Noël 2025: «Les défis sont grands, mais l’espérance l’est tout autant»

«Les défis sont grands, mais l’espérance l’est tout autant»

Homélie prononcée par l’archevêque Mgr Luc Terlinden lors de la messe de minuit 2025 en la cathédrale des Saints-Michel-et-Gudule à Bruxelles.

Frères et sœurs,

Depuis quelques semaines, nos rues se sont parées d’illuminations. Nos maisons ont accueilli le sapin. La crèche a été préparée avec soin. Tout brille et scintille.

Et pourtant, à regarder de plus près, il en allait tout autrement la nuit de Noël. C’est même dans des conditions misérables que se déroule la naissance de Jésus. Car si l’évangéliste Luc la situe à Bethléem, dans la lignée du grand roi David, c’est dans la précarité que Marie met au monde son enfant.

Marie et Joseph sont sur la route et ils ne trouvent pas de place dans la salle commune. Et c’est dans une mangeoire pour les animaux que Marie couche Jésus, son fils premier-né, enveloppé de langes. Ce détail, qui n’en est pas un, n’a d’ailleurs pas manqué de faire le lien — comme on le voit sur les icônes — entre la crèche et le tombeau dans lequel Jésus sera déposé, enveloppé du linceul. L’humilité de la crèche annonce l’humiliation de la Croix.

Et si nous regardons les premiers à se manifester lors de la naissance de Jésus, ce ne sont pas les princes ni les notables qui accourent, mais bien de pauvres bergers. Car bien loin de l’image romantique que nous avons d’eux, les bergers étaient, en ce temps-là, considérés comme des gens sales, malhonnêtes et voleurs. Ils étaient au bas de l’échelle sociale, marginalisés.

Pourtant, c’est à eux, les bergers, que l’ange s’adresse en priorité pour leur annoncer une bonne nouvelle, une grande joie: «Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur» (Lc 2,11). À eux, pauvres bergers, est révélée la naissance du Messie attendu.
Par ailleurs, Sauveur, Christ, Seigneur sont aussi les titres qui caractériseront Jésus ressuscité. Avec la troupe céleste qui se met à chanter et à louer Dieu pour lui rendre gloire et annoncer la paix, c’est déjà la gloire et les fruits de la résurrection qui sont annoncés. Oui, comme l’annonce le prophète Isaïe: «Sur les habitants du pays de l’ombre, une lumière a resplendi. Tu as prodigué la joie, tu as fait grandir l’allégresse» (Is 9,1-2).

Mais si la gloire du Ressuscité est ainsi anticipée à Noël, nous sommes toujours renvoyés vers l’humilité de la crèche et du nouveau-né qui y est couché. Le salut et la gloire ne viennent pas par le prestige du pouvoir ou de l’avoir, mais par l’abaissement d’un Dieu qui se fait petit enfant et proche, en particulier des plus abandonnés et des exclus.

Chers amis, la crèche aujourd’hui est dans nos rues et dans nos gares, ici, à Bruxelles. Elle prend le visage de toutes celles et ceux qui vivent dans les marges et bien souvent, malheureusement, dans des conditions inhumaines. C’est pour eux en priorité que Jésus naît en cette nuit de Noël. C’est même à eux que Jésus s’identifie plus particulièrement: «J’avais faim, et vous m’avez donné à manger; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli; j’étais nu, et vous m’avez habillé; j’étais malade, et vous m’avez visité; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi.» (Mt 25,35-36)

En cette nuit de Noël, nous ne pouvons pas oublier l’appel de toutes celles et ceux que Jésus invite à la crèche: toutes ces personnes précarisées, réfugiées, marginalisées que nous croisons dans nos rues et sur nos places. Plus encore, c’est en elles que Jésus s’identifie. La crèche ne se cantonne pas à occuper le pied de nos sapins; elle s’étend à nos quartiers et à nos villes.

C’est la responsabilité de tous de répondre à l’appel des plus précarisés en pratiquant le bien. Comme le dit Paul, Jésus s’est donné pour nous afin de faire de nous «un peuple ardent à faire le bien» (Tt, 2,14). Quelle place, concrètement, laisserons-nous à notre table, à notre fête, pour ces femmes, ces hommes et ces enfants marginalisés ou précarisés? Auront-ils aussi droit à notre attention, à notre bienveillance?

Il y a une manière simple de faire son examen de conscience à ce sujet. Elle vient d’un confrère évêque qui aimait poser cette question à ses interlocuteurs: «Comptes-tu un pauvre parmi tes amis?» En ce temps de Noël, nous pourrions la formuler un peu autrement: «Vas-tu prévoir une place à table pour le pauvre? Prendre du temps avec lui?»

C’est notre responsabilité, à toutes et tous. Mais permettez-moi de me tourner plus particulièrement vers ceux qui gouvernent, exerçant un service essentiel pour notre société et pour le bien commun. Notre démocratie repose sur des valeurs fortes, profondément enracinées à la fois dans l’Évangile et dans les Lumières: liberté, justice, solidarité, fraternité, bienveillance… J’ai conscience de la grandeur des défis qui se posent à nous aujourd’hui et de la nécessité d’élaborer des politiques justes, y compris dans les domaines social et migratoire. Mais, au nom des valeurs que je viens de citer, n’y a-t-il pas urgence à se pencher sur le sort des personnes qui, spécialement en ville, vivent dans des conditions de grande précarité, voire de misère ? N’en va-t-il pas de notre humanité et de notre égale dignité?

Oui, les défis sont grands, mais l’espérance l’est tout autant. Car si Jésus, le Fils de Dieu, se manifeste à Noël dans l’humilité et la précarité de la crèche, il nous montre et nous donne aussi des énergies nouvelles pour travailler à ce monde de justice et de paix qu’il vient nous apporter.

+ Luc Terlinden
Archevêque de Malines-Bruxelles

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