« Transformer l’injustice du passé en justice pour l’avenir »

« Transformer l’injustice du passé en justice pour l’avenir » – Le professeur Manu Keirse lors de l’audition de la Chambre sur les abus sexuels
 

Le 9 février 2024, la Commission d’enquête de la Chambre des représentants, chargée d’enquêter sur la gestion des abus sexuels dans l’Église et ailleurs, se penche sur le mécanisme d’arbitrage, par lequel les victimes de faits prescrits devant la Justice, peuvent encore être entendues, reconnues et recevoir une compensation matérielle. La Commission d’arbitrage a été créée à la suite de la recommandation de la précédente Commission parlementaire sur les abus dans l’Église de 2010-2011.

L’une des personnes entendues est le professeur et psychologue clinicien Manu Keirse. Il a été étroitement impliqué dans la création de la Commission d’arbitrage. Il est également président de la fondation Dignity qui, au nom de la Conférence des évêques de Belgique, sert de point de contact central pour les victimes.

Au moment de la dissolution de la Commission Adriaenssens, dont le fonctionnement avait été rendu impossible après la saisie de ses dossiers par le ministère de la Justice, le professeur Keirse a immédiatement compris qu’il fallait une politique qui serait approuvée par tous les évêques et les supérieurs hiérarchiques, pour écouter les survivants et leurs familles et assumer la responsabilité morale de ce qui s’était passé dans le passé. Toutes les formes de réparation devaient être possibles, y compris les compensations financières, même si ces dernières étaient très incertaines. Lorsque la Conférence des évêques lui a demandé de contribuer à l’élaboration et à la mise en œuvre de cette politique de manière très concrète, il a répondu positivement.

Des centaines de contacts avec Rik Devillé et des éloges de sa part

La première personne à laquelle le professeur Keirse s’est adressé après avoir été sollicité par la Conférence des évêques a été Rik Devillé.  De nombreux moments de concertation, des centaines d’e-mails et d’appels téléphoniques s’en sont suivis avec lui. Dans son livre « In naam van de vader » (« Au nom du Père », 2019), Rik Devillé écrit : « La première déclaration qui provoque un tournant irréversible et qui s’adresse aux victimes avec respect émane du professeur Manu Keirse. Il le fait dans la même semaine de janvier 2011. « La forme de la guérison est déterminée par la victime. Il faut redonner à la victime la possibilité de s’exprimer et de décider pour elle-même ». Il maintiendra cette position tout au long de la politique de rétablissement qu’il décrira plus tard » (p. 329).

Un comité indépendant composé du Parlement et de l’Église a travaillé pendant sept mois en 2011 pour établir un système d’arbitrage concluant. Le règlement d’arbitrage, les montants et les dispositions relatives au pouvoir discrétionnaire concernant les conventions de transaction ont été approuvés à l’unanimité par la commission parlementaire.

Comme il était impossible d’un point de vue juridique de confronter le survivant avec l’abuseur en raison de la prescription des faits, l’Église, avec l’aide de Dirk Van Gerven, bâtonnier de l’Ordre néerlandophone des avocats de Bruxelles, a créé une fondation d’utilité publique, Dignity, qui pouvait négocier en tant que personne morale au nom de tous les évêques et supérieurs ecclésiaux.

Il s’agit exclusivement de faits qui, parce qu’ils sont prescrits ou que l’auteur est décédé, ne peuvent plus être jugés par la Justice. Les survivants ne devaient pas fournir de preuves, mais seulement témoigner d’un certain degré de véracité. Même si l’auteur est encore en vie et qu’il nie ou minimise les faits, le témoignage des survivants est reconnu comme véridique.

En ce qui concerne les critiques actuelles sur les montants accordés, M. Keirse a souligné qu’une compensation financière ne peut jamais être assimilée à une réparation, mais constitue plutôt une confirmation symbolique de la reconnaissance d’une responsabilité morale. En effet, dans les cas d’abus de faits prescrits, il est très difficile, voire impossible, d’établir les dommages émotionnels et psychologiques et de prouver un lien de causalité entre des faits datant d’un passé lointain.

Le professeur Keirse a également formulé six conseils

  1. Des « signaux d’alerte » devraient être présents ou intégrés dans toutes les organisations travaillant avec des enfants ou des mineurs. En effet, la maltraitance peut rester longtemps sous le radar.
  2. Il est nécessaire de mettre en place des programmes éducatifs qui alertent et responsabilisent les enfants et les mineurs contre les atteintes à l’intégrité.
  3. Il est nécessaire de mettre en place un point de contact national pour toute forme de comportement transgressif, qui établisse elle-même les contacts nécessaires pour une approche et un accompagnement plus approfondis et qui oriente les personnes vers des services compétents.
  4. Il convient de mettre en place une politique européenne cohérente et concluante en matière de prévention des comportements sexuellement transgressifs.
  5. La structure et le fonctionnement de l’Église mondiale doivent changer fondamentalement et continuer à évoluer, en particulier la manière dont les structures de pouvoir (pastorales) au sein de l’institution sont traitées.
  6. Pour les survivants d’abus ecclésiaux, tout doit être mis en œuvre pour transformer les injustices du passé en justice pour l’avenir. Avec, après les conventions de transaction, comme première étape dès maintenant : le remboursement des consultations psychothérapeutiques aussi longtemps que nécessaire ; la création et le développement de groupes d’entraide et de formes d’éducation à la mémoire.
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