De nouveaux Trésors et biens d’intérêt patrimonial en Fédération Wallonie-Bruxelles

De nouveaux Trésors et biens d’intérêt patrimonial en Fédération Wallonie-Bruxelles

En automne 2021, à l’occasion d’une exposition intitulée Habiller le culte. Les fastes brodés de l’atelier Dormal-Ponce à Ath au 18e siècle, TAMAT-Musée de la Tapisserie et des Arts Textiles à Tournai présentait un ensemble exceptionnel de textiles liturgiques. Le grand public pouvait ainsi découvrir des pièces rarement exposées. Le 23 juillet dernier, La Fédération Wallonie-Bruxelles accordait le statut de Trésor de la Fédération Wallonie-Bruxelles à 4 ensembles ainsi que 7 ornements classés comme Bien d’intérêt patrimonial.

Qu’est-ce qu’un Trésor ou un bien d’intérêt patrimonial ?

Atelier Dormal-Ponce – Le Grand Rouge de Saint-Martin (broderies d’or et d’argent sur fond de velours) – Tournai – Cathédrale Notre-Dame – n°inv. IRPA 10059330 (©D. Lo Mauro)

La Fédération Wallonie-Bruxelles a la possibilité de désigner des Trésors ou des biens d’intérêts patrimoniaux. Il s’agit d’une mesure de protection pour des biens qui possèdent une valeur artistique, historique ou archéologique. Les Trésors échappent aux principes de libre circulation des biens et peuvent se voir imposer une interdiction de sortie du territoire concerné. Si, à l’inverse du Trésor, un bien d’intérêt patrimonial ne peut prétendre à des critères d’exceptionnalité, la FWB lui reconnait néanmoins un caractère remarquable qui justifie une mesure de protection.   Les critères de classement se basent sur l’évaluation de l’état de conservation, la rareté, le lien avec l’histoire ou l’histoire de l’art, la grande qualité d’exécution et de conception, la reconnaissance du bien par une communauté en tant qu’expression de son identité historique ou culturelle et enfin l’intérêt de l’ensemble ou de la collection dont le bien fait partie. 

Qui sont les Dormal-Ponce ?

Deux générations de Dormal vont se succéder à la tête d’un atelier de broderie à Ath au XVIIIe siècle. Le père, Pierre-François Dormal I, s’installe à Ath entre 1709 et 1711. Il décède à l’abbaye Notre-Dame de Villers en 1720. On retrouve le nom du père comme fournisseur de broderies et d’ornements liturgiques dans les comptes de la collégiale Saint-Amé et de la collégiale Saint-Pierre de Douai. L’ampleur de ses activités à Ath reste une énigme, son nom n’apparait qu’une seule fois dans les comptes de la paroisse Saint-Julien en 1722, soit deux ans après son décès, pour la fourniture d’une broderie en fil d’argent. Le fils, Pierre-François Dormal II est né à Douai en 1707. On retrouve sa trace dans les archives de la paroisse Saint-Julien à Ath à l’occasion de son mariage en 1727. Pierre-François Dormal II décède en 1783. En 1741, il est admis comme maître brodeur à la bourgeoisie d’Ath.

Charles-Joseph Ponce est un brodeur associé à Pierre-François Dormal II. Son nom est régulièrement accolé sur les commandes et la production du fils Dormal. En 1749, il est admis à la bourgeoisie de Ath en tant que maître brodeur. La première réalisation connue de Pierre-François Dormal II et de Charles-Joseph Ponce est celle de l’ornement « Cotrel » commandé par le chapitre Cathédrale de Tournai en 1730. Cette pièce vient d’être classée comme Trésor. Pour la fabrique Saint-Julien de Ath, l’atelier fournit un baldaquin en 1744 et les deux chapes Gouyasses en 1747, également classées comme Trésor de la FWB.

De rares témoignages des fastes du XVIIIe siècle 

Atelier Dormal-Ponce – Chape de l’Ornement Cotrel (soie fil d’or et d’argent) – 1730-1734 – Tournai – Cathédrale Notre-Dame – inv. IRPA10061827 (CC-BY KIK-IRPA – Bruxelles – X145471)

L’atelier Dormal-Ponce se développe grâce aux soutiens de puissants commanditaires. Grandes abbayes et chapitres de collégiales enrichissent ainsi leurs paramentiques grâce à l’atelier athois. Les pièces récemment classées comme Trésor et Bien d’intérêt patrimonial sont les derniers témoignages de la production d’un atelier de broderie au XVIIIe siècle. Il ne faut néanmoins pas perdre de vue la dimension fonctionnelle de ces vêtements liturgiques conçus pour magnifier l’exercice du culte.

La cathédrale de Tournai conserve deux ensembles classés Trésor de la FWB. Le plus important, avec ces 15 pièces conservées, est sans aucun doute le Grand Rouge de Saint-Martin, acquis par la fabrique Saint-Brice après les ventes révolutionnaires et provenant de l’ancienne abbaye de Saint-Martin à quelques pas de la cathédrale. Le Grand Rouge se caractérise par ses broderies d’or et d’argent qui dessinent un décor végétal foisonnant sur un fond de damas et de velours rouge. A l’inverse du Grand Rouge attribué à l’atelier Dormal-Ponce sur base d’une étude formelle et technique par comparaison avec d’autres ensembles, L’ornement Cotrel commandé en 1730, est bien documenté dans les archives du chapitre cathédrale.

L’ornement or de Stavelot conservé dans l’église Saint-Sébastien comprend 11 pièces qui se distinguent par la grande richesse du décor brodé. De plus, il n’a subi aucune modification importante ou de restauration invasive ce qui en fait un des ensembles les mieux conservés du corpus. 

Enfin, les chapes Gouyasse de l’église Saint-Julien à Ath dont les décors exubérants illustrent la période rococo de l’atelier. A l’inverse des autres pièces du corpus, une des deux chapes est toujours utilisées actuellement dans le cadre des Vêpres Gouyasse qui lance les festivités de la Ducasse d’Ath.

Outre ces nouveaux Trésors, la FWB a reconnu 7 élèments comme Bien d’intérêt patrimonial : un orfrois et un chaperon proche de l’ornement Cotrel et conservé au Musée Royal de Mariemont, un dais de procession et une chasuble violette conservés dans l’église Saint-Julien à Ath, une chape en provenance de l’église Saint-Martin de Trazegnies, une chape provenant de l’ancienne abbaye de Floreffe aujourd’hui à la cathédrale de Namur, La cathédrale Saint-Paul de Liège conserve un ensemble de 10 pièces en or et argent et 11 pièces livrées en 1740 à l’abbaye bénédictine de Gembloux aujourd’hui à l’église Saint-Guibert.

Pourquoi ce classement est exceptionnel ?

Ce classement est exceptionnel a plus d’un titre de par le nombre de pièces concernées produites par le même atelier et le nombre d’institutions qui les conservent, essentiellement des fabriques d’église. Il s’agit des premiers ensembles textiles du XVIIIe siècle reconnu comme Trésor et bien d’intérêt patrimonial par la FWB.

Cette reconnaissance et la sélection des biens concernés est le fruit d’un travail collaboratif entre chercheurs (H. Malice, M. Gilbert, M.-A. Jacques, A. Dupont), experts de la Commission des Patrimoines culturels, membres du CIPAR et représentant de la FWB.

Cette reconnaissance est d’autant plus importante qu’elle concerne des ornements qui ne sont plus en usage aujourd’hui et difficiles à exposer à cause de leur grande fragilité. Ils sont souvent relégués, et parfois oubliés, dans les tiroirs de sacristie.

Une double menace pèse donc sur les textiles liturgiques. Entre perte de sens et méconnaissance des principes de conservation préventive, les défis à relever pour assurer la transmission de ce patrimoine aux générations futures sont importants. Ce classement jette ainsi un coup de projecteur bien nécessaire sur tout un pan du patrimoine religieux en Fédération Wallonie-Bruxelles.

Pour en savoir plus : HEERING, C. coord., Habiller le culte. Les fastes brodés de l’atelier Dormal-Ponce à Ath au 18e siècle, cat. expo., Tournai, TAMAT, 2021.

Samuël Christiaens

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