La pauvreté nuit gravement à la santé mentale

La pauvreté nuit gravement à la santé mentale

Quand on se bat au quotidien pour aller le mieux possible, alors que manquent moyens financiers, considération, travail, logement de qualité ou relations sociales, on épuise un peu chaque jour son énergie, son moral, son physique, l’image qu’on a de soi. Parfois, cela peut aller jusqu’à épuiser ses ressources mentales.

Responsables, membres et stagiaires d’associations, bénévoles, bénéficiaires, représentants de la Commission d’Action Vivre Ensemble étaient invités à la maison diocésaine de Mesvin le vendredi 22 novembre 2024 pour mieux comprendre l’impact de la précarité sur la santé mentale. Pour sa Journée annuelle des associations, Action Vivre Ensemble avait en effet choisi d’approfondir la thématique retenue pour sa campagne d’Avent 2024. Parce que les problèmes de santé mentale touchent de plus en plus de gens. De plus en plus de jeunes, notamment suite à la pandémie de Covid. Parce que le monde associatif y est de plus en plus confronté. Et parce qu’une fois encore, les personnes précarisées paient un lourd tribut en la matière.

«Quand on n’est pas en situation de précarité, on ne sait pas ce que signifie vivre sans logement, dans la rue», a lancé Orane Caryn, coordinatrice et animatrice au sein de l’antenne hennuyère d’Action Vivre Ensemble. «Par contre nous sommes tous passés par des moments difficiles, même en vivant dans de bonnes conditions, en étant bien entourés. On imagine alors que c’est encore plus difficile quand on est en précarité, sans famille, sans savoir comment avoir recours à un psychologue ou à un psychiatre.»

Écouter, accompagner, récréer du lien

La santé mentale reste en grande partie un sujet tabou. Et pourtant, les personnes touchées par des problèmes de santé mentale sont de plus en plus nombreuses. Mais le secteur est en saturation. Alors face à la complexité du système belge, à la conditionnalité des aides, à la stigmatisation, une partie de la population en souffrance abandonne. Certes il existe des lieux de lien, ce qui permet de sortir de chez soi, de recréer du lien. Parce qu’au-delà des soins, il existe un réel besoin d’activités, et la créativité, l’expression artistique peuvent s’avérer des portes d’entrée pour se rencontrer.

À Colfontaine, dans le Borinage, un Centre de santé mentale a vu le jour. Financé par la Région wallonne, il offre un service pluridisciplinaire à des tarifs très préférentiels. «Nous avons des psys, une logopède, des assistantes sociales, une psychomotricienne», expliquent Delphine et Fanny, venues partager leur expérience au cours de cette matinée. «Avoir toutes ces personnes réunies dans un même bâtiment, c’est travailler en réseau et offrir un suivi global.» Selon la situation de la personne rencontrée, les tarifs vont de 0 à 12 €. «L’argent ne doit pas être un frein et un motif de non-consultation. Nous effectuons par exemple le suivi de personnes en médiation de dettes, d’autres en prison,…»  

À côté des nombreuses possibilités de soins et d’encadrement, le centre propose également un atelier de créativité, totalement gratuit et ouvert à tout le monde. «Cela aide vraiment les gens. La précarité et les problèmes de santé mentale mènent à l’isolement social. Cet atelier permet de recréer du lien, d’avoir un rythme de vie,…»

Comment compter pour soi-même si on ne compte plus pour les autres?


C’est ensuite Christine Mahy, Secrétaire générale du Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté, qui a évoqué la thématique de la santé mentale devant une soixantaine de participants impliqués et attentifs. Insistant sur le lien bien réel entre pauvreté et problèmes de santé mentale. «Des gens se battent tous les jours pour aller le mieux possible malgré les richesses dont ils ne disposent pas: de la considération, un travail, une famille, de l’argent, une qualité de logement, des relations sociales, de la mobilité. Cela prend énormément d’énergie. Quand on doit plonger chaque jour de plus en plus dans ses ressources, on épuise son moral, son physique, sa confiance en soi. À un moment donné, cela mange les ressources morales et mentales de la personne. On soigne la dépression comme une maladie, mais la condition sociale pèse lourdement sur cet état dépressif.»


Certains se retrouvent ainsi dans un état permanent de dépression larvée, se sentant comme un poids mort dans la société, avec, en plus, le poids d’être représentés comme des profiteurs du système. «Pourtant, ces gens sont souvent dans la situation la plus intelligente possible par rapport à leur situation», estime Christine Mahy. «L’état dépressif larvé conduit bien souvent à l’isolement. Et puis, comment se dire ‘je compte encore pour moi-même’ si on ne compte plus pour les autres?»

Certains facteurs, comme le logement, ont un impact non négligeable sur la santé des gens. La campagne «Logement sous baxter» menée par le Réseau de lutte contre la Pauvreté pointe du doigt des habitations de mauvaise qualité, trop petites, trop éloignées des services, trop chères. Le logement est malade et rend les gens malades: physiquement (problèmes d’humidité,…) mais aussi moralement (inquiétude pour payer son loyer, pour trouver un autre logement en cas d’insalubrité,…). «Dans le monde de la pauvreté, on déménage plus souvent, il faut parfois changer de région, rétablir du lien,… Le problème du logement mine les gens en profondeur.»

Moins de soucis pour mieux prendre soin de soi

Alors comment, outre refinancer le secteur de la santé mentale pour une meilleure prise en charge, pourrait-on prévenir le mal-être qui empoisonne la vie de tant de personnes, qui empêche de se projeter, d’agir, d’interagir, qui fait obstacle aux relations familiales, sociales et professionnelles?

Dans une approche plus large que celle de la seule santé mentale, la Secrétaire générale du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté invoque le «droit à l’aisance». Il ne s’agit pas ici d’avoir plus d’argent pour consommer beaucoup. «Bénéficier des services de base sans devoir se battre toute l’année, notamment pour les enfants; ne plus être contraint en permanence de tendre la main pour s’alimenter; se sentir autonome et en capacité de se gérer; ne plus être inquiet par rapport au logement; savoir que l’école est bienveillante et gratuite; ne plus être inquiet par rapport à la mobilité ou à l’accès à la santé… Si ce paquet principal et prioritaire était acquis, il y aurait moins de peur, d’angoisse, de culpabilité, ce qui laisserait l’esprit plus libre pour prendre soin de soi et se projeter.»

Et si certaines voix avanceront qu’il existe des gens profitant du système, des assistés vivant aux crochets de la société, Christine Mahy remet les choses en perspective, sans l’ombre d’une hésitation: «Je me fous du tout petit pourcentage de gens qui trichent et fraudent, intéressons-nous à la masse de ceux qui cherchent de l’emploi et ne sont jamais retenus, à ceux qui travaillent mais ont des difficultés à s’en sortir, à ceux qui ne s’accordent plus assez de crédibilité pour solliciter des soins en santé mentale.»

Agnès MICHEL

© Copyright - ASBL Evêché de Tournai