Une respiration pour les directions du fondamental
Dans l’épreuve, où et comment trouver l’espérance? C’est sur ce thème qu’ont réfléchi les participants de l’édition 2025 de la journée de ressourcement proposée aux directeurs et directrices du fondamental du diocèse hennuyer.
Pour cette deuxième édition de la «Journée de respiration», une bonne centaine de participants ont découvert –ou retrouvé– le cadre chaleureux des combles des écuries du château d’Enghien. D’emblée, la beauté du lieu saisit et apaise…
Après un moment d’accueil qui a permis à chacun de se poser et d’échanger librement avec les collègues, Françoise Prévost, animatrice en pastorale scolaire et organisatrice de la journée, ouvrait la rencontre en remerciant le groupe porteur, ainsi que l’équipe technique qui l’a aidée à préparer la journée.
«Aimer la vie, même si…»
Un temps d’intériorité nous invite à réfléchir aux échecs et aux difficultés, sources de vie et de beauté… malgré tout! «Bienheureux les fêlés, car ils laisseront passer la lumière» (Michel Audiard). Ne pas masquer nos fissures, faire de nos blessures des forces… Le ton est donné par rapport au thème de la journée, «Aimer la vie, même si…»
Anne-Dauphine Julliand prend alors la parole. Après avoir perdu deux filles très jeunes des suites d’une maladie neuro-dégénérative, son fils aîné s’est suicidé en 2022. Inévitablement, la question se pose: «Comment continuer à vivre après avoir perdu trois de ses quatre enfants? Comment ne pas avoir peur pour Arthur, le dernier, qui a maintenant 16 ans?»
Le témoignage qu’elle nous livre est poignant, vrai et délicat, rempli d’exemples et d’anecdotes, dans la simplicité et l’humour. Cette légèreté peut surprendre quand on a traversé tant d’épreuves! Son secret? Ne pas oublier de dire qu’on est heureux! Dire qu’on est heureux n’est pas édulcorer la réalité pour la mettre à distance. Il faut rester vrai et oser les mots justes pour voir la réalité en face. Ne rien fuir, même le suicide d’un enfant, au risque de laisser traîner, tel un fantôme, une zone d’ombre dans sa vie.
Un chemin intime à partager
Toutes les souffrances se valent et il faut éviter de comparer ou de se positionner les uns par rapport aux autres. Les choses difficiles à encaisser sont très personnelles. Ce qui importe, c’est de se sentir légitime dans sa peine: ne pas vouloir être fort, en oubliant d’accueillir avec bienveillance ce que je vis…
Quelques mois avant la mort de Gaspard, Anne-Dauphine a eu l’occasion de parler avec une personne qui avait perdu un enfant par suicide. À cette personne, Anne-Dauphine demande: «Comment faites-vous?» Son interlocutrice a juste levé un peu les épaules: «Comme je peux». Rien d’exceptionnel, juste un propos simple et vrai. Cette réponse, pourtant, l’a bien aidée au moment du suicide de Gaspard.
La pensée de l’être aimé reste toujours présente, bien sûr, mais se croire inconsolable éveille la solitude engendrée et nourrie par la souffrance. Si personne ne peut vivre à ma place et si je dois parcourir un chemin très intime, je ne dois pas le vivre seul.
Ne pas faire semblant
C’est la peur qui fait plonger dans les ténèbres. Quand on souffre, on se barricade et on s’enferme sur soi-même. À ce propos, Anne-Dauphine évoque une anecdote qui reste, pour elle, fondatrice. Un jour, alors qu’Azilis, sa seconde fille, venait de frôler la mort suite à une grande détresse vitale, elle subit fortement le contrecoup et s’effondre dans la chambre d’hôpital. Une infirmière qui passait lui a dit simplement, avec une grande douceur dans la voix: «Je suis là». Dans ces trois mots, Anne-Dauphine a ressenti: «Je suis là, allez-y, n’ayez pas peur de ce que vous ressentez. Je vais vous accompagner».
Cette infirmière n’allait pas porter sa douleur ou la faire disparaître, mais elle avait compris: «Votre peine n’est pas inhumaine». Elle a ainsi restauré sa confiance dans sa capacité à vivre. «Juste être ce que tu es. Tu as ta place dans l’humanité, viens!» Après cette parole, Anne-Dauphine a encore pleuré, mais elle n’avait plus peur. La souffrance était toujours là, mais la paix était revenue.
Chez les enfants, la peine ne dure pas. Comment font-ils donc pour passer à autre chose? Ils ont en fait une meilleure acceptation de la réalité de la vie. La confiance en soi ou dans l’autre est vitale et éloigne la pensée qu’on ne va pas y arriver. Quand on devient adulte, on fait semblant, on fuit la souffrance, on la cache et elle finit par nous hanter. Il convient de retrouver ce processus tout simple de l’enfance.
Un concert plein de fraîcheur
La seule façon de ne pas souffrir, c’est de ne pas aimer. Si l’amour reste présent, on souffre sans doute, mais c’est aussi la raison de notre plus grand bonheur. Tout le paradoxe est là!
La personne qui reste debout malgré tout ne dispose pas d’un super-pouvoir, mais bien de la confiance permettant d’accueillir tout ce qu’elle a à vivre, à partir du moment où elle le vit intensément. Il faut donc vivre pleinement sa peine, en sachant que cela s’inscrit dans un temps et sans oublier qu’on est fondamentalement heureux.
Le secret d’Anne-Dauphine, c’est d’accueillir les petits moments de bonheur que la vie lui offre, sans tomber dans les travers de la pensée positive où tout est toujours bien, même le négatif. Oui, l’hiver n’est pas rien, mais le printemps revient. Il est d’ailleurs toujours là, sous le manteau de l’hiver. On ne recommence pas à vivre, car on n’a jamais cessé de vivre.
Après la pause, Antoine Armedan, jeune chanteur de la région d’Enghien, nous a entraînés dans un univers aux paroles pleines de fraîcheur et d’optimisme. Son concert acoustique a régalé les oreilles et les cœurs des participants, qui n’ont pas hésité à battre des mains ou effectuer une ola: un excellent apéritif avant de passer à table pour le repas convivial concluant la rencontre.
Rendez-vous est déjà pris pour l’an prochain!
Bernard Ghislain
Ph. Samuel Bruyninckx