Journée de la Vie consacrée – 2 février 2023
L’Église universelle fête le 2 février la Présentation de Jésus au Temple de Jérusalem. C’est ce jour-là qu’à la demande du pape saint Jean-Paul II, nous prions pour tous les membres de la vie consacrée : vierges consacrées, moines et moniales, religieux et religieuses, instituts séculiers, familles spirituelles. Nous ajoutons les sociétés de vie apostolique.
A l’occasion du IVème centenaire de la mort de saint François de Sales, le 28 décembre 1622, le pape François a publié la Lettre apostolique Totum amoris est (28 décembre 2022). En voici une petite synthèse. Nous pensons à toutes les personnes et communautés du diocèse de Tournai qui se réfèrent à saint François de Sales, dont les Salésiennes de la Visitation et les Salésiens de Don Bosco.
Né le 21 août 1567 au château de Sales, près de Thorens, François a vécu à cheval entre deux siècles, le XVIème et le XVIIème, qui ont réconcilié l’héritage de l’humanisme de la Renaissance et celui de la tension vers l’absolu propre aux courants mystiques. Selon une expression habituelle, le pape François parle non pas d’une époque qui change, mais bien d’un changement d’époque. Il l’avait déjà signalé à propos de la pensée du Cardinal John Henry Newman (1801-1890). François de Sales a connu les guerres de religion, qui manifestaient également de grands changements politiques dans le royaume de France. Par sa naissance et sa formation, il a exercé des missions diplomatiques pour devenir un artisan de paix et il a bien saisi les enjeux spirituels nouveaux de la société de son temps.
Après avoir reçu une formation initiale classique au collège de La Roche-sur-Foron et à Annecy, il entre au collège jésuite de Clermont à Paris. Dans une ville déchirée par les guerres de religion, il vit deux crises intérieures qui le marquent à jamais. Devant la Vierge noire de Paris, dans l’église de Saint-Etienne-des-Grès, François dit une prière qui, dans les ténèbres, allume une flamme qui restera vivante pour toujours : Quoiqu’il advienne, Seigneur, toi qui détiens tout entre tes mains, et dont les voies sont justice et vérité (…) je t’aimerai Seigneur (…) j’aimerai ici, ô mon Dieu, et j’espérerai toujours en ta miséricorde, et je répéterai toujours tes louanges (…). O Seigneur Jésus, tu seras toujours mon espérance et mon salut dans la terre des vivants. C’est à partir de là que François de Sales lira en Dieu sa propre expérience et celle des autres. Une manière de le dire sera de parler du « Dieu du coeur humain ».
La théologie de François de Sales comprend deux dimensions constitutives. La première est la vie spirituelle. C’est dans la prière humble et persévérante, dans l’ouverture à l’Esprit Saint que l’on peut chercher à comprendre et à exprimer le Verbe de Dieu. On devient théologien dans le creuset de la prière. La seconde est la vie ecclésiale : sentir dans l’Eglise et avec l’Eglise. Si la théologie a pu souffrir de la culture individualiste, le théologien chrétien élabore sa pensée en étant immergé dans la communauté, en y rompant le pain de la Parole. Même si François de Sales connaît les disputes d’écoles de son temps, au plan ecclésial et au plan théologique, il reste fermement attaché aux deux dimensions constitutives de la théologie.
Les humanités terminées à Paris, François poursuit des études de droit à l’Université de Padoue. Rentré à Annecy, il demande l’ordination sacerdotale. Ordonné le 18 décembre 1593, il est appelé en septembre 1594 par l’évêque, Mgr Claude de Granier (1538-1602), à la mission du Chablais. Ce territoire du diocèse d’Annecy est de confession calviniste. Il est passé sous le contrôle du duché de Savoie. François de Sales sillonne le Chablais et invente des pratiques pastorales nouvelles pour atteindre toutes les couches de la population, mettant ainsi en pratique la réforme initiée par le concile de Trente (1542-1563).
En 1602, Il est envoyé à Paris pour remettre en route au plan pastoral et canonique le diocèse de Genève, ville toujours « occupée » par les calvinistes. Au terme de neuf mois de négociations politiques et ecclésiales, selon les indications précises du Siège apostolique (pape Clément VIII), en concertation avec Henri IV, roi de France de 1589 à 1610, François est obligé de constater que sa mission est un échec. Malgré cet échec au plan diplomatique, François découvre durant ces neuf mois passés à Paris une richesse inattendue sur le plan humain, culturel et religieux. Il prêche devant le Roi et la cour de France ; il noue des relations importantes au plan politique ; il est immergé dans le printemps spirituel et culturel de la capitale du royaume. François apprend à voir le monde autrement. Au milieu de tant de nouveautés, il est entraîné à considérer les problèmes de société avec un regard neuf. Et que voit-il ? Une soif surprenante de spiritualité. Il ne voit plus les guerres de religion de sa jeunesse, ni les luttes acharnées entre les différentes factions du Chablais. Il entre dans une réalité inattendue, une foule de « saints », de vrais saints, nombreux et partout : des hommes et des femmes de culture, des professeurs de Sorbonne, des représentants des institutions, des princes et des princesses, des serviteurs et des servantes, des religieux et des religieuses. Un monde nouveau assoiffé de Dieu.
François rencontre ces personnes et il écoute leurs questions. Avec patience, il essaie de répondre aux questions et, progressivement, en plus des nombreuses lettres d’amitié spirituelle envoyées à ceux qui viennent le consulter, il rédige l’Introduction à la vie dévote (1608) et le Traité de l’amour de Dieu (1616).
Dans un véritable esprit de réforme, qu’une bonne partie de l’Europe espère depuis le XVème siècle, François quitte le langage de la sévérité pour rejoindre la « dignité », la « capacité » d’une âme pieuse ouverte à l’action de Dieu en elle. François rejoint ainsi la grande tradition théologique du cœur humain « ouvert » à l’action de Dieu en lui, l’être humain « capax Dei ».
Rentré à Annecy, il est ordonné évêque de Genève le 8 décembre 1602. Il ne pourra jamais rejoindre son siège et résidera à Annecy. A travers son activité pastorale, ses visites, ses rencontres, ses lettres, ses écrits, nous voyons une évolution remarquable de sa « vision » du monde. En même temps, le pape François y décèle quelques choix qui nous sont bien utiles aujourd’hui.
Le premier choix est de proposer la relation heureuse entre Dieu et l’être humain. Dieu nous attire à lui, en respectant notre dignité, notre liberté. Pas de violence, pas d’imposition extérieure, aucune force despotique et arbitraire, mais bien la forme persuasive d’une invitation. Dans la relation avec Dieu, il s’agit toujours d’une expérience de gratuité qui témoigne de la profondeur de l’amour du Père. Dieu ne s’adresse pas à un être humain passif. Dieu est premier. Il propose son amour et il fait le don de pouvoir l’accueillir et y répondre.
Le deuxième choix est d’aborder la question de la dévotion. Qu’est-ce que la dévotion ? La fausse dévotion est de montrer quelque chose de beau et de bon, et de faire le contraire quand il faut agir. François de Sales dit : Celui qui est adonné au jeûne se tiendra pour bien dévot pourvu qu’il jeûne, quoi que son coeur soit plein de rancune ; et n’osant point tremper sa langue dans le vin ni même dans l’eau, par sobriété, ne se feindra point de la plonger dedans le sang du prochain par la médisance et calomnie. La vraie dévotion est enracinée dans la vie divine en nous. Elle présuppose l’amour de Dieu ; ainsi, elle n’est autre chose qu’un vrai amour de Dieu. La charité fait ses actions en nous, ou nous par elle. La dévotion est une manifestation de la charité et, en même temps, nous conduit vers elle. La dévotion est plutôt un style de vie, une façon d’être dans le concret de l’existence quotidienne. Par conséquent, la dévotion n’est pas réservée à de personnes qui vivent « hors du commerce du monde » ; elle appartient à tous.
Avec ces deux choix, François de Sales considère la vie chrétienne dans son ensemble comme l’extase de l’œuvre et de la vie. L’extase est l’heureuse surabondance de la vie chrétienne, élevée au-dessus de la médiocrité de la simple observance. Ne point dérober, ne point mentir, ne point commettre de luxure, prier Dieu, ne point jurer en vain, aimer et honorer son père, ne point tuer, c’est vivre selon la raison naturelle de l’homme. Mais quitter tous nos biens, aimer la pauvreté, l’appeler et tenir en qualité de très délicieuse maîtresse ; tenir les opprobres, mépris, abjections, persécutions, martyres, pour des félicités et béatitudes ; se contenir dans les termes d’une absolue chasteté, et enfin vivre parmi le monde et en cette vie mortelle contre toutes les opinions et maximes du monde, et contre le courant du fleuve de cette vie par des ordinaires résignations, renoncements et abnégations de nous-mêmes, ce n’est pas vivre humainement, mais surhumainement ; ce n’est pas vivre en nous, mais hors de nous et au-dessus de nous. Et parce que nul ne peut sortir de cette façon au-dessus de soi-même, si le Père éternel ne le tire, partant cette sorte de vie doit être un ravissement continuel et une extase perpétuelle d’action et d’opération (Traité de l’amour de Dieu, 1969, p. 683).
A la description de l’extase de l’œuvre et de la vie, François de Sales ajoute deux précisions. La première, c’est que l’extase n’abandonne pas la vie. Celui qui dit qu’il s’approche de Dieu, mais qui ignore son prochain fait fausse route. La seconde, c’est que la vie sans extase devient une vie sans joie, une obéissance opaque à des observances. Aussi la source profonde de cette extase est l’amour manifesté par le Verbe incarné, la charité du Christ qui nous donne la vie par sa mort en croix.
Envoyé une nouvelle fois en mission diplomatique, François de Sales meurt le 28 décembre 1622 à Lyon. Il est canonisé en 1665 (pape Alexandre VII) et proclamé Docteur de l’Eglise en 1877 (pape Pie IX).
Le rayonnement de François de Sales est fécond et immense. Il est de ceux qui ont plaidé pour l’appel à la sainteté adressé à tous les baptisés, et pas uniquement aux personnes engagées dans la vie consacrée. Cela signifie que les personnes engagées dans la vie consacrée répondent à un appel distinct, reçoivent un don de l’Esprit appelé charisme, en mettant en œuvre les conseils évangéliques que sont la chasteté, la pauvreté et l’obéissance.
Prions par conséquent les uns pour les autres afin de répondre en vérité à l’appel universel à la sainteté. Prions en communion avec les personnes engagées dans la vie consacrée qui signifient, par un ou plusieurs aspects de leur vie, l’accueil d’un don de l’Esprit en vue du Royaume des Cieux.
+ Guy Harpigny,
Evêque de Tournai