Démence et résilience : mobiliser la dimension spirituelle

Démence et résilience : mobiliser la dimension spirituelle

Ou comment maintenir dans l’humanité la personne démente, en l’occurrence la personne atteinte de la maladie d’Alzheimer… Quelle place pour la spiritualité dans l’accompagnement de ces personnes fragilisées ?

Lors d’une matinée de formation, Thierry Collaud, théologien et médecin, nous a invités à changer notre regard sur la personne dite « démente ». Il nous a proposé de passer de nos « Ce n’est plus lui ! », « Je ne le reconnais plus », « Nous l’avons déjà perdu », à la conviction que ce qu’est intrinsèquement cette personne, si distante parfois, est toujours là, avec une mémoire et des capacités cognitives défaillantes, mais toujours bien là.

Résilience

L’accompagnement considère presque inconditionnellement la poursuite toujours possible du parcours de vie et invite l’accompagnateur à rendre visite à un récit de vie qui ne fait pas fi de ses traumatismes, mais duquel peut émerger une compétence : la résilience, « dynamique existentielle capable d’offrir une résistance à l’adversité » (Fraser, 1999, Poletti).

La résilience ne recherche pas la vie d’avant, mais promeut en quelque sorte une croissance vers une réalité nouvelle. Pour définition, le théologien choisit celle-ci : « La résilience est la capacité de s’adapter aux événements traumatisants de l’existence en faisant usage des ressources internes et externes pour continuer à vivre une vie pleinement humaine. »

Même si l’individu possède ses propres ressources internes, nous comprenons aisément que celles-ci doivent être soutenues par des ressources externes. C’est tout un système (la famille, la société,…) qui est touché par la maladie ; le processus de résilience est donc systémique. Dès lors, c’est aussi un défi. « Construire ensemble avec la personne fragilisée une nouvelle intersubjectivité et lui permettre ainsi d’évoluer au maximum de ce que lui permet encore la maladie. » (M. Delage)

Accompagner

Les soignants, la famille, les visiteurs, les aumôniers,… participent au système potentiellement résilient. Ces interlocuteurs maintiennent, grâce au dialogue, la persistance d’un « être face à », d’un être dans sa dignité. Autant de stimulations qui soutiennent la mobilisation des ressources internes mises à mal par la souffrance engendrée par la maladie, par la désorganisation de l’existence.

Nos postures en tant qu’accompagnateurs doivent être des attitudes personnalisantes, reflets d’une authentique relation « je-tu » qui permettra au malade de se sentir reconnu, d’être en confiance, d’être sujet humain au coeur d’un réseau de relations. Notre présence devient alors tutrice de ressources internes à (ré)investir. Parmi celles-ci interviennent les ressources existentielles (identité, espérance, systèmes de valeurs, image positive de soi,…) et les ressources spirituelles (foi, relation avec Dieu/le transcendant, ouverture à un au-delà de soi, réceptivité à l’inattendu,…).

En ce lieu, nous pouvons asseoir notre rôle dans nos pastorales d’accompagnement. Il nous est demandé d’habiter ensemble un espace potentiel commun dans la dimension spirituelle.

Représentation conceptuelle de la dimension spirituelle

À partir des schémas ci-contre, on comprend que les quatre pôles cités ici interagissent et structurent la dimension spirituelle chez l’être humain. Ce modèle conceptuel met en exergue deux pôles : le rationnel et le non-rationnel. Quand la maladie d’Alzheimer s’installe, l’accès au pôle qui sollicite la raison devient de plus en plus difficile. Mais cette conceptualisation met en évidence tout le champ qui peut encore être exploré, celui de l’expérience spirituelle et de la communauté : deux dimensions appelées à être réinvesties pour laisser émerger le goût, le souvenir d’un vécu spirituel, voire religieux. Cette plongée rejoint une zone réconfortante, d’apaisement, un espace qui laisse advenir la « transcendance » où les partenaires de la rencontre laissent place à l’Inattendu.

Combien d’aumôniers n’ont pas été surpris d’être rejoints dans un « Je vous salue Marie » alors que la personne visitée semble renfermée ? Bien des visiteurs ont eu la joie de partager un chant liturgique, de voir glisser des larmes lorsque le corps du Christ rappelle sa proximité là où l’intellectuel s’est mis en veille. Combien de génuflexions devant la croix quand les mots s’embrouillent et ne résonnent plus chez la personne démente…

Les capacités sensorielles restent au service de l’humanisation de la personne. Même si tous les sens ne peuvent être actionnés, ils demeurent médiateurs du mystère d’une vie qui n’a de cesse de se donner. Alors dans un élan de fraternité, au nom de la vie dont nous sommes tous héritiers, par sa présence, l’aumônier, le visiteur, le parent, le soignant ouvre le chemin d’une co-guérison toujours possible dans la mesure où l’on admet que cette vie se recrée en acceptant les fantaisies de ce cerveau qui a pour caractéristique sa plasticité.

Natacha Coosemans
Service Aiguillages

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