Hommage à une tisseuse de liens
On n’a pas le cœur à la fête dans le diocèse de Tournai. Enfin si. Mais en fait non. Vous allez comprendre…
Jeannine Hainaut, la responsable des visiteurs [de malades, ndrl], nous quitte pour une retraite bien méritée. Elle laisse un vide. Ce sera complexe de faire sans elle, parce qu’elle a un petit quelque chose en plus. Elle a reçu des dons de je ne sais quelle fée et laisse derrière elle un sillon lumineux. Un sillon fait d’étoiles, pensez-vous ? Non. Approchez voir. Des sourires, ceux qu’elle laisse sur son passage par son attention et sa douceur, par sa fidélité dans ses liens, par son amour du travail accompli.
Jeannine Hainaut est responsable des visiteurs du diocèse de Tournai depuis 2001. À l’époque, elle travaille à mi-temps et est déjà responsable de la région de Mons.
Il faut savoir qu’à Tournai, les visiteurs sont structurés et c’est ce qui fait que ça fonctionne. Il y a des années, un prêtre de Gilly a imaginé ceci : les visiteurs sont rassemblés en équipes ; ils ont un responsable. Ce dernier appartient à une équipe régionale dont tous les responsables se rencontrent plusieurs fois par an. Cette équipe régionale a, elle aussi, un responsable qui rencontre trois fois par an ses homologues régionaux. Et ça fonctionne. Tout le diocèse est couvert et l’information est transmise à tous, via ces intermédiaires.
Quand Jeannine arrive, elle n’a qu’à s’y faufiler. Pourtant, ce n’est pas une mince affaire. En tant que responsable, il faut être présent à tous les étages de cet immeuble à la charpente solide. Au niveau diocésain, on gère les rencontres diocésaines, on part en réunions régionales, on file dans les petites équipes porter secours, renseigner, accompagner et puis surtout (et c’est là que Jeannine sent son cœur battre un peu plus fort) on va à la rencontre des personnes qui composent toutes ces équipes. C’est là qu’elle se rend compte qu’il est hors de question, quand on est responsable, de penser « hiérarchie », même si le côté architectural semble le supposer.
Tisser des liens
Ce qu’elle préfère par-dessus tout, c’est le contact avec les autres. C’est ce qui, dans son métier d’infirmière, lui a déjà fait changer de service. Quand elle a senti que les patients sombraient progressivement dans l’anonymat, elle l’a difficilement supporté.
Arrivée en hôpital de jour, elle a pu accomplir ce qui la faisait vivre : nouer, attacher, entrelacer, combiner, tisser des liens.
C’est munie de ce beau bagage qu’elle est devenue responsable des visiteurs : la maladie, la souffrance, elle connaissait. Elle savait aussi prendre soin. Elle pouvait entendre et mener un groupe. Enfin, pas assez à son goût. Elle s’est formée, et a d’ailleurs le souvenir marquant de deux formations qui l’ont fait avancer. C’est José Tilquin qui lui a appris à conduire au mieux une réunion et à entendre, derrière les mots et l’attitude des gens, l’insoupçonné.
Elle le constate aujourd’hui. Le métier a un peu changé au cours du temps. Des changements appréciables. Les liens entre les pastorales, par exemple, ont vraiment apporté du neuf.
Il est temps d’aller voir du côté des personnes ressources. Elle cite souvent, et avec un grand sourire, deux religieuses de la congrégation des Pauvres Sœurs de Mons. Soeur Geneviève et Soeur Francine. Ce sont elles qui ont mis Jeannine en route. Deux déceleuses de talents. L’une d’elles était infirmière en soins palliatifs à Loverval. Comme quoi, il y a des sujets qui restent…
Le sens de l’équipe et l’Amour de Dieu
Quand je lui demande après ces presque vingt années le fil rouge qui la tient et qu’elle proposerait à toute personne entrant chez les visiteurs, elle me répond sans hésiter : « Ne pas travailler seul, travailler en équipe ».
Quant à l’Évangile, elle en retient « J’étais malade et vous m’avez visité », et le fait qu’il faut simplement demeurer en l’Amour de Dieu, parce que c’est là que l’on trouve les forces pour se mettre en chemin. Elle me dit aussi : « De moi-même je ne peux rien faire, mais quelqu’un en moi me fait avancer ».
La preuve ? Cette dame à laquelle elle doit porter la communion et qui parle sans arrêt.
Après son déménagement, Jeannine continue à aller la voir, mais cela lui semble au-dessus de ses forces. Elle y va avec des pieds plus lourds que le plomb (Que l’or ? Qu’un trou noir ?
Qu’une étoile à neutron ?). Alors elle a cette prière : « Seigneur pousse la porte avec moi ».
Jeannine pense aussi à ces personnes très âgées qui, lorsqu’on leur apporte le corps du Christ, ne perçoivent plus l’importance de l’instant. Elle comprend de mieux en mieux que les visiteurs doivent être informés, afin de ne pas altérer, froisser ce moment. Ce n’est pas qu’une distribution. Même à domicile. Même si le contexte est particulier (maladie, temps d’échange qui précède…). C’est un accompagnement, et puis c’est la communion au cœur de cet accompagnement. C’est un temps privilégié.
Puis, Jeannine me rapporte son admiration pour Monique, visiteuse depuis 30-40 ans. Courageuse, elle a été opérée plusieurs fois, mais elle remonte la pente, toujours. Elle soigne les siens jusqu‘au bout.
Enfin, Jeannine me demande de ne pas oublier de mentionner ceci : elle quitte le service, paisible mais avec émotion. Paisible parce qu’il y a un relais et que l’aventure continue. Elle tient aussi à souligner quelque chose d’important. Pas d’envolées lyriques donc, ou de métaphores savantes, pour clôturer ce texte. Juste ses mots à elle : «Merci à tous pour les rencontres ».
Alix Tumba