Homélie de la Vigile de Pentecôte en la Cathédrale, 4 juin 2022
Le prophète Ézékiel nous dit que le Seigneur le fait circuler au milieu d’une vallée pleine d’ossements desséchés. Ils représentent tous la maison d’Israël, le peuple de Dieu qui a été déporté à Babylone. Ce peuple n’a plus rien pour exprimer sa foi : le Temple de Jérusalem a été détruit ; il n’y a plus de sacrifices pour la liturgie. Les tables de la Loi sont perdues : il n’y a plus de signe de l’alliance de Dieu avec son peuple. Les prêtres et les prophètes n’ont plus de lieu de ralliement : ils errent au milieu des déportés. Le peuple de Dieu, la maison d’Israël est comme un peuple mort, sans avenir, au milieu des nations païennes. Dans ce climat de désespoir, Dieu intervient. Il appelle Ézékiel et il lui demande de prophétiser sur les ossements. Tu leur diras, dit Dieu à Ézékiel, écoutez la parole du Seigneur ; je vais faire entrer en vous l’esprit et vous vivrez.
Ézékiel prophétise, parle au nom de Dieu, et voit que les ossements se rapprochent pour former des corps, mais sans vie. Dieu dit à Ézékiel : Dis à l’esprit : Ainsi parle le Seigneur Dieu : souffle sur ces morts et qu’ils vivent. Ils se dressent sur leurs pieds : c’était une armée immense.
Dieu donne ensuite la signification de ce qui se passe, en répondant à l’espérance de ce peuple : Je vais ouvrir vos tombeaux et je vous en ferai remonter, ô mon peuple, et je vous ramènerai sur la terre d’Israël.
Chaque fois qu’une catastrophe s’abat sur l’humanité ; chaque fois que des chrétiens ont des raisons de désespérer de leur sort, comme si Dieu les avait abandonnés, surgit l’intervention de Dieu pour ouvrir les tombeaux et manifester la résurrection des morts.
Certains, aujourd’hui, estiment que l’Église est en train de s’effondrer, écrasée par des révélations sans cesse répétées de turpitudes, d’actes délictueux, d’abandons de poste, de perte de signification dans la société contemporaine.
On peut réagir face à ces révélations en cherchant des coupables, ou encore comme sociologues qui analysent les étapes de la décrépitude.
Comme croyants, nous réagissons aussi autrement. Nous nous mettons à l’écoute du prophète Ézékiel, qui nous fait parcourir ce soir le dessein de Dieu pour toute l’humanité.
Nous avons commencé par écouter le prophète Joël qui nous dit, au nom de Dieu : Je répandrai mon esprit sur toute chair, vos fils et vos filles prophétiseront. Joël annonce le Jour du Seigneur. Dans l’attente de ce Jour, tout le monde aura reçu l’Esprit de Dieu. Dans cette attente, quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. Il ne s’agit pas simplement d’une invocation, d’une prière vite faite ; il s’agit d’une invocation du nom du Seigneur, qui sauve, qui apporte le salut, la délivrance du mal, la victoire sur la tentation, le pardon des péchés, le don de la vie pour toujours.
Après le prophète Joël, c’est le livre de la Genèse qui nous a montré comment on en est arrivé à ne plus se comprendre entre les peuples, entre les nations. En Mésopotamie, là où sera construite la ville de Babylone, les humains vont bâtir une ville avec une tour dont le sommet sera dans les cieux. Plus encore, ces humains veulent se faire un nom pour ne pas être disséminés sur la surface de la terre. Dieu vient voir ces humains et prend connaissance de leurs projets. Il constate : Si ces humains commencent ainsi, rien ne les empêchera désormais de faire tout ce qu’ils décideront. En effet, dans leur projet, il n’y a aucune référence à la vocation que Dieu a donnée à Adam et à Eve sur la gestion de la création, le don d’une descendance, la relation personnelle avec Dieu, le créateur. Comme si les humains étaient devenus les propriétaires de la terre. Dieu décide alors d’empêcher la construction de la ville en embrouillant la langue des habitants de la terre. D’où leur dispersion sur toute la surface de la terre.
Nous avons poursuivi la lecture de la Bible avec le livre de l’Exode. Au temps de Moïse, Dieu a délivré les Hébreux de l’esclavage en Egypte ; il a fait passer la Mer Rouge à pied sec. Il fait alliance avec son peuple en lui donnant les dix paroles, les dix commandements, le code de l’alliance. Dieu dit à Moïse : maintenant donc, si vous écoutez ma voix et gardez mon alliance, vous serez mon domaine particulier parmi tous les peuples car toute la terre m’appartient ; mais vous, vous serez pour moi un royaume de prêtres, une nation sainte. Le peuple hébreu répond, unanime, à la proposition de Dieu : Tout ce que le Seigneur a dit, nous le mettrons en pratique. Cette alliance est scellée le troisième jour lorsque Dieu descend dans le feu, dans le tremblement de la montagne et lorsque Moïse est appelé par Dieu sur le sommet de la montagne.
Dans une période où règne le désespoir, où on pense que Dieu a abandonné son peuple, son dessein pour toute l’humanité, Ézékiel , Joël, les interventions de Dieu en Mésopotamie et à la montagne du Sinaï nous font visiter toute l’histoire du salut, qui culmine dans la venue du Fils de Dieu en ce monde, ce Fils qui a pris chair de la Vierge Marie sous l’action de l’Esprit Saint.
Au cours de son ministère en Galilée et sur le chemin vers Jérusalem, le long du Jourdain et à Jérusalem même, Jésus est accompagné de disciples qu’il a appelés. Il parle également aux foules en mettant en lumière le dessein de Dieu, son Père, dont il est l’Envoyé.
C’est ainsi que Jésus parle de l’heure, du moment où il sera glorifié, en étant élevé, là où il attirera à lui tous les êtres humains. Une fois cette glorification accomplie, Jésus donnera à celui qui a soif des fleuves d’eau vive. L’évangéliste explique : En disant cela, Jésus parlait de l’Esprit Saint qu’allaient recevoir ceux qui croiraient en lui. En effet, il ne pouvait pas y avoir l’Esprit, puisque Jésus n’avait pas encore été glorifié. Quand on sait qu’à la fête des Tentes, les prêtres allaient chercher de l’eau à la fontaine de Siloé pour la verser à l’angle de l’autel au Temple, on peut comprendre pour quelle raison Jésus dit que de son cœur couleront des fleuves d’eau vive.
Le jour de Pâques, quand Jésus est ressuscité, il vient le soir auprès de ses disciples au Cénacle : il leur dit : de même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. Il souffle sur eux et il leur dit : Recevez l’Esprit Saint. A qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus.
L’évangéliste Luc évoque le don de l’Esprit Saint le jour de la Pentecôte. Nous y retrouvons le contraire de Babel : ici les apôtres parlent toutes les langues afin d’être compris par tous les peuples. Parler toutes les langues est un don de l’Esprit Saint. Ici le don de l’Esprit se fait dans un bruit qui vient du ciel, comme le tremblement de terre au temps de Moïse, lorsque Dieu fait alliance avec les Hébreux au désert ; ici l’Esprit apparaît sous forme de langues de feu, comme au temps de Moïse. Dans son discours après le don de l’Esprit, Pierre commence par citer le prophète Joël : Je répandrai de mon Esprit sur toute chair, vos fils et vos filles seront prophètes.
Au terme de ce discours, les pèlerins présents à Jérusalem demandent à Pierre : Que devons-nous donc faire ? La réponse est simple : convertissez-vous ; que chacun reçoive le baptême au nom de Jésus Christ pour le pardon de ses péchés et vous recevrez le don du Saint Esprit.
Alors, quand nous désespérons en voyant, d’un certain point de vue, les épreuves que traverse l’humanité, les zones d’ombre de l’Église, n’oublions pas de relire le dessein de Dieu, la vocation de l’humanité, la mission que le Ressuscité confie à ses disciples.
L’apôtre Paul lui-même nous y invite dans la lettre aux Romains : Nous le savons bien, la création tout entière gémit, elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore. Et elle n’est pas la seule. Nous aussi, en nous-mêmes, nous gémissons : nous avons commencé à recevoir l’Esprit Saint, mais nous attendons notre adoption et la rédemption de notre corps. Car nous avons été sauvés, mais c’est en espérance. L’Esprit Saint vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons pas prier comme il faut. L’Esprit lui-même intercède pour nous par des gémissements inexprimables.
Parmi nous les néophytes vont remettre leur écharpe à l’évêque. Ils sont désormais reconnus comme des fidèles laïcs du Christ à part entière. Merci, chers amis, pour votre témoignage. Vous pouvez relire votre vie en mettant une date sur le premier moment où vous avez fait l’expérience du Christ de manière personnelle. Investis par l’Esprit Saint, vous êtes des prophètes ; vous pouvez témoigner de la Parole de Dieu.
Parmi nous, des adultes et des jeunes vont célébrer le sacrement de la confirmation. Vous aussi, vous pouvez mettre une date sur le moment où vous avez fait, pour la première fois, l’expérience du Christ. Avoir une relation personnelle est le commencement de l’itinéraire de la foi. Certes, l’Esprit Saint transforme votre cœur depuis que vous avez été conçus afin que vous puissiez entendre la Parole de Dieu et l’accueillir, y croire. Mais, bien souvent, nous ne retenons que le moment où nous avons commencé à marcher avec Jésus, en devenant ses disciples.
La confirmation comprend quatre étapes : Appel ; Profession de foi ; Imposition des mains ; Onction.
Après la célébration de la confirmation et la remise des écharpes blanches, nous serons tous aspergés par l’eau baptismale et nous entrerons plus directement dans la liturgie eucharistique.
+ Guy Harpigny,
Evêque de Tournai