Les Pauvres sœurs de Mons: 675 ans de service
Une poignée de religieuses courageuses et intrépides, une congrégation qui a traversé les siècles et qui aujourd’hui se tourne encore et encore vers l’avenir, et surtout une attention indéfectible aux plus fragiles.
La congrégation est née au milieu épidémie peste qui sévissait à Mons en 1350. Les «Pauvres sœurs», comme les ont désignées la population montoise, ont connu guerres, épidémies, bombardements. Et elles sont toujours là, convaincues que ce n’est pas le nombre qui compte pour réussir des projets, pour réaliser des exploits. Le 8 septembre 2025, au cœur de la cité du Doudou, elles ont fêté avec les cadres et le personnel de l’ASBL Les foyers des Pauvres Sœurs cet impressionnant anniversaire.
«Célébrer un anniversaire, ce n’est pas seulement se tourner vers le passé, reparcourir les étapes du passé», a insisté le vicaire épiscopal Giorgio Tesolin, notamment président de l’asbl Les Foyers des Pauvres Sœurs. «Giorgio Armani, qui vient de nous quitter, disait que le passé sert l’avenir, c’est une inspiration pour le futur. Il est important qu’à partir de ce passé nous puissions porter le regard vers l’avenir, puiser à cette source qui a soutenu la longue marche des sœurs jusqu’à aujourd’hui.»
Accueillir et accompagner la vulnérabilité
Au cours de leur parcours multiséculaire, les Pauvres sœurs ont essaimé, donné naissance à diverses institutions, à chaque fois sur leurs lieux de vie communautaire, jusqu’à Dinant et Ciney. Aujourd’hui, les asbl fondées par les sœurs comptent près de 800 membres du personnel, 300 bénévoles et d’innombrables bénéficiaires. Sr Marie-Rose a reparcouru brièvement pour l’assemblée –réunie dans la chapelle de l’implantation de la rue de Bertaimont– l’histoire de la congrégation, depuis ses origines en 1350. Pour être reconnues comme congrégation, les sœurs doivent se choisir une règle de vie: saint François, saint Benoît ou saint Augustin? Elles choisissent cette dernière: «C’est un message très évangélique qui porte les sœurs chaque jour, une inspiration qu’elles espèrent transmettre aux générations futures.»
La vie de la congrégation traverse comme tout long chemin de nombreux aléas et développements: révolution française qui menace leurs biens, maison expropriée en 1817, première pierre d’un nouveau bâtiment en 1849. La maison va progressivement s’agrandir, accueillir plus de résidents, offrir un service à domicile jusque dans les années 90. Les Pauvres sœurs se sont ainsi implantées dans pas mal de régions de Wallonie et même à Bruxelles. «Mais notre mission est inchangée, nous voulons continuer l’action entreprise il y a 675 ans», note Sr Marie-Rose. «Travailler ensemble pour garder la chaleur humaine et l’âme de nos institutions.»
Le grand mouvement de la vie…
Infirmier de formation et prêtre, Dominique Jacquemin, qui a enseigné la bioéthique et l’éthique des soins à l’UCL mais aussi effectué des recherches sur les questions éthiques liées à la fin de vie, a voulu s’attarder sur la dimension spirituelle du soin aux personnes les plus vulnérables. «Abandonner l’autre à sa maladie, c’est renoncer à ses obligations humaines et sociales, au principe de fraternité. Faces aux fragilités vécues, nous sommes là pour rencontrer, reconnaître et relever. Une personne âgée, porteuse de handicap ou d’une maladie grave, attend d’abord du professionnel d’être rencontrée. La visée ultime du soin est de tenter de relever, de ‘re-susciter’ de la vie, et ce n’est possible qu’avec le soutien d’une institution juste.»
Pour Dominique Jacquemin, le grand mouvement de la vie est constitué d’un corps, bien sûr, d’un pôle psychique, mais aussi d’un pôle éthique (nos valeurs, notre représentation du monde, notre idéal) et d’un pôle d’altérité (qui est parfois religieux). «C’est l’interrelation permanente entre ces quatre pôles qui me constitue. Dans la vie, ce mouvement va connaître des fêlures, des blessures, des cassures. Le processus de restauration de la personne viendra toujours du fait de retrouver un certain équilibre entre ces différentes dimensions de la vie pour continuer à être, autrement, le sujet de ce mouvement.»
Et dans ce processus, le soutien bienveillant et attentif du personnel soignant est essentiel. «Derrière cela, il y a une dimension éthique fondamentale de ce qu’est le soin: durant ce que je fais, je dois être suffisamment en situation de ‘présence’ pour que le patient perçoive que je ne suis pas extérieur. (…) Ce que nous célébrons aujourd’hui, c’est redire que ce que vous faites au quotidien est un acte social et politique. Et accepter de rencontrer quelqu’un dans sa fragilité, c’est accepter de dire ‘Un jour je serai toi’. Cette manière d’être avec autrui est une forme de responsabilité constitutive du bien social, un signe urgent pour dire qu’il est possible de vivre avec l’autre autrement.»
Puiser à la source augustinienne
Le prêtre Bruno Cazin, ancien vicaire général du diocèse de Lille, médecin hématologue, auteur du livre «Dieu m’a donné rendez-vous à l’hôpital», s’est lui arrêté sur saint Augustin, dont la congrégation a choisi la règle de vie. «Si les sœurs suivent la règle de saint Augustin, c’est parce que l’Église l’a demandé aux congrégations hospitalières, pour une attention aux plus fragiles dans le primat de l’Amour.»
L’orateur parcourt la vie de cet homme qui a vécu de 354 à 430 de notre ère, originaire d’Afrique du Nord, sans doute un berbère latinisé. Il évoque sa longue quête spirituelle et intellectuelle qui l’ont porté jusqu’au baptême à 32 ans, à Milan, et à la rédaction des célèbres Confessions, «le premier grand ouvrage occidental à décrire le mouvement intérieur de l’âme, la psychologie de la personne».
Avec la règle de saint Augustin naît une véritable spiritualité hospitalière, avec une attention particulière portée à ceux qui vivent une situation de faiblesse. Comment ce charisme hospitalier peut-il encore se vivre aujourd’hui? «Par la recherche de l’unité, d’une ambiance familiale. On peut lutter contre l’isolement en permettant aux résidents, aux personnes âgées, de vivre une vie relationnelle avec les autres. Il faut analyser nos pratiques, en examiner les enjeux à la lumière des évangiles, aller à la source augustinienne pour inspirer notre travail et nos équipes. Toute décision doit être animée par l’amour, en cherchant ensemble à mieux accompagner.»
Agnès MICHEL