme ses portes pour raisons de sécurité (suite à un problème de toiture, désastreux pour l’avenir de l’édifice). En 2005, la fabrique d’église lance une opération d’inventaire et de mise en valeur de l’église afin de la faire reconnaitre comme remarquable et faire bouger les choses. C’est à cette époque que le dossier de classement de l’orgue aboutit.
En 2013, la procédure d’inventaire diocésain permet de mettre à l’abri certaines pièces sensibles, telles que les textiles. S’ensuivent plusieurs années de concertation et de réunions avec toutes les instances officielles pour dégager des pistes et alerter sur l’état du bâtiment. En 2021, toute l’orfèvrerie est mise en dépôt dans le conservatoire diocésain, le Centre d’Histoire et d’Art Sacré en Hainaut (CHASHa asbl), afin de le sécuriser. En 2022, une réunion de patrimoine est lancée avec l’AWaP pour lancer une procédure de déplacement de l’instrument pour restauration et réaffectation.
Un atelier renommé
C’est en 2024 qu’un projet de réaffectation d’un autel réalisé par l’atelier des Frères Goyers de Louvain voit le jour. Cet autel en bois polychromé comporte six statues de saints et une statue centrale de Vierge à l’Enfant. L’atelier des frères Goyers, bien connu dans la production de mobilier d’église néogothique dans nos régions, a connu une renommée respectable et plus d’une centaine de pièces sont répertoriées en Belgique. D’autres éléments de l’église de Couillet en sont issus comme la chaire de vérité, des confessionnaux et autels latéraux.
Basile Parent, originaire de Couillet, est un industriel ayant fait fortune dans les chemins de fer. Installé dans son hôtel particulier place Vendôme à Paris, il n’oublie pas pour autant ses origines et finance entre autres la construction de l’église. Inaugurée en 1868, l’achèvement des travaux a été mené par les héritiers de Basile Parent, décédé en 1866. Le départ de l’autel vers Paris peut être vu comme un clin d’œil à son mécène.
Une opération inédite
L’autel de la Vierge est donc parti pour l’église Notre-Dame du Liban à Paris, une église datant de 1894 et qui appartenait aux Jésuites de l’école Sainte-Geneviève. De style néogothique, l’ensemble de l’église est en cours de réaménagement pour les besoins du culte, grandissant. La paroisse Notre-Dame du Liban avait dès lors lancé des appels vers d’autres diocèses pour du mobilier pouvant servir au projet de décoration de l’église. Une belle opportunité pour le mobilier de Saint-Basile à Couillet, qui a ainsi pu être sauvé en partie et conserver le rôle pour lequel il a été réalisé !
Ce transfert exceptionnel a malheureusement été entaché par un triste constat : les intervenants présents sur place le samedi 22 mars ont en effet découvert avec stupeur que la plupart des tuyaux de l’orgue classé venaient d’être volés. Les qualités intrinsèques de l’instrument ont été considérablement modifiées et son avenir est désormais fortement compromis…
En concertation
L’opération de transfert de Saint-Basile à Paris n’est pas sans rappeler celles de l’abbaye de Maredsous, ayant réhabilité du mobilier de l’église de Genly, mais également de Couillet, dans un vaste projet éclairé de redécoration des lieux dans un style néogothique. De tels transferts de patrimoine, qui s’apparentent véritablement à un sauvetage de la mémoire du lieu à travers son patrimoine mobilier, sont rendus possible grâce à l’encadrement des services patrimoine, présents dans tous les diocèses francophones en Belgique.
Un long cheminement pour le patrimoine est alors nécessaire afin d’activer les divers réseaux de spécialistes et de dégager les meilleures pistes possibles. Ce processus n’est possible qu’avec la concertation de tous les acteurs concernés et en tenant compte de tous les paramètres liés à une église fermée et vouée à la désaffectation.
Le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles
Le diocèse de Tournai peut compter sur le Centre d’Histoire et d’Art Sacré en Hainaut (CHASHa) pour épauler les fabriques d’église et offrir une expertise dans la gestion du patrimoine religieux. Créée en 2013 par l’Évêché de Tournai, l’asbl vient d’être reconnue opérateur d’appui par la Fédération Wallonie-Bruxelles. Cette reconnaissance implique un soutien notamment financier quadriennal pour renforcer les missions de l’asbl auprès des fabriques d’église du Hainaut à travers son espace muséal, son conservatoire et son atelier de conservation.
Le musée diocésain de Namur, pendant du CHASHa, a reçu la même reconnaissance. C’est également le cas de l’asbl CIPAR, Centre interdiocésain du Patrimoine et des Arts Religieux, qui regroupe tous les services patrimoine et conservatoires diocésains des évêchés pour mener une politique concertée sur la gestion du patrimoine religieux. Le CIPAR est l’interlocuteur officiel de la FWB (en matière notamment de mise à jour des inventaires des églises) et reçoit à ce titre des subventions permettant d’engager du personnel.
Une fermeture d’église n’est jamais facile, que ce soit sur le plan humain ou au niveau du patrimoine à sauver. Gageons que cette opération de sauvetage exceptionnelle ne soit pas une goutte d’eau dans un océan, mais une ouverture vers une mise en valeur et conservation du patrimoine de nos églises.
Déborah Lo Mauro
Conservatrice du CHASHa
Crédit photos : © CHASHa asbl