La solidarité, une réponse (chrétienne) aux tourments du monde

La solidarité, une réponse (chrétienne) aux tourments du monde

Face à une société à la dérive, à une pauvreté croissante, à une montée de l’extrême droite un peu partout en Europe, le dominicain Ignace Berten est venu parler résistance, espérance et amour lors d’une après-midi «jubilaire» à la maison diocésaine de Mesvin. Sans angélisme et avec détermination…

Coorganisée par Entraide & Fraternité/Action Vivre Ensemble, Caritas Hainaut et le service du Développement humain intégral du diocèse de Tournai, cette rencontre du 21 octobre 2025 faisait suite à la journée «Jubilé: la solidarité face aux inégalités». Quelques semaines plus tôt en effet, ce sont ainsi l’économiste Philippe Defeyt et la secrétaire générale de la CIDSE (Coopération Internationale pour le Développement et la Solidarité, coalition internationale d’ONG catholiques) Josianne Gauthier qui avaient évoqué le premier l’évolution de la pauvreté en Wallonie, la seconde la dette des pays du Sud.

Entre ces deux événements, l’actualité n’a pas manqué. Il y a eu la publication de l’exhortation apostolique Dilexi Te de Léon XIV, dans laquelle le Pape nous dit qu’il ne s’agit pas de faire uniquement «pour» les pauvres mais aussi «avec» eux et «à partir» d’eux. Et puis, bien sûr, la nomination du nouvel évêque de Tournai, Mgr Frédéric Rossignol. Qui aurait d’ailleurs aimé assister à cette après-midi d’échanges et de réflexion autour de la solidarité: «Cela aurait été avec grand plaisir, vu l’importance du thème et le rappel du pape Léon à mettre les pauvres au cœur de notre Église. J’aurais été heureux de rencontrer aussi tous les acteurs de ce travail pour plus de Justice, mais j’ai déjà pris un engagement, ce n’est que partie remise.»

Un idéal jubilaire

«Dans la Bible, le Jubilé est un idéal de solidarité et de rééquilibrage en vue d’une société qui assure la participation de tous dans la dignité. Sans doute, en tant que tel, n’a-t-il jamais été mis en pratique. Mais il ouvre une perspective. On peut dire qu’il est de l’ordre de l’utopie.» C’est ainsi que le Frère Ignace Berten a lancé son intervention. Une intervention décoiffante, sans langue de bois, et remettant les croyants face à leurs responsabilités. «Les tendances politiques très marquées vont vers la droite et même de plus en plus vers l’extrême droite. Or il y a une évidence: les politiques promues par l’extrême droite, expressions d’un nationalisme frileux et méfiant par rapport à l’altérité et soutenues par des personnalités marquantes parmi les plus riches, ces politiques vont dans un sens exactement contraire à ce qui est promu par le symbole du Jubilé.»

Ignace Berten a commencé par emmener les participants dans un petit tour d’Europe plutôt inquiétant: de l’Allemagne à la France, en passant par la Hongrie, la Slovaquie, les Pays-Bas, l’Italie ou encore la Flandre, les votes d’extrême droite ne cessent de monter. Dans un dossier publié en septembre 2025 dans La Croix Hebdo, on découvre que 41% des 18 à 35 ans se déclarent favorables à ce que «la direction du pays soit confiée à un pouvoir autoritaire» et 47% d’entre eux voient favorablement «un système qui consacre à la tête du pays un chef qui n’a pas à se préoccuper du parlement et des élections».

Deux prophètes inspirants

Alors fermement, sans équivoque, l’orateur invite à résister, à s’informer, à déconstruire les fake news, à éduquer, à promouvoir le collectif, la solidarité. Il relaie l’appel du philosophe Emmanuel Tourpe aux catholiques: «Se battre bruyamment pour qu’aucune organisation, d’où qu’elle vienne, n’exténue jamais les possibilités de l’amour […] en opposant raison, universalité et dépendance réciproque aux barbarismes de l’individu en guerre contre tous.»

Le frère Ignace Berten nous invite à espérer et à préparer un avenir meilleur, aussi: «Nous devons penser que là où l’extrême droite s’installe, elle peut durer. Mais nous devons aussi penser qu’elle ne durera pas toujours. Et en ce sens, résister, c’est préparer un rapport de force en vue d’un changement.»  

Les figures de résistance ne manquent pas, dans l’Histoire. Mais le frère dominicain n’hésite pas à remonter très loin dans le temps pour retrouver des sources d’inspiration, comme Jérémie et Ézéchiel. «Ils ne nous donnent pas de recettes, d’autant plus que la distance et la différence historique et culturelle sont énormes. Ils vivaient dans un autre monde que le nôtre. Mais leur manière de prendre position et de se situer est intéressante.»

Un appel aux porteurs d’espérance

L’orateur du jour évoque un Jérémie attachant, humain, à contre-courant, plongé dans une période géopolitique troublée. Souvent, il est tenté de se décourager, se plaint devant Dieu, l’interpelle. Mais il ne renonce pourtant pas à dénoncer l’injustice et l’idolâtrie, à dire la vérité. Et il donne des conseils de résistance: «Quand on n’a pas les leviers pour changer les choses, comment résister, et par là faire vivre un sens? Jérémie suggère deux choses pratiques: s’organiser au mieux, là où on est, pour vivre conformément aux valeurs qui portent dans la solidarité et garder vivante la foi, la foi en Dieu et la foi en l’être humain. C’est au sein des familles et des petits groupes discrets qu’il faut continuer à croire et à espérer un autre possible. C’est ainsi que se prépare l’énergie de reconstruction communautaire quand viendra le temps de la libération.»

Ézéchiel, lui, a fortement insisté sur la responsabilité personnelle dans le sens de la justice ou de l’injustice, vision très nouvelle à l’époque. Il a également valorisé une dimension d’intériorité de la foi et des choix éthiques, un appel à développer la spiritualité pour animer et soutenir l’esprit de résistance. «Pour soutenir l’espérance, nous devons tenir vivante l’utopie d’un monde autre et possible comme un moteur d’action et de discernement», insiste Ignace Berten.

Qui sans être exagérément optimiste, n’en rêve pas moins encore: «J’espère qu’il y aura toujours des progrès possibles en humanité (…), j’espère qu’il y aura toujours des femmes et des hommes (…) qui resteront signes d’un autre monde possible, (…) j’espère que des hommes et des femmes de foi et des communautés chrétiennes seront toujours porteurs de cette espérance dans la résistance au mal. (…) Nous sommes appelés à être de ceux-là aujourd’hui.»

Agnès MICHEL

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