Vendredi Saint à Lessines: jusqu’au tombeau avec le Christ

Tout en haut du diocèse de Tournai, là où coule la Dendre, une tradition multiséculaire se perpétue juste avant que ne débute le grand silence pascal. Après l’office solennel de la Passion, des pénitents vêtus de bure et encagoulés processionnent un gisant du Christ dans les rues de la ville puis le mettent symboliquement au tombeau, dans la chapelle du sépulcre de l’église Saint-Pierre.

Il fait encore clair quand l’église Saint-Pierre, au cœur de Lessines, commence tout doucement à se remplir, au soir du Vendredi saint. Si l’atmosphère sur le parvis est presque printanière — malgré un petit vent froid — en ce début avril 2023, à l’intérieur de l’édifice on se retrouve instantanément plongés dans une véritable veillée mortuaire, dans une lumière teintée de rouge. Face à l’autel, un immense catafalque accueille un Christ inerte. Seule la tête et le haut du buste de ce gisant en chêne grandeur nature dépassent du linceul noir qui le drape. Quatre austères lanternes et six grands cierges entourent le crucifié.

Précédés d’un tambour qui se fait entendre dès avant son entrée dans l’église, des pénitents, vêtus d’une robe de bure et la cagoule posée sur les épaules, viennent s’installer auprès du corps de celui dont qui a vécu sa Passion. Comme pour le veiller, le protéger, l’entourer avant sa mise au tombeau.

La trilogie lessinoise

Juste derrière les quelques rangées de pénitents, la chorale est placée au milieu de l’assemblée. Mais c’est dans le silence que les célébrants font leur entrée. Pour parvenir à l’autel, ils doivent d’abord contourner le catafalque. Ensuite, longuement, ils s’allongent sur le sol, à plat ventre.

Commence alors le premier acte de cette trilogie toute particulière, avec l’office de la Passion. Le récit des dernières heures du Christ est lu par l’abbé Michel Myle, curé du lieu, Gérald Decoster, l’une des chevilles ouvrières du comité d’organisation, et un desservant. Une croix est ensuite amenée du fond de l’église et est vénérée tour à tour par les célébrants, les pénitents et les très nombreux fidèles présents. Après ce long moment de recueillement, le deuxième temps fort du Vendredi saint lessinois se prépare. Au son des tambours Festinis, le cortège se forme. Le corps gisant est soulevé et emmené par quatre pénitents. Dehors, les flambeaux s’allument, et bientôt, la procession fait le tour de l’église avant de s’étirer dans les rues de la cité.

Une ville éteinte

Pendant une petite heure, dans une ville où toutes les lumières ont été éteintes, c’est à la seule lueur des flambeaux et de quelques lanternes que le cortège en deuil va passer de rue en rue. Le son des crécelles se mélange à la voix des chantres. Sur les trottoirs, habitants et touristes assistent à l’impressionnant défilé. La statue de Notre-Dame des Sept douleurs est elle aussi processionnée, entourée de femmes vêtues de capes noires et de «deuillantes». Derrière le clergé, les fidèles ferment la marche.

Lentement, les pénitents remontent la Grand Rue pour revenir sur le parvis Saint-Pierre. Encore une fois, ils vont entrer dans l’église. Un dernier tour par les nefs latérales pour arriver devant la chapelle Sainte-Barbe, dite «du sépulcre». L’espace est exigu, fermé par des portes vitrées. La foule s’est massée aux deux entrées, essayant d’apercevoir le dernier temps de cette soirée entre culte, tradition et folklore. Dans le recueillement, le brancard portant le corps est déposé au sol et sous d’ultimes invocations, le gisant est placé sous le petit autel de la chapelle, comme dans la grotte de Jérusalem. Peu à peu, tout le monde quitte l’endroit, laissant seul le corps sans vie. Dehors, les lumières se sont rallumées. Préfigurant à leur façon le retour de la lumière de Pâques…

Agnès Michel